J’ai l’impression de ne pas travailler pour les utilisateurs

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Le directeur me demande d’interrompre mon travail pour passer du temps sur un sujet qui ne fait pas partie des priorités identifiées avec nos utilisateurs.

En réunion où je présente mes travaux, certaines parties prenantes remettent en question des choix. Ils proposent de nouvelles fonctionnalités qu’ils ont trouvé “cool”. Ils projettent des besoins sans s’appuyer sur des éléments tangibles.

Suite à la parution d’un article dans la presse spécialisée, le directeur nous demande pourquoi tel concurrent a sorti telle fonctionnalité ou tel produit alors que nous n’y avons même pas travaillé.

Les sujets ne manquent pas et je ne sais plus par où commencer.

L’entreprise placerait le client au centre, mais dans ces situations, j’ai des doutes.

Comment le directeur peut-il tenir ce double discours ? Je ne me sens pas reconnu dans ma mission et j’ai l’impression de perdre mon temps à travailler sur des fonctionnalités qui feront flop au lancement.

Alors que faire ? Se résigner face aux collègues qui crient le plus fort ? Heureusement, il existe des alternatives.

Et si je me mettais à la place de l’autre pour mieux comprendre les situations ?

Comprendre les mécanismes pour mieux les déjouer

  1. Imposer son idée pour exister
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Si je me retrouve face à un supérieur hiérarchique qui expose haut et fort ses idées, je prends garde de ne pas m’opposer en argumentant car tous mes efforts ne feront que renforcer sa position.

Ce phénomène s’apparente à l’effet boomerang rendant stérile tout débat.

L'effet boomerang[...]phénomène selon lequel les tentatives de persuasion ont l’effet inverse de celui attendu. Les croyances initiales sont renforcées face à des preuves pourtant contradictoires.Wikipedia

Il m’est déjà arrivé de suivre un interlocuteur sur le terrain du débat (stérile), plus la discussion avançait et nos arguments se confrontaient, plus je sentais le sujet passer du professionnel au personnel. Il ne s’agissait plus d’avoir les meilleurs arguments, mais bien d’avoir le dernier mot et de remporter l’adhésion… Autant dire que face à un directeur, le combat est perdu d’avance.

2. Problème -> solution

Lorsque face à une problématique, le directeur nous évoque son idée, il cherche à débloquer la situation avec une solution.

Notre cerveau est construit de manière à prendre des décisions rapides. Ainsi, face à une problématique, nous avons le réflexe de chercher une solution. Ce cas est d’autant plus fréquent si la situation présente des analogies avec des évènements passés.

C’est ainsi que certaines entreprises ne parviennent pas à réagir face à l’arrivée d’un nouveau concurrent qui adopte une posture radicalement différente. On ne tient compte que d’une partie de la problématique (l’arrivée d’un concurrent) sans tenir compte des paramètres qui diffèrent (la posture différente).

Le biais d’ancrage mental tend à nous faire passer pour garantie une information dont on a connaissance en occultant toute nouvelle information, surtout si elle venait contredire notre croyance.

En tant que concepteur, nous avons appris à challenger le brief, prendre du recul pour analyser une situation et identifier les vrais problèmes en questionnant, mais ça n’est pas le cas de tous.

3. Faire comme le concurrent

Lorsque le directeur nous pointe du doigt que tel concurrent a sorti une nouvelle fonctionnalité, il peut être tenté de nous demander de plancher sur un projet similaire.

Instinctivement, nous cherchons tous à appartenir à un groupe (ici les entreprises concurrentes sont des homologues), chaque décision de ne pas faire comme les concurrents seront interprétées comme un risque d’être exclu du groupe.

On parle de biais de conformisme.

En psychosociologie, le conformisme est l’obéissance à la pression du groupe. René Mucchielli le définit comme étant “l’attitude sociale qui consiste à se soumettre aux opinions, règles, normes, modèles qui représentent la mentalité collective ou le système des valeurs du groupe auquel on a adhéré, et à les faire siens”.
http://www.toupie.org

Quelques pistes pour s’en sortir

Privilégier les échanges individuels
Certaines réunions se transforment en une pièce de théâtre où chacun joue un rôle, le directeur doit avoir des idées et garder la main mise sur le projet et se faire entendre.

Plutôt que de mener un combat perdu d’avance si je sens que mon interlocuteur cherche à s’imposer en réunion, je m’arrange pour voir la personne en individuel. L’échange est généralement plus apaisé, mais qu’est-ce qui provoque ce changement ?

Le fait de prendre le temps en aparté le conforte dans son rôle privilégié et nous pouvons avoir une discussion plus sereine. Lorsque j’en ai l’opportunité, je désamorce les situations avant les réunions pour éviter les dérapages.

Structurer la priorisation
Je mets en place une instance de priorisation

Cela peut prendre une forme plus ou moins rigide en fonction de fonctionnement de l’entreprise et des relations avec les collègues. Dans tous les cas, je m’assure toujours que l’ensemble des équipes soient représentées. Chaque porteur d’idée/projet pourra y présenter son sujet, et de manière collective, les participants pourront donner un premier avis vue de leur expertise.

Au cours d’une expérience passée, en tant que responsable e-commerce, je pilotais la roadmap des projets et des correctifs. J’avais mis en place un process d’émission de besoin et je donnais de la visibilité au porteur du besoin. Tout se passait plutôt bien jusqu’à ce qu’une personne vienne me voir en me demandant pourquoi ses demandes passaient systématiquement après celles des autres. Je n’avais bien évidemment pas ce sentiment, néanmoins j’étais incapable d’argumenter puisque je priorisais en fonction de mon ressenti. Dans les jours qui ont suivi, j’ai contacté tous les porteurs de besoin afin de les convier à la première instance de ce qui deviendra par la suite une instance hebdomadaire de priorisation des sujets. J’ai fait en sorte de ne pas dépasser 6 personnes et d’éviter les doublons pour avancer rapidement et garder un équilibre dans les discussions.

L’objectif est de sortir des décisions personnelles pour tendre vers le collectif, en plus d’avoir une vision plus large que mon seul regard, cela légitime davantage la démarche.

Je crée une grille de priorisation
Une voix en valant une autre, je préfère mettre en place un système de priorisation des sujets. En fonction des priorités de l’entreprise, je propose de mettre en place une grille d’évaluation sur 4 ou 5 critères. Ici encore, je ne travaille pas seul, c’est le groupe qui décide des critères en veillant au bon équilibre entre intérêt utilisateur (par exemple la part des utilisateurs concernés, est-ce que la cible est stratégique ou non…) et enjeux business pour l’entreprise (impact CA, productivité…)

Le comité attribuera après discussions un score pour chaque critère donnant un note objective au projet.

Je communique assez largement sur les critères qui ont été établis, notamment aux managers et directeurs afin de m’assurer que les indicateurs sont bien en phase avec les orientations souhaitées pour l’entreprise.

Paul Boag met en avant cette démarche en parlant de “digital triage”

La matrice de Paul Boag

Mon objectif est que chacun co-construise la grille pour accepter les règles du jeu et faciliter la gestion des priorités.

Je ne me retrouve plus pris entre deux feux lorsqu’un nouveau projet arrive, cela apaise considérablement les débats !

Je donne de la visibilité
Je fais en sorte que la grille des sujets prioritaires soit visible de tous. Par exemple sur de grandes feuilles Velleda sur un mur le plus visible possible. L’avantage est que personne ne peut ignorer les priorités en cours et si besoin on peut effacer/réécrire sans ruiner le document !

L’effet est souvent immédiat, les porteurs de besoins savent quand leurs demandes seront traitées et ne se posent plus la question de l’ordre de traitement.

En synthèse

  • Je privilégie les échanges individuels en cas de désaccord
  • Je ritualise des comités de priorisation pour présenter de nouveaux projets et challenger les critères de notation.
  • Je donne un maximum de visibilité
  • Je ne travaille pas seul, mais je peux être à l’initiative de la démarche

Sources

Paul Boag — https://boagworld.com/audio/introducing-digital-triage/

http://www.toupie.org/Dictionnaire/Conformisme.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_boomerang

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