Le directeur de projet ne voit pas l’intérêt de faire des ateliers de co-création

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Pour chaque projet de design de produit ou de service, je mène cinq ateliers de co-conceptions à quelques jours d’intervalle de manière à vérifier et à ajuster mes propos.

Les ateliers de co-conception classiques sont :

- Atelier vision pour comprendre l’ensemble des attentes du commanditaire ;

- Atelier proto-persona pour identifier la cible et ses attentes avant de faire des recherches utilisateurs ;

- Atelier carte d’expérience pour identifier le parcours de l’utilisateur et les impacts dans les coulisses de l’entreprise ;

- Atelier idéation pour générer des idées de solutions ;

- Atelier 6to1 pour construire ensemble un premier prototype en mode brouillon.

Quand j’arrive sur une mission, j’explique au directeur de projet que nous allons conduire une série d’ateliers de co-conception pour affiner le besoin, aligner les acteurs du projet et construire tous ensemble le prototype du produit.

Mon client trouve l’idée intéressante mais il n’est pas à forcément à l’aise pour l’appliquer. C’est dommage car réaliser des ateliers de co-création permet de décupler les chances de réaliser jusqu’au bout une idée et couper court aux critiques interminables portant sur des choix de conception. C’est une pratique hautement politique et stratégique au service de la concrétisation du projet.

Alors comment faire comprendre que les ateliers de co-création, tout comme les recherches utilisateurs, sont des prérequis pour sortir un produit attrayant pour l’utilisateur et rentable pour l’entreprise?

Pourquoi mon client hésite à lancer des ateliers de co-création ?

L’intelligence collective n’est pas dans la culture et les valeurs de l’entreprise

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La plupart des organisations reposent sur des systèmes individualistes (primes individuelles), de contrôle de l’individu (micro-reporting) avec une forte pression hiérarchique. Dans ce type d’entreprise, il est difficile de réunir autour d’une table une directrice de la DSI et un directeur du Marketing qui n’ont jamais été habitués à travailler ensemble et qui ont parfois des différends. Les méthodologies UX changent les façons de travailler, opèrent les ruptures, bousculent les rapports hiérarchiques et remettent en cause les territoires.

Mon client a peur de perdre le pouvoir

Dans les grands groupes, les enjeux politiques de légitimité, de découpage des pouvoirs et des responsabilités conduisent souvent le directeur de projet à rester prudent. Si il intervient en atelier, il redoute les opinions des autres concernant ses compétences. “Que va penser mon équipe si je ne maîtrise pas l’ensemble des concepts?”. De plus, il n’est jamais facile de décider en groupe et de mettre de côté ses propres idées. “Pourquoi ma voix compterait autant que celle d’un collaborateur lambda alors que j’ai plus de recul sur la stratégie de l’entreprise ?”. Enfin, de nombreux directeurs de projets n’ont tout simplement pas le temps d’assister à cinq ateliers. Ils peuvent se sentir dépossédés du projet et des idées phares.

L’efficacité des ateliers n’est pas toujours prouvée

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J’ai déjà réalisé des ateliers sans ordre du jour et sans expliquer en quoi il avait un apport pour le produit. Par ailleurs, il m’arrive de ne pas cibler les bons participants. Parfois, il y a trop de monde et le temps manque pour les échanges en profondeur. Les consensus mous sont les ennemis de la créativité. Enfin, quand je suis trop focalisée sur l’atelier, en fin de session, j’oublie de mettre en place des actions à réaliser et demander qui est en mesure de le faire. Ou bien j’oublie de diffuser le livrable. Lorsque la préparation, l’animation et le suivi du plan d’action sont négligés, les participants finissent par ne plus se présenter.

Des pistes pour mettre en place des ateliers de co-conception

Rencontrer les participants avant de lancer les invitations

Je commence toujours par demander à mon client de sélectionner les cinq acteurs clés du projet. J’invite les personnes et le directeur de projets à un petit-déjeuner sur le Design Thinking de 9h30 à 10h30, accompagné de croissants et de boissons chaudes. Cela permet de faire connaissance et pour expliquer la valeur de l’intelligence collective. L’objectif est de démontrer que la voix de chaque participant compte. Chacun possède une expertise spécifique indispensable à la conception et à la réalisation du projet. Je demande ensuite qui est en mesure de préparer quoi pour le premier atelier. Demander à chacun de quelle manière il peut contribuer permet de renforcer l’implication et d’optimiser la qualité des instances.

Quand certaines personnalités sont incompatibles, je préfère mener des entretiens individuels. Cela prend plus de temps mais permet d’aller plus en profondeur pour comprendre le fonctionnement de chaque individu.

Faire un atelier version bêta

Exemple de restitution d’un atelier Vision pour un client dans les médias

Quand le client me répète qu’il n’y a plus de temps pour faire des ateliers, je lance un premier atelier : l’atelier vision. J’explique : “Je dois monter en compétences sur le sujet et j’ai besoin de m’assurer que partagez tous la même stratégie”. Je me dis qu’au pire je ferais l’atelier de parcours utilisateurs seule, suite à la phase de recherches utilisateurs. Mieux vaut avancer petit avec l’équipe que de stagner seule. Je réalise un atelier d’une heure au lieu des deux-trois heures habituelles. Cela permet de trouver rapidement un créneau où tout le monde est disponible. Sur une mission, mon client était d’abord dubitatif à l’idée de faire l’atelier vision, déjà réalisé avec un “expert”. Pourtant, il a été le premier surpris par le résultat et a pris en photo les principales idées issues de l’atelier. Le lendemain, il m’a envoyé un sms pour me demander de lui envoyer en urgence le livrable vision pour le présenter en COMEX.

Bien préparer les ateliers de co-conception

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Le succès d’un atelier de co-conception repose en moitié sur sa préparation. Cela vise à donner au groupe toutes les conditions favorables à l’émergence des idées. Avant l’atelier je récolte les besoins du groupe, je clarifie l’utilité et l’objectif de l’atelier, je liste les participants, j’établis le déroulé pédagogique de l’atelier et je prépare le matériel et la salle. Dans la mesure du possible, je demande de la documentation aux participants pour alimenter les discussions et valoriser les personnes à l’initiative des études. Mes ateliers de créativité se réalisent debout. Cela permet d’aller à l’essentiel et de réduire la durée des conversations. Enfin, j’analyse, je synthétise les données et je diffuse les livrables en maximum trois jours.

Faire des points courts et réguliers avec le directeur

Exemple de sketchnote pour communiquer sur l’ensemble des futures fonctionnalités

Si le directeur de projet est peu convaincu ou n’a pas suffisamment de disponibilités, je cherche des moyens détournés de capter son attention. Chaque semaine l’équipe présente au directeur l’avancement des instances de co-création durant quinze ou trente minutes. Rendez-vous dans l’espace de l’équipe, devant nos murs fièrement décorés de notre feuille de route, de la carte d’expérience de l’utilisateur et d’autres supports visuels sous forme de sketchnotes. L’objectif est de piquer la curiosité du directeur et d’aller à l’essentiel via des croquis ou des synthèses. Tout le monde reste debout pour éviter les discussions interminables. Le directeur de projet est satisfait lorsque l’équipe fait l’effort de rendre accessible la feuille de route du projet. Cela lui permet d’interagir de manière spontanée et d’apporter au projet une bonne visibilité sur le marché et les enjeux business du moment.

En résumé

Quand je veux sensibiliser mon client au bien fondé des ateliers de co-création :

  • Je respecte la culture d’entreprise de mon client ;
  • Je passe beaucoup de temps avec le directeur de projet pour comprendre ses craintes et l’impliquer au maximum ;
  • Je lance un ou deux ateliers en version bêta pour préparer l’équipe ;
  • Je me documente pour optimiser la préparation, l’animation et le suivi des ateliers.

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✔ Cet article fait partie de la série “Guide de survie pour UX Designers en entreprise” co-écrite par Marina Wiesel et Jérémie Cohen.
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