Mes collègues prétendent déjà tout connaître des utilisateurs

I - Inutile d’aller les rencontrer, on les connait bien!

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La bonne connaissance des utilisateurs est encore trop souvent une notion qui pose problème. Rares sont les collaborateurs qui avoueront peu ou mal connaître leurs utilisateurs, pourtant cette connaissance est parcellaire voire erronée…

Au cours d’un projet, lorsque je demandais au responsable marketing qui étaient les clients, il me répondait “ce sont des célibataires, 40–55 ans habitant en centre ville”. Rien sur les attentes, les émotions, d’autres catégories de clients, les comportements… J’en parlais à mes collègues qui étaient assez mal à l’aise avec si peu d’informations.

Je passe mon temps à négocier pour aller observer les clients ou parler aux utilisateurs, c’est fatiguant. Si seulement ils comprenaient à quel point le temps passé en amont du projet pouvait nous en faire gagner par la suite…

II - Et si on inversait les rôles?

Si je prends le temps de me mettre à la place de mes collègues, je peux mieux comprendre leurs réactions.

1.Ma collègue possède de nombreuses études

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Depuis le temps qu’elle est dans l’entreprise, ma collègue a bâti sa stratégie sur la connaissance clients issue d’études de marché (tendance, concurrence…), robuste car quantitatives, elle lui permettent d’affirmer, convaincre lors des réunions.

Les clients elle les connait bien.

Lorsque l’UX Designer arrive avec une approche qualitative, elle a tendance à freiner la démarche en opposant ce qu’elle voit comme des contraintes ou des risques (perte de temps, d’argent, informations subjectives…). Cela peut s’expliquer par le biais de statu-quo

Le biais de statu quo[...]est une tendance à résister au changement qui s’explique par le fait que les risques pèsent plus que les bénéfices dans les décisions relatives aux nouveautés.

Wikipedia

Autre exemple, la partie prenante ou le chef de projet a bien en tête les jalons, le directeur lui met régulièrement la pression pour livrer dans les temps. Les délais sont déjà très serrés et il semble peu judicieux de risquer de prendre du retard pour s’être accordé le luxe d’aller sur le terrain.

En l’occurrence, le chef de projets verra la recherche utilisateur comme une contrainte et occultera tous les bénéfices qu’elle pourrait comporter même si in fine cela ferait gagner du temps.

2.Nous avons un expert de “la voix du client”

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Intégrer une personne de la relation client peut sembler une bonne idée, car c’est elle qui est le plus souvent en contact avec les utilisateurs. Le directeur d’une entreprise m’expliquait que le client était au centre de ses projets car une personne du call-center était régulièrement consultée pour se faire le porte parole des clients.

Rares sont les clients qui contactent une entreprise pour les féliciter de la fabuleuse expérience qu’ils ont vécu.

C’était donc un bon début, mais j’avais une vision tronquée de la connaissance client car très orientée sur les difficultés rencontrées, mais rien sur les points d’enchantement!

III - Quelques conseils

1.Collaborer pour mieux convaincre

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Même si la connaissance utilisateurs est incomplète, elle a le mérite d’exister. J’ai commencé par demander au service étude un fichier de l’ensemble des contacts clients. Plutôt que d’attendre l’envoi du fichier et de déplorer dans mon coin les lacunes, je suis allé m’assoir à côté d’eux.

Mes collègues se sont alors aperçus qu’il manquait des éléments sur les attentes, les émotions des utilisateurs. En sortant du bureau, tout le monde était partant pour aller rencontrer les utilisateurs et compléter la connaissance client avec des éléments qualitatifs.

2.Contourner les contraintes, passer en mode guérilla

Visioconférence | by La Coroutine

La recherche utilisateurs prend du temps et peut nécessiter un petit budget. Cela dit, il existe des moyens peu coûteux pour démontrer la pertinence et susciter l’intérêt des équipes. Par e-mail, téléphone… J’ai par exemple eu à réaliser dans un temps réduit et sans budget dédié des interviews de personnes géographiquement éloignées.

La visio-conférence devient alors votre meilleur allié, à défaut un entretien par téléphone, il faut juste s’assurer de pouvoir enregistrer la conversation (des applications gratuites existent sur toutes les plateformes).

Le mode guérilla ne veut pas dire dégrader la qualité de ce qui sera restitué par exemple en interrogeant des collègues au lieu de véritables utilisateurs.

J’essaye plutôt d’être pragmatique et de faire preuve d’habileté dans l’adaptation de ma méthodo.

3.Résister de manière positive

Un chef de projet m’a un jour demandé d’ajouter une évolution dans la roadmap de l’application mobile. Je l’ai questionné sur sa démarche et l’intérêt pour l’utilisateur. Cela lui semblait évident que les clients adopteraient la fonctionnalité.

J’ai tenu bon et j’ai refusé d’intégrer la fonctionnalité en lui exposant mes doutes et face à son incapacité à me rassurer. Plutôt que d’entrer dans un conflit, je lui ai proposé de redéfinir notre collaboration en plaçant la connaissance des utilisateurs comme un pré-requis pour

  • investir le temps de son équipe (et son budget) sur des sujets à valeur ajoutée pour les clients
  • argumenter de manière irréfutable sur le bien fondé des évolutions à intégrer.

J’ai organisé une série d’interviews en prenant soin d’emmener tous les collaborateurs de l’équipe de mon collègue.

Ils se sont rendus compte que la majorité des sujets qu’ils traitaient ne répondait pas aux besoins des clients.

Suite à cette expérience, la recherche utilisateur a été intégrée de manière évidente et naturelle dans les projets.

4.Avoir de l’impact

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Pour convaincre mes collègues, rien de mieux qu’une expérience marquante. Je réfléchis en fonction de ma situation comment faire pour que mes collègues se souviennent de la prise de conscience.

J’ai par exemple fait rédiger des courriers de doléances à certains utilisateurs qui vivaient une expérience perfectible en de nombreux points.

De retour au bureau, j’ai déposé les lettres sur le bureau du patron qui n’avait pas eu le temps de venir les entendre de vive voix. Le résultat fut sans appel, les priorités ont changé et le directeur est venu rencontrer les clients la fois suivante!

Take-aways

Pour contrer la tendance à zapper les recherches utilisateurs :

  • Il y a une réticence naturelle à tout changement, on aura tendance à ne voir que les risques dans la nouveauté
  • Je démontre les avantages par des cas concrets et par la collaboration
  • Je fais vivre l’expérience à mes collègues
  • Je cherche à marquer les esprits et avoir de l’impact dans la restitution

Sources

Méthodes de design UX, Carine Lallemand & Guillaume Gronier

Journal of Risk and Uncertainty, William Samuelson & Richard Zeckhauser

Excuses, Excuses! Why Companies Don’t Conduct User Research, Jim Ross

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