On confond mon métier d’UX Designer avec celui d’UI Designer

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Je dois pondre des wireframes sans poser de questions

Je travaille souvent dans des entreprises non familières avec l’UX Design et les méthodologies agiles. Le directeur de projet et le chef de projet ont déjà réalisé des spécifications fonctionnelles. Maintenant, ils souhaitent “des maquettes simples, intuitives et esthétiques” d’ici une à deux semaines. Le plus tôt serait le mieux car trois développeurs sont déjà mobilisés. Je suis toujours mal à l’aise au démarrage de mon intervention car les attentes de mon client sont beaucoup trop ambitieuses par rapport à ses moyens (temps, personnes ou budget). Pour concevoir un produit “simple, intuitif et esthétique” il faut minimum deux mois : deux semaines de recherches utilisateurs, deux semaines d’ateliers de co-création, deux semaines de croquis et trois semaines de design d’écran (UI). Comment faire comprendre à mon client que l’UX Designer intervient en amont, sur la partie stratégique ? Que l’UX Designer n’a pas les compétences pour concevoir des interfaces esthétiques ?

Comprendre ce qui se passe

Le métier UX/UI Designer sème le flou

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Quand je donne des formations d’UX Design, j’introduis la complexité de la discipline avec cette métaphore :

L’UX Design c’est comme le poker. Il faut 5 minutes pour comprendre les règles et 10 ans pour le maîtriser.

Les graphistes sur les publications papiers ou les webdesigners se tournent de plus en plus vers le métier d’UI Designer (Concepteur d’interface utilisateur). Ils s’inspirent des carnets de tendances en ligne du type Dribbble ou Pinterest et conçoivent ainsi des maquettes épurées et esthétiques. Certains UI Designers se forment aux méthodologies d’UX Design. C’est un bon début pour comprendre les enjeux orientés utilisateurs. Seulement, on ne devient pas UX en vingt jours de formation. L’UX Designer est un mouton à cinq pattes : il a un profil stratégique orienté business, il maîtrise l’écoute active et l’analyse du langage non-verbal, il connaît toutes les ficelles pour éviter qu’un atelier de co-création ne tombe à l’eau et il peut citer toutes les règles d’ergonomie et d’accessibilité. Ce métier nécessite beaucoup de pratique et de prise de recul. De plus, les outils et les méthodologies évoluent très vite. Le métier d’UI Designer est également complexe car les logiciels de conception d’interface (Sketch, Adobe XD, InVision, Framer…) évoluent de plus en plus vite. Ils doivent sans cesse se former et changer leurs habitudes. C’est pourquoi, il n’est pas possible d’exceller en continu sur l’UX Design et sur l’UI Design. La double compétence UX/UI Designer entretient le flou sur le rôle et l’expertise de l’UX Designer auprès de tous les métiers : directeurs, parties prenantes, chefs de projet, product owners, développeurs et testeurs.

Il est difficile d’appréhender l’UX comme un état d’esprit

Lorsqu’un client veut améliorer l’expérience utilisateur d’un produit, il pense directement à améliorer une maquette. Les écrans sont la partie émergée de l’iceberg, la partie la plus visible et la plus rassurante. Quand j’évoque l’UX Design, mon client pense à des wireframes (maquettes fonctionnelles en noir et blanc), tout comme il pense à des post-it quand un coach lui parle d’agilité. Pourtant les wireframes sont des mediums avec un impact limité sur l’objectif final. Notre cerveau a tendance à nous jouer des tours car il est rassurant de se projeter sur des éléments visibles et tangibles. Le savoir-faire de l’UX Design n’est rien sans son savoir-être. L’UX design est une discipline de l’ombre. Elle influence la culture d’entreprise vers une organisation basée sur l’humain et le collectif. Tout comme l’agile, l’UX Design est d’abord un état d’esprit. Plus le savoir-être de l’UX Design est implanté dans l’organisation, plus l’entreprise a des chances de délivrer des produits et des services tournés vers l’humain.

Simon Powers, directeur de Aventures with Agile

Des pistes pour intervenir en amont du processus de conception

S’assurer que tout le monde puisse comprendre mon discours

L’UX Design est une discipline relativement récente qui vient des Etats-Unis. J’effectue 90% de ma veille en anglais et je me sers d’outils en ligne écrits en anglais. Il m’apparaît donc naturel d’utiliser des noms de livrables ou de méthodes dans la langue originale. En donnant des cours à l’Ecole des Gobelins, j’ai compris que mon vocabulaire anglais, métier et agile desservait mon propos auprès des apprenants comme auprès de mes collègues. Au mieux ils ne comprennent pas ce que je dis, au pire ils voient cela comme de l’arrogance. Supprimer tout jargon et anglicisme permet de rendre accessible l’UX Design au plus grand nombre. Par exemple, je parle de “parcours utilisateur” au lieu de “experience map”, je dis “tests d’interfaces” au lieu de “usability test”, etc.

Communiquer 50% de son temps

Brigitte Borja de Mozota, experte en design management montre que nous avons aussi une part de responsabilité quant au positionnement flou de notre métier :

Si les designers se plaignent que personne ne comprend leur métier c’est peut-être qu’ils ne savent pas l’expliquer aux autres!

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Pour pallier ce problème, j’optimise le temps de recherche utilisateur et d’ateliers pour dédier deux jours par semaine à l’évangélisation. Je prends le parti de livrer des résultats 70% parfait plutôt que 90% parfait. L’entreprise gagne à monter en maturité sur le volet d’expérience utilisateur. Ce qui compte, c’est l’ensemble des produits et des services. Il existe de nombreuses façons de communiquer de manière formelle et informelle. Pour un maximum d’impact, je recommande de préparer une intervention de qualité afin de présenter la démarche et l’impact business de la démarche UX en comité de direction ou en comité exécutif (COMEX). Je montre en quoi la démarche est utile pour l’équipe, le service et l’entreprise. Pour embarquer l’équipe produit, je les invite à participe aux entretiens utilisateurs. Je les informe sur les méthodes de base de l’écoute active. Chaque collaborateur interroge un utilisateur. Je reste à leur côté et effectue la prise de notes. Ensuite, on fait une synthèse à chaud, tous ensemble. J’informe mes collègues sur la manière d’éviter les biais cognitifs puis je leur délègue les entretiens utilisateurs. Enfin, je passe beaucoup de temps à écouter mes collègues. A la machine à café, en pause déjeuner ou sur un plateau projet, toutes les occasions sont bonnes pour identifier les craintes des autres et pour diffuser la culture d’expérience utilisateurs à tous les acteurs.

Clarifier le champ d’intervention du design avant d’accepter la mission

Quand j’arrive chez un client, il m’informe que des développeurs se tournent les pouces en attendant les maquettes. J’ai deux semaines pour tout réaliser. Il est déjà trop tard. Je commence par écouter les besoins de mon client puis je lui présente un calendrier tenant compte de toutes ses attentes. Comme il n’a pas le temps pour les études et les ateliers, je dessine des croquis sans aucune valeur utilisateur. Le produit est alors compliqué, difficile à utiliser. Au fur et à mesure de mon intervention le client prend conscience de l’intérêt de la démarche et allonge les délais. Dans la plupart des missions, mon client préfère repousser la date de livraison. Cependant le projet reste très bancal car la démarche UX n’est pas appliquée dès le départ. Plutôt que de faire perdre deux mois à mon client, je préfère poser les limites dès le début, avant de signer. Je clarifie le champ d’intervention de l’UX Designer et je m’engage sur des résultats et non sur des livrables. En effet, livrer trois personas, une parcours utilisateur et six wireframes n’a aucun sens dans mon métier. Ce qui compte, c’est de montrer que l’UX Designer accompagne l’entreprise à :

  • définir le vrai besoin ;
  • aligner l’ensemble des acteurs sur la solution ;
  • et à délivrer un prototype viable à l’aide d’un UI Designer.

Plus je monte en séniorité et plus j’arrive à m’affirmer. Je refuse de débuter tout projet où il n’y a pas de possibilité de faire des recherches utilisateurs, et où le directeur n’es pas prêt à conduire le changement pour faciliter les échanges entre les parties prenantes. Si je n’ai vraiment pas le choix, j’argumente et propose des alternatives viables pour éviter de faire perdre du temps à mon client.

En résumé

Pour éviter de faire uniquement du wireframe :

  • Je clarifie le champ d’intervention de l’UX Designer ;
  • J’écoute beaucoup, j’écoute tout le monde ;
  • Je communique 50% de mon temps, surtout auprès de la direction ;
  • Je participe à la montée en compétences des collaborateurs sur le volet UX ;
  • J’invite les collaborateurs à rencontrer les utilisateurs.

Cet article est co-rédigé avec Jérémie Cohen. Nous espérons qu’il vous sera utile, pour vous et pour la communauté UX.

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