On me demande de concevoir un chatbot pour faire comme les autres

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La plupart du temps, le directeur commence un projet avec une technologie en tête : chatbot, assistant personnel intelligent comme Google Home, blockchain, objets connectés, intelligence artificielle… Pour l’équipe produit, c’est difficile à assumer car le produit de base est rarement adapté au besoin de l’utilisateur et la marge de créativité est faible.

Pourquoi un produit est-il souvent techno centré ?

On confond nos envies et nos besoins
“Règle n°1 en UX Design : ne jamais demander à un utilisateur ce qu’il veut.”

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Le souhait d’une personne diffère de son besoin initial. Par exemple, quand j’ai faim, je pense d’abord à une glace à la chantilly plutôt qu’à un plat nourrissant et pleins de vitamines. Quand je pars en vacances, je loue un véhicule spacieux alors que ma famille se compose de seulement trois personnes. Il est difficile de prendre du recul sur notre réel besoin et de savoir se montrer raisonnable à tous les coups. Un directeur fasciné par la réalité augmentée éprouvera des difficultés à se diriger vers une solution plus modeste et moins novatrice. Au fond de lui il sait qu’il a besoin de créer une solution utile mais son envie est plus forte : il a toujours voulu s’amuser avec cette nouvelle technologie.

Le biais d’effet de mode déforme nos aspirations

Après la lecture des ouvrages de Stratégie de Design UX, 100 things that every designer should know et This is service design thinking, l’envie m’a pris de rédiger un ouvrage pour partager mes connaissances avec la communauté des designers. Pourtant je n’avais aucun sujet à proposer. J’ai été victime de l’effet de mode, appelé également effet de bandwagon. Dans les divisions digitales des entreprises, ce phénomène est fréquent. Les acteurs agissent par mimétisme, pour faire comme les autres acteurs du marché. Ce phénomène échappe à toute rationnalité. Le biais est renforcé lorsque nous voyons des personnes comme nous, des homologues, se lancer dans ces projets innovants. Il y a un côté rassurant à opter tout de suite pour une solution que d’autres acteurs utilisent plutôt que de prendre du recul sur ses pratiques et affronter affronter son véritable problème.

La complexité des organisations favorise l’explosion d’initiatives personnelles

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Une solution ad-hoc est contreproductive dans un écosystème global. Dans les entreprises silotées, chaque service lance un produit dans son coin sans aucune réflexion portée sur l’ensemble de l’expérience du client. Il existe trois raisons à cela :

  • Les objectifs individuels sont déconnectés de la stratégie transverse de l’entreprise ;
  • La lourdeur des processus informatiques incitent les acteurs à s’affranchir des contraintes de l’organisation ;
  • Personne n’assure la coordination de l’ensemble des initiatives pour veiller à une expérience globale. Ou la fonction existe mais ce n’est pas un temps plein.

Un client m’a demandé de mettre en place un logiciel doté d’intelligence artificielle pour se former en ligne. La solution prise de manière isolée était à forte valeur ajoutée. Mais ramenée à l’écosystème de l’entreprise, elle ajoutait de la lourdeur à un processus déjà hétéroclite, doté de plusieurs solutions de formation.

Il est difficile de faire marche arrière une fois qu’on opte pour une solution

J’ai travaillé dans une agence qui rencontrait des difficultés à effectuer des activités de placement de consultants sur missions. Pour améliorer cette situation, un directeur a mis en place un logiciel de suivi d’activité, à la demi-heure près. Le produit n’a jamais rencontré d’adoption. Le directeur continue pourtant à investir pour améliorer la solution. Ce cas est fréquent. Une personne a l’initiative d’un projet a du mal à accepter que sa solution n’est pas adaptée. C’est ce qu’on appelle le biais des coûts irrécupérables. Dans l’espoir que tout rentre dans l’ordre par la suite, on a tendance à investir aveuglement du temps et de l’argent. Si la personne n’était pas à l’origine du projet, elle serait davantage rationnelle et aurait moins de scrupules à cesser le projet en cours.

Des pistes pour recentrer le projet vers les besoins utilisateurs et les enjeux business

Vérifier s’il est possible - ou pas - de faire pivoter le projet

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Quand je vois qu’un projet débute mal, avant de vouloir tout révolutionner, je tâte le terrain. J’essaie d’obtenir des informations en sous-marin sur la capacité d’ouverture du donneur d’ordre. Lui est-il déjà arrivé de se remettre en question par le passé? Si ce n’est pas le cas, autant le savoir au plus tôt pour adopter la meilleure stratégie : suivre ses recommandations ou bien l’aider à faire pivoter le projet. Inutile de s’épuiser à apporter des conseils à une personne qui n’est pas prête à les recevoir. Sur un projet d’application pour assister médicalement des personnes en danger sur une plateforme pétrolière, mon client portait des valeurs aux antipodes d’une approche d’intelligence collective plaçant l’humain au centre. J’ai passé 70% de mon temps à tenter de le sensibiliser pour livrer un travail de qualité et seulement 30% pour faire des wireframes. C’était usant et ça a créé des tensions de mon côté, comme du sien.

Quand il est impossible de faire pivoter le projet :
Il est rare d’avoir gain de cause sur un projet qui est déjà sur les rails comme le démontre le point sur le biais des coûts irrécupérables. Si je suis dans une position de consultante et que la mission a déjà été vendue, je dois tout de même m’assurer de délivrer pour assurer la satisfaction de mon client interne.

→ Clarifier les risques et les objectifs

Plutôt que de déclarer la guerre comme j’ai pu le faire par le passé, je préfère accompagner le donneur d’ordre et l’aider à clarifier les risques pour assumer son choix jusqu’au bout. Par exemple, sur le projet de logiciel de formation, j’ai demandé à refaire un atelier vision et j’ai mis en place une cartographie de l’écosystème de formation pour détecter les acteurs à rencontrer au plus tôt pour favoriser l’adoption du projet. J’ai ensuite mené des entretiens utilisateurs pour montrer au directeur de projet que l’attente se situait au-delà de la solution. Suite à ces initiatives, il a décidé d’élargir son champ d’action dans les prochains mois.

→ Lever l’alerte au plus vite

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Si je ne suis pas encore sur le projet en question et que les conditions ne sont pas réunies pour faire de l’UX Design, je préfère émettre des réserves et l’exprimer clairement à l’ensemble de l’équipe produit, au directeur de projet et aux décideurs. Chez OCTO par exemple, nous refusons les missions où il n’est pas possible d’accéder auxutilisateurs et les missions orientées sur la déclinaison d’une stratégie sans problématique clairement identifiée.

Quand il est possible de faire pivoter le projet : Je me place en posture de force de proposition, jamais en opposition.

Comprendre le VRAI besoin

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J’essaie de comprendre ce qui se cache derrière la demande du client. Pour cela je réalise avec lui un atelier “cartographie des parties prenantes” et identifie tous les acteurs les plus influents et motivés par mener le projet jusqu’au bout. Je lance une série d’entretiens avec chacun de ses acteurs. La synthèse des entretiens sert de base à l’atelier vision. Cela permet au porteur de besoin de comprendre de lui-même pourquoi il ferait mieux de pivoter.

Matrice des parties prenantes par influence et intérêt

Faire des études utilisateurs

Plutôt que de partir d’une problématique d’usage, je pars de la solution et du contexte d’utilisation pour remonter vers les besoins utilisateurs. Par exemple, sur la solution de formation en ligne, j’ai dû réaliser des entretiens en mode guerilla à la pause café pour ne pas ralentir le projet déjà bien commencé. Après avoir ciblé mon échantillon, j’ai élargi les entretiens sur la formation en présentiel et je suis encore montée d’un cran pour comprendre la motivation qui pousse les collaborateurs à vouloir monter en compétences. Ceci nous a permis de comprendre que la formation est un concept un obsolète dans leur environnement de travail. La veille en continu et le travail en binôme sont des outils qui semblent plus adaptés à ces utilisateurs.

Organiser un événement d’une journée

C’est sympa de prévoir des temps forts avec l’ensemble de l’équipe à des instants clés du projet. Plus l’événement dure longtemps, plus une dynamique de groupe s’installe. Une bonne énergie permet d’accélérer la collaboration et la créativité. J’invite un consultant expert du domaine pour nous donner son point de vue sur le marché et les risques. Il participe à la restitution des études business et utilisateurs, à l’atelier de carte d’expérience et à l’atelier d’idéation. Sa présence permet à l’équipe de prendre du recul et d’identifier de nouvelles opportunités. Il faut compter entre 500 et 1000€HT pour l’intervention d’un expert. Rapporté à tous les salaires des participants, cela représente environ environ 5% du prix de l’événement.

En résumé

Pour dépasser un objectif purement technologique

  • Je respire et je me répète que tout le monde a tendance à se projeter dans une solution ;
  • J’accompagne le porteur d’initiative pour l’aider à prendre du recul sur l’écosystème ;
  • Je vérifie si le porteur d’initiative est en mesure de se remettre en question ;
  • Je l’accompagne et suis force de proposition, jamais en opposition ;
  • Je challenge le besoin initial.

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✔ Cet article fait partie de la série “Guide de survie pour UX Designers en entreprise” co-écrite par Marina Wiesel et Jérémie Cohen.
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