Le prochain grand artiste aura 9 ans

Nouhad Hamam
Hack tes Kids
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11 min readNov 25, 2015
Yung Lenox, un enfin de 9 ans, “rap-portraitist”

Adolescent, je voulais devenir cinéaste. Même si j’hésitais avec écrivain, astronome, peintre et mathématicien, ce projet me tenait à coeur. Quand je parlais à mon entourage de mes rêves de cinéma, leur premier réflexe était de me dire que c’était dur de percer, que peu d’artistes parvenaient à en vivre, qu’il fallait avoir des contacts dans le milieu et qu’il fallait faire de longues études dans des écoles spécialisées…

Difficile de ne pas se décourager. Même si l’approche consistant à ne présenter que les désavantages d’un tel choix de carrière n’était pas la meilleure, cette histoire est représentative des mentalités de la deuxième moitié du 20ème siècle, elles-mêmes calquées sur une réalité sociale. En effet, vivre d’un métier artistique est (ou a été) très difficile, sans compter que de telles carrières ne sont pas considérées comme des modèles de réussite sociale. Mais les temps changent, comme disait Mc Solaar.

J’aimerais tout d’abord vous présenter Yung Lenox, un jeune gamin de 9 ans qui se qualifie lui-même de rap-portraitist. Il a commencé à dessiner à 5 ans, il a un compte Instagram depuis 2 ans et il cumule 18,8k followers. Plusieurs magazines ont déjà parlé de son travail, une télé a réalisé un documentaire sur lui, il a vendu plus de 1000 posters de ses dessins et a fait l’objet de trois expositions à Seattle.

Il y a pas mal d’enfants-artistes beaucoup plus connus ou reconnus que lui. Si je prends son exemple, ce n’est pas uniquement parce que j’apprécie son travail, c’est avant tout parce qu’il n’est pas particulièrement le fils de quelqu’un et parce qu’il est à mon avis représentatif du nouveau monde dans lequel nous vivons, un monde où 5 barrières fondamentales sont en train de voler en éclat :

  • La distribution : ancienne barrière entre le créateur et son public
  • L’argent : ancienne barrière entre le créateur et son projet
  • Le savoir : ancienne barrière entre désir de créer et création
  • Le diplôme : ancienne barrière entre école et vie active
  • L’organisation du travail : ancienne barrière entre métier et passion

Comme toutes ces barrières sont en train de disparaître, la seule subsistant est la création elle-même et l’Homme qui est derrière avec tout le travail que requiert toute activité artistique. C’est pourquoi la création, la notoriété et même la vie active seront de moins en moins l’apanage des adultes. C’est pourquoi nous allons voir de plus en plus d’enfants comme Yung Lenox créer, vendre, gagner en notoriété et s’immiscer dans ce club privé, jadis réservé aux adultes.

Je vous propose qu’on décortique ensemble les facettes de ce nouveau paradigme pour ensuite réfléchir aux manières de mieux y préparer nos enfants.

La distribution : barrière révolue entre le créateur et son public

Extrait de la vidéo “Le club de ping pong” de Norman, sans doute le comique français le plus talentueux et le plus connu de Youtube

Quand mon entourage me disait qu’il était plus facile de devenir cinéaste quand on était dans le milieu, qu’il fallait des moyens et qu’être talentueux ne suffisait pas, ils avaient raison. Tout créateur a longtemps été tributaire de son distributeur : le musicien de la maison de disque, l’écrivain de la maison d’édition, le cinéaste de la maison de production et des salles de cinéma, etc.

Ce monde est révolu. Pour la première fois dans l’histoire, la distribution est devenue anecdotique grâce à internet. Norman, le fameux Youtuber, en est un très bon exemple : en très peu de temps, ses vidéos ont conquis son public. Il lui suffit de se filmer dans son appartement et de poster ses vidéos sur Youtube. Il n’y a qu’un clic entre Norman et ses abonnés, qu’un clic entre vous et moi, qu’un clic entre un musicien et ses fans, et qu’un seul clic entre Yung Lenox et ses followers, dont je fais partie.

Avant, une création de qualité médiocre mais bien distribuée pouvait avoir un certain succès. Aujourd’hui, nous sommes en transition vers un monde où seuls la créativité et le travail sont l’unique et véritable barrière. À ce propos, les émissions-tremplins comme The Voice ou La France a un incroyable talent deviennent de moins en moins cruciales pour qui veut percer. Je trouve presque ironique qu’une bloggeuse culinaire comme Mercotte, 100% autodidacte, devienne la jury de l’émission Le meilleur pâtissier destinée à apporter de la notoriété à ses candidats.

C’est un peu dur à admettre mais il n’y a plus d’excuses extrinsèques à ne pas réussir ou percer, pour peu qu’on connaisse les outils de distribution comme Youtube, Medium ou Soundcloud.

L’argent : barrière révolue entre le créateur et son projet

Image issue du film “Argo” : le réalisateur à droitée, incarné par B. Affleck, vient demander l’aide de producteurs hollywoodiens au bord de leur piscine perchée au dessus de Los Angeles, symboles d’une ancienne puissance

Ce sujet est très connexe au précédent. Non seulement le créateur n’a plus forcément besoin d’argent pour distribuer son oeuvre ou son produit, mais il a de moins en moins besoin de moyens financiers pour le créer.

Reprenons l’exemple de Norman. Ce dernier a juste besoin d’un trépied, d’une simple caméra et d’un ordinateur pour réaliser l’ensemble des étapes nécessaires à ses vidéos : concevoir, filmer, monter et distribuer. Et le tout à très bas coût.

Je crée moi-même d’humbles courts-métrages sous le pseudo Kalb Ounos. Assouvir ma passion ne me coûte pas un centime, pourvu que j’aie un smartphone pour filmer et un ordinateur pour éditer les vidéos. Il y a 20 ans, il m’aurait fallu investir quelques dizaines de milliers d’euros pour réaliser le même travail.

Le savoir : barrière révolue entre désir de créer et création

Tavi Gevinson, bloggeuse mode, rendue célèbre grâce à son blog “Style Rookie” et ses créations, dès l’âge de 10 ans

En 2006, Tavi Gevinson avait 10 ans. Elle a appris toute seule sur internet à photographier, à blogger, à créer des vêtements et à scénographier ses photos. Elle a eu un tel succès qu’à 13 ans, elle a été invitée par des grandes maisons de mode aux fashion weeks de New York et Paris. Aujourd’hui, à 19 ans, elle est actrice, bloggeuse, activiste et rédactrice dans divers magasines. À 15 ans, elle avait atteint un niveau de maturité et de connaissance bien supérieur à beaucoup de diplômés sortis des grandes écoles de mode.

C’est officiel : tout peut s’apprendre gratuitement sur internet, et en très peu de temps. Deux enfants nigérians de 13 et 15 ans ont appris seuls à créer Lite Crocodile, un concurrent sérieux de Google Chrome et adapté aux connexions lentes, typiques des pays africains. Des exemples comme ceux-là, il y en a à foison et il y en aura de plus en plus. Vos enfants peuvent trouver des tutos Youtube sur tous les sujets possibles et imaginables, des cours gratuits sur Coursera des plus grandes universités américaines, etc.

La distance entre vos enfants et tout le savoir du monde est d’un seul clic

Le diplôme : barrière révolue entre école et vie active

Scène de cérémonie de remise des diplômes du film “Into the wild”

La vie d’un Homme occidental a longtemps été (et le reste encore) organisée de cette manière :

  • les études : une phase d’accumulation des connaissances, acquises au préalable par les professeurs - des hubs de connaissances - puis redistribuées par ces derniers aux élèves
  • le travail : phase d’utilisation de ces connaissances au profit des entreprises et donc de l’économie, en échange d’un salaire
  • la retraite : phase de repos et de loisirs

Ainsi, le diplôme a été mis en place pour valider un ensemble de savoirs - voire de savoir-faire. Il a longtemps marqué la frontière imperméable entre la période de notre vie où on apprenait et celle où on utilisait le savoir accumulé pour gagner sa vie.

L’exemple de notre jeune artiste en herbe Yung Lenox (pas si “en herbe” que ça), qui a déjà vendu 1000 posters de ses créations, montre bien que la frontière entre école et vie active peut devenir de plus en plus floue. Il faut s’y préparer.

copie d’écran de l’e-shop de Yung Lenox

L’organisation du travail : barrière révolue entre métier et passion

Henry Ford, le créateur de la voiture, à qui nous devons entre autres l’organisation du travail telle que nous la connaissons

Le 20ème siècle a été marqué par une organisation du travail héritée de l’âge industriel : des horaires d’arrivée et de départ très précises, généralement du lundi ou vendredi, pour un total de 40 à 80 heures selon les époques et les pays. Le reste du temps de la semaine étant consacré à la vie de famille.

Au vu du temps dédié au travail, nous avons forgé au fil du temps le constat et l’idée que si une femme ou un homme voulait se consacrer à une passion, il ou elle devait en faire son métier, sous peine de s’adonner au mieux 1h par semaine à sa passion dans une asso de quartier.

Quand on y réfléchit, cette fameuse question qu’on pose si souvent aux enfants : “Qu’aimerais-tu faire quand tu seras plus grand ?”, repose sur plusieurs croyances collectives de moins en moins fondées :

  • La croyance selon laquelle un homme ne ferait qu’un seul métier dans sa vie. Depuis mes études d’ingénieur, j’ai fait du conseil aux entreprises, j’ai vendu de la lingerie féminine, j’ai crée deux startup sur l’éducation et le développement personnel dont une qui a échoué, etc. Mon cas s’inscrit dans la tendance de la génération Y à changer de métier très fréquemment
  • La croyance selon laquelle un homme ne ferait qu’un métier en même temps. Il y a un an, à l’époque d’UberPop, j’ai fait la rencontre d’un chauffeur non professionnel atypique. Il s’était rendu compte dans son magasin de pâtisseries orientales qu’il faisait la plupart de son chiffre d’affaires 2h par jour. Il a décidé de n’ouvrir son magasin qu’à ses heures-là et de compléter ses revenues avec son activité de chauffeur, ce qui lui laissait suffisamment de temps pour se consacrer à une association caritative, un rêve de longue date. Voilà l’organisation du travail de demain, éclatée et décloisonnée. Et de telles histoires vont devenir la norme
  • La croyance selon laquelle le seul moyen d’assouvir sa passion est d’en faire son métier. Il m’a fallu des années post-bac pour ne plus regretter de ne pas avoir fait des études de cinéma et surtout pour enfin prendre pleinement du plaisir à réaliser des courts-métrages en amateur, sans contrainte financière et à mon rythme. Aujourd’hui, j’en suis très heureux et je n’ai pas envie d’en faire mon métier

La fracture sociale de demain

Femme devant un miroir, Picasso

Certes, des enfants précoces, il y en a eu de tout temps. Mozart, Picasso et Michael Jackson n’ont pas attendu le 21ème siècle pour se révéler. Mais le changement fondamental provient du fait que ces 5 barrières sont en train de sauter une à une. Par conséquent, le nombre et la diversité d’enfants précoces va augmenter considérablement. D’ailleurs, je pense qu’on ne les considérera plus comme précoces une fois que ce sera rentré dans les mœurs.

Le titre de cet article est délibérément provocateur. Ce n’est pas une fin en soi de devenir un artiste reconnu à 9 ans comme Yung Lenox. Ce n’est pas non plus une fin en soi de gagner un peu d’argent à cet âge-là, comme il le fait par le biais de son père. En revanche, une des grandes fractures sociales de demain risque de se dessiner entre les enfants qui auront attendu leur diplôme pour créer et pour apprendre en dehors des sentiers battus, et ceux qui auront acquis une expérience incroyable faite d’échecs et de réussites grâce à internet et à leur implication dans des projets diverses artistiques ou non, le tout réalisé avec trois bouts de ficelle. En confrontant son travail à sa communauté, Yung Lenox récupère un feedback permanent sur son travail, ce qui le fait progresser à vitesse grand V. D’ailleurs, sa devise est “Live Fast, Draw Yung”.

C’est la réalité de ce siècle. Je suis convaincu qu’il faut maintenant réfléchir tous ensemble aux manières de mieux y préparer nos enfants. C’est ce qui nous a inspiré my100B.

Comment préparer nos enfants à ce changement ?

Père et fils, dans le clip de “Papaoutai” de Stromae
  1. En développant leur créativité. Sir Ken Robinson évoque avec brio cette nécessité dans sa célèbre vidéo TED, à voir et à revoir. L’enjeu principal de nos enfants est qu’ils développent leur créativité dès le plus jeune âge. C’est le sujet que nous abordons en profondeur dans notre atelier “Comment développer la créativité de vos enfants ?”, à destination des parents
  2. En leur apprenant très tôt à être indépendant et autodidacte, notamment grâce à internet. Ça peut paraître trivial mais ça ne l’est pas. Nombreuses sont les personnes, mêmes jeunes, qui n’ont pas le réflexe de la recherche Google et qui ne connaissent pas des outils clés comme Quora, Coursera, Khan Academy ou Codecademy, et qui sous-estiment la puissance de Youtube ou d’une simple requête Google. Si votre fille veut devenir magicienne, ou si votre fils veut apprendre à faire des vêtements, montrez-leur comment apprendre sur Youtube
  3. Apprenez-leur à faire tôt et sans budget. Il n’y a pas d’âge pour faire du cinéma, de la musique ou du dessin. Si j’avais aujourd’hui 8 ans et que je disais à mes parents que j’avais envie de devenir cinéaste, j’aimerais qu’ils me montrent comment faire un court-métrage avec trois bouts de ficelle et un smartphone, et peut-être même qu’on fasse une vidéo tous ensemble, en famille

Un tel état d’esprit pourrait bien changer la vie de vos enfants à tout jamais. En route vers le futur.

Dessin de Yung Lenox

“À l’époque c’était différent. Maintenant, c’est différent.”
Les temps changent, Mc Solaar

A propos de l’auteur, Nouhad Hamam
Je suis un hacker de créativité. La mission qui m’anime est de rendre les gens plus créatifs, et c’est l’objet de la newsletter bimensuelle des Kréatifs.
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Consultant et intervenant en créativité certifié, avec une vocation : rendre les entreprises et les personnes plus créatives. www.nouhadhamam.com