La digital overdose du CAC 40

Hack40
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9 min readSep 4, 2017

C’est la rentrée, on a sorti les gros manteaux mais on contemple encore son bronzage d’été le matin dans le miroir. C’est le moment qu’on adore pour faire le bilan : une période propice à la transition où cohabitent le souvenir du soleil qui réchauffe le corps et la pluie annonçant le retour d’un hiver « sombre et plein de terreur ».

On sort les dossiers des étagères, on souffle dessus pour faire comme s’il y avait de la poussière mais il n’y en pas parce que quand on travaille dans une entreprise il y a une équipe de ménage qui passe tous les soirs.

Et puis on remarque ce dossier rouge et pas très épais sur lequel est écrit : PROGRAMME DE TRANSFORMATION NUMERIQUE DE L’ENTREPRISE.

On l’ouvre et puis on le referme immédiatement, en vérifiant à droite et à gauche que personne nous a surpris en train de faire cette vilaine grimace.

Petit à petit, on le pousse sur le côté de la table en scred et au moment où il s’apprêtait à basculer dans la corbeille, la main alerte de votre N+1 s’en saisit au vol. A l’intérieur de vous-même vous le savez : cette rentrée commence hyper mal.

Parce que dans ce dossier, pourtant initié il y a plusieurs années par la direction ou les ressources humaines, eh bien il n’y a pas grand-chose. Pourquoi ? Comment ?

Je vais vous raconter ce qu’il s’est passé, et si mon histoire ressemble à s’y méprendre à ce qu’il se passe dans votre entreprise, ce n’est pas forcément que j’ai placé des logiciels espions dans votre ordinateur, c’est peut-être que beaucoup d’organisations se sont abimées sur les mêmes écueils, guidées par les malicieuses sirènes de la transformation numérique.

C’était il y a 6 ans, ou 3 je ne sais plus, c’était peut-être même l’année dernière. A cette époque-là, vous êtes revenus du « Internet ça marchera jamais », parce qu’à l’évidence, ça marche quand même pas mal. Et puis il y a eu ce déclic, cette prise de conscience : dans un business pas très éloigné, une boîte un peu comme la vôtre s’est complètement mangée. « Wow, mais elle avait 50 ans cette boîte, que s’est-il passé ? » vous demandez à votre collègue à la machine à café. « Elle n’a pas su négocier le virage numérique » vous répond-il en touillant son gobelet en papier recyclé.

Le virage numérique, qu’est-ce que c’est que ce truc encore ? Curieux et persévérant, vous vous renseignez et vous documentez : uberisation, transformation, digitalisation, désintermédiation, économie du partage, innovation, silicon valley, startups et levée de fonds … la curiosité devient angoisse, puis l’angoisse laisse sa place à la panique : si on n’agit pas maintenant, nous allons mettre la clef sous la porte, c’est une évidence.

Réunion extraordinaire, la direction — alarmée par les preuves que vous avancez — vous donne la responsabilité du pôle digital / open innovation / transformation / diversification / nouveaux modèles (rayez la mention inutile). Ce projet vous tient à cœur et vous allez tout faire pour sauver cette entreprise d’une mort certaine. Mais les choses se compliquent. Alors que vous commencez à peine à rencontrer des experts pour qu’ils éclairent votre lanterne, vous découvrez une réalité délirante : la transformation numérique, c’est une cour des miracles, un freak show où vous allez voir défiler tout et n’importe quoi. Petit florilège qui vous rappellera sûrement quelque chose.

Les Gourous

On est bien forcé de l’admettre : le gourou a une aura fascinante. Bien souvent il a un titre inventé de toute pièce, qui n’est pas sans rappeler les titres des héros du moyen-âge. Voici Bill Gaginet, pourfendeur du dragon rouge, duc des réseaux et digital champion. Et lui, c’est Goderic Manzana, Grand Esprit des Startups et Collaborative Ninja. Pour le reconnaître sur les réseaux sociaux c’est très simple : sur son avatar il apparaît soit avec un micro à la main (variante : le micro tour de tête), soit sur une capture d’écran d’émission de TV, soit face à l’objectif, le menton entre les mains et les sourcils froncés, certainement pour rendre hommage à Steve Jobs.

Le Gourou a de l’expérience : il a dirigé de nombreuses startups, a travaillé ou collaboré avec des géants de la Silicon Valley et a écrit un ou plusieurs livres. Souvent, il a même l’oreille des hommes politiques. Pas sûr que ce soit une bonne nouvelle, cependant. Ses principales qualités sont le storytelling et les punchlines qu’il assène à l’envie. Son mode opératoire ? La conférence. Un grand shot d’inspiration pour son audience, des métaphores filées et bien ficelées, quelques prédictions basées sur des études non sourcées et une petite citation d’un homologue anglo-saxon : emballé, c’est pesé.

Il est malheureusement plus rare de le voir les mains dans le cambouis en train de co-construire des solutions avec les collaborateurs de l’entreprise qui se paye ses services. Le résultat : une grande bouffée d’air frais et d’espoir pendant deux heures, et puis après, de retour devant mon écran 12 pouces sous Windows XP, je me demande comment diable je peux « repenser l’user experience avec une stratégie mobile-first bottom up ». Alors je lance Excel, comme hier, et finalement rien n’a changé.

Le zoo startup

Quoi de mieux pour comprendre “l’esprit startup” que d’aller les visiter dans leur réserve naturelle ? Lieux d’innovation, incubateurs, fablabs : c’est parti pour le petit Safari du Sentier dans lequel votre guide, chapeau colonial sur la tête, se fendra de quelques blagues préparées à l’avance sur l’uniforme basket — t-shirt et sur la différence d’âge. Les plus chanceux pourront même leur parler, mais merci de ne pas les nourrir : c’est le business model du tour operator. Certains tenteront même de placer des collaborateurs sur place, comme si se sentir proches de jeunes entrepreneurs allait changer le mindset de toute une entreprise. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui ont trouvé l’amour pendant un speed dating.

Le hackathon

Le hackathon est un produit magique qui guérit tous les maux. C’est une sorte de Synthol numérique. Du mal à recruter des jeunes, la marque-employeur n’est pas assez sexy ? Un hackathon en pommade. Les collaborateurs sont mécontents car on a supprimé le séminaire au Maroc ? Un hackathon en gélule à prendre après les repas. Les actionnaires trouvent qu’on ne sort pas assez d’innovations ? Un hackathon, en suppositoire, tous les soirs pendant une semaine.

Le hackathon est un moyen, pas une finalité. Ce n’est ni un résultat, ni un projet en soi : c’est une méthodologie. Alors avant d’accepter cette proposition de l’agence Transformeo, il y a quelques questions à se poser.

Un hackathon, et après ? Que reste-t-il de ces 3 jours de travail non-stop ? Des prototypes viables ? Qui donneront naissance à de futurs produits qui feront gagner de l’argent à l’entreprise ? Des collaborateurs qui ont appris de nouvelles méthodes de travail ? Et qui vont les implémenter dans les process du quotidien ? Une direction qui s’engage à incuber les projets ? Un impact sur les collaborateurs qui n’y ont pas participé ? Si les réponses à ces questions sont négatives, alors vous n’avez pas besoin d’un hackathon, mais surtout d’un bon coup de comm.

Le digital day

Peu de gens connaissent cette anecdote historique, mais le digital day ne s’est pas toujours appelé de cette manière. Avant on appelait ça des foires. Des marchands ambulants, des charlatans, des acrobates et des comédiens venaient des 4 coins du monde pour présenter spectacles, tours de passe-passe et le Révolutionnaire-Eplucheur-de-Patate-regardez-mesdames-et-messieurs-je-tourne-la-manivelle-et-la-patate-est-épluchée-le-troisieme-offert-pour-deux-achetés. Aujourd’hui c’est un peu la même chose, mais avec du numérique à l’intérieur. D’ailleurs, pour les collègues du secteur, je vais vous épargner un peu de temps en vous donnant le plan d’une bonne reco d’un Digital Day :

- 4 stands avec les 4 technos à la mode dans le dernier rapport PSFK (un drone, un casque de réalité virtuelle, une imprimante 3D et un robot)

- Plein de goodies pour les visiteurs (dont des clefs usb et des coques d’iPhone « pour faire digital »)

- Un hashtag imprimé en gros quelque part (même si 1% des collaborateurs seulement sont sur Twitter)

- Un « passeport digital » à distribuer à tous les participants qui ont visité les stands

- Et Bill Gaginet et Goderic Manzana en conférence le matinDe rien.

Tout cela vous semble familier ? Tu m’étonnes. Nous voici donc au point de rupture : vous enchaînez les réunions avec des charlatans qui vous vendent des conférences à 10k€, votre budget est rikiki et votre boss commence à s’impatienter de ne rien voir sortir. C’est triste, mais vous en arrivez là : vous organisez un hackathon.

Un petit coup de comm pour la boîte qui développe son « pôle innovation » et qui montre qu’elle fait un premier pas dans sa transformation numérique. Les collaborateurs sont heureux, votre boss satisfait. Que demandez de plus ?

6 ans, 3 ans ou un 1 an plus tard, à l’heure du bilan, qu’est-ce qu’on a réellement transformé ? Les indicateurs de mesure sont hyper simples, on va le faire sous forme de quizz comme sur Buzzfeed.

A l’issu de mon programme de transformation numérique :

a. On a créé et vu émerger de nouveaux métiers

b. J’ai mangé à la table de mon boss à la cantine

c. J’ai eu un article sur CBNews, j’étais plutôt content

Quand je regarde les résultats financiers de ma boîte, je suis fier :

a. De calculer qu’au moins 5% du CA vient de business model qui n’existaient pas il y a 6 ans

b. De m’apercevoir que ma filiale sera celle qu’on fermera en dernier, ouf !

c. De voir que notre action a moins perdu que les concurrents

Quand je me lève le matin :

a. Je me dis que franchement, c’est du boulot, c’est long, mais ça vaut le coup quand je regarde les résultats et puis, est-ce qu’on a vraiment le choix ?

b. « Ces histoires de coupe budgétaire, ça m’arrange pas vraiment pour rembourser le crédit de ma BMW »

c. Je me regarde dans le miroir et je me dis que franchement, y’a des métiers pires que le mien. Et puis les hackathons, c’est fun !

Un maximim de a. ? Bravo, vous avez entrepris un programme de transformation numérique qui donne des résultats et qui fait entrer votre entreprise dans une nouvelle ère. Nouveaux métiers, nouveaux business, nouveaux modèles. Le mindset s’étend à d’autres collaborateurs, d’autres filiales. La transformation est mesurable et mesurée. C’est long, c’est fatiguant et ça fait parfois vraiment, vraiment flipper. Guess what ? C’est ça la transformation numérique : c’est du risque, c’est sortir de sa zone de confort. Bravo de vous lever tous les matins avec la même persévérance et le même courage. Vous êtes sûrs que vous ne travaillez pas avec le Hack40 ?

Un maximum de b. ? Le train est parti sans vous. Vous êtes resté sur le quai mais manifestement ça vous est égal. C’est un peu triste mais on ne peut pas grand-chose pour vous. On se voit de l’autre côté.

Vous avez un maximum de c. ? Vous avez pris conscience de l’importance du numérique dans le monde aujourd’hui. Mais vous avez pris le parti du moindre effort, celui de la conférence de Bill Gaginet. On ne veut pas vous faire peur mais la transformation numérique c’est pas un workshop sorti de nulle part tous les 3 mois. C’est un programme soutenu, long et risqué.

Si vous avez conscience de ça, et que vous voulez changer, que vous êtes prêts à risquer, tester, confronter, inventer de nouveaux modèles, changer vos métiers et construire de nouvelles solutions, alors nous pouvons probablement travailler ensemble.

Le Hack40 est un collectif d’entrepreneurs qui en a assez de voir les grands groupes échouer leur “transformation numérique” à trop fricoter avec des boîtes de consulting qui leur vendent de la poudre de perlimpinpin. Pour nous, la transformation d’un modèle est inutile si on ne peut en mesurer les résultats et surtout si ça n’implique pas les salariés des entreprises. Pour nous, le numérique c’est d’abord une culture et des méthodes, qui passent par la co-création et le feedback utilisateurs. Et dans une boîte, l’utilisateur, c’est le salarié.

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