Comment OVNI(s) et 3615 Monique ont ressuscité l’informatique française des années 70–80

vincent d'internet
hello les gens,
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8 min readMar 10, 2021
Illustration réalisée par le sémillant Simon Dronet

En début d’année, et à quelques jours d’intervalle, j’ai regardé deux séries françaises se déroulant à une période charnière de l’histoire française : le virage des années 1980. La fin de la France giscardienne pour OVNI(s) (Canal+) et la bascule dans la France de Mitterrand pour 3615 Monique (OCS). Dans la première, on suit la très moquée (mais bien réelle) équipe du GEPAN, chargée d’enquêter sur les Objets volants non identifiés. Et dans la seconde, c’est l’émergence du Minitel Rose que l’on raconte à travers l’histoire d’étudiants débrouillards, bien décidés à profiter du filon Made in France.

Si les sujets divergent, les deux séries se rejoignent pourtant sur un point : l’omniprésence du matériel informatique d’époque.

Et comme je garde moi-même jalousement un Minitel dans ma chambre et que je voue une obsession étrange pour le matériel informatique du siècle dernier, j’ai eu envie de contacter deux des accessoiristes ayant travaillé sur 3615 Monique et OVNI(s) : Laurent-Stéphane “Lolo” Laurent pour la série d’OCS et Dominique Carlier pour celle de Canal+. Ensemble, ils m’ont présenté leur métier et comment ils ont ressuscité une partie de l’histoire informatique française pour ces deux séries.

Collectionneurs

Cela fait plus de trente ans que Lolo, qui en a aujourd’hui 55, travaille dans le milieu. D’abord comme chauffeur grâce à son permis poids lourds. “J’ai rencontré des décorateurs qui m’ont fait tomber amoureux de ce métier, raconte-t-il lors de notre échange. J’ai fait un peu tous les métiers, mais l’accessoirisation a quelque chose de magique, c’est le seul poste de la déco en constante relation avec le plateau.” Il multiplie les expériences dans des téléfilms, des courts et longs-métrages, et récemment donc 3615 Monique. “Sur ce projet, j’avais quasiment l’âge que le personnage principal a dans la série au début des années 1980, raconte-t-il. J’ai donc pu intégrer des objets que je conserve précieusement, comme mes jeux Game & Watch, mes Rubik’s Cube d’époque, pour donner vie à sa chambre.” Fils d’antiquaire, il a lui même pris la relève un temps et explique toujours vivre avec une collection d’objets qui lui tiennent à coeur, et notamment des consoles et autres jeux vidéo de son adolescence.

Dominique Carlier, de son côté, est, à 47 ans, un “petit jeune” dans le monde des accessoires de tournage. Mais lui aussi est un grand collectionneur. Originaire de Belgique, il s’intéresse très tôt par l’informatique et commence à récupérer des machines d’époque. “Je me suis mis à cumuler de façon totalement compulsive des machines, des ordinateurs pour la plupart, et à les restaurer pour les maintenir fonctionnelles, raconte-t-il. Je vis au milieu de mes machines.” Après avoir fait du PAO, du web design, de l’intégration et de la programmation, ses premiers pas dans le monde de la déco et de l’accessoire se font au début des années 2010 grâce à des amis, qui réalisaient une web séries et cherchaient des ordinateurs anciens pour leur projet. “De là, je me suis fait quelques contacts, dont un chef déco, qui m’a propulsé sur le décor du film La French, avec Jean Dujardin. J’ai dû réaliser un open space de commissariat new-yorkais des années 1980.” Dans la foulée, il lance son entreprise, Acting Machines, qui lui permet de se faire un nom sur un créneau bien particulier. “J’ai réalisé que c’était une niche très vide dans le milieu : beaucoup de gens sont disposés à prêter des machines non-fonctionnelles. Mais très peu avaient des machines fonctionnelles. J’avais trouvé de quoi justifier ma folie de collectionneur.”

Pour une poignée de cerises chez les brocanteurs

Lorsqu’il a été contacté pour travailler sur OVNI(s), Dominique possédait déjà toutes les machines nécessaires, notamment pour meubler le bureau de Rémy (incarné par Quentin Dolmaire), l’un des membres du GEPAN, le groupe chargé d’étudier les objets volants non identifiés. “Comme on m’avait dit qu’il y aurait des interactions entre Rémy et les machines qui l’entourent, j’ai proposé des machines que j’avais et qui étaient fonctionnelles, utilisables, explique-t-il. Il y a notamment un UTS 40 de Sperry Univac et son Subsystem modèle 8406. L’UTS 40 a été conçu en 1979 et commercialisé en 1980 mais ressemble fort à des modèles plus anciens de la même série ce qui rend la machine assez raccord visuellement avec l’année 1978.”

Ci-dessus : extraits de la série OVNI(s) (Canal+/ Montebello Productions) et ci-dessous des photos de tournage transmises par Dominique Carlier.

Du côté de 3615 Monique, il a fallu acquérir un large stock de Minitels, dans deux versions différentes : le Minitel 1 sorti en 1981, et la version suivante, noire avec clapet. “La chance qu’on a, c’est que beaucoup de Français ont possédé un Minitel, et il suffit de faire des brocantes ou d’aller sur Le Bon Coin pour en trouver en échange d’une poignée de cerises, confie Lolo. On a juste dû donner un coup de peinture à certains Minitel pour leur redonner l’aspect de l’époque.” Certains appareils en revanches, sont devenus plus onéreux ces dernières années, comme le précise Dominique : “Non seulement ces objets sont devenus une mode vintage, y compris auprès de jeunes qui n’étaient pas nés à l’époque, mais en plus ils sont devenus rares : soi ils ont été récupérés par des collectionneurs qui ne s’en sépareront qu’à un prix d’or, soi ils ont été détruits ou très endommagés par le temps.”

Ci-dessus, on aperçoit notamment deux modèles de Minitel utilisés dans 3615 Monique (OCS / Mon Voisin Production / Fabien Campoverde) et ci-dessous, des images de tournage transmises par Lolo.

A cette “fouille archéo-numérique” s’ajoute un autre enjeu : l’équilibre nécessaire entre une réalité historique et besoins artistiques des séries. Typiquement, le modèle de Minitel montré par le personnage de Rémy dans une scène OVNI(s) n’était en réalité pas encore sorti à la fin des années 1970. “Il y a aussi des magasins de cartouches qui dataient de 1984, mais qui étaient tellement beaux visuellement que je les ai proposés, ajoute Dominique. Quand il y a parfois des choses qui ne collent pas parfaitement avec l’époque, je le signale, évidemment. Mais tout dépend de la volonté des créateurs, c’est leur vision qui doit primer.” “C’est l’état d’esprit global de la série en question qui compte, peu importe s’il y a de petites incohérences de temps en temps”, confirme Lolo.

Ecrans noirs et écrans verts

Une fois les ordinateurs sélectionnés et installés sur le plateau, il faut choisir le degré d’interaction possible avec ceux-ci. C’est le coeur du métier de Dominique, qui insiste : si l’équipe de tournage a fait appel à quelques incrustations, toutes ses machines sont fonctionnelles et peuvent être utilisées. Ce qui permet, selon lui, de permettre à l’acteur de ne “plus avoir à jouer une réaction face à un écran éteint”. “Pour la série, j’ai même écrit un programme qui permet d’encoder des cas d’OVNI, ajoute-t-il. Et comme la base de données était vide, j’ai demandé aux scénaristes de me donner des cas d’OVNI à encoder, afin de pouvoir nourrir le programme et sortir des statistiques.”

A sa plus grande surprise, Quentin Dolmaire, qui incarne Rémy, était très à l’aise pour utiliser l’ordinateur ou même charger des bandes magnétiques. “Dans une scène, où il est censé hacker une machine, je lui ai juste appris quelques commandes qui permettaient d’afficher automatiquement, une fois validées, un pâté de code en hexadécimal.”

L’un des making-of d’OVNI(s), qui n’aborde pas directement les ordinateurs, mais s’intéresse aux différents décors de la série.

Technicien et perfectionniste jusqu’au bout, Dominique va même jusqu’à proposer de régler les écrans pour éviter ce qu’on appelle les effets de flickering, un balayage lumineux survenant lorsque leur fréquence n’est pas synchronisée avec la vitesse d’obturation de la caméra.

L’équipe de 3615 Monique a préféré, pour sa part, reposer sur des incrustations numériques en post-production. “Je ne suis pas aussi expert que Dominique”, s’amuse Lolo, qui reconnaît volontiers qu’une machine, si elle est interactive, peut devenir à son tour une actrice à part entière. “Sur 3615 Monique, nous n’avons même pas posé d’écran vert sur les Minitel. On a fait jouer les comédiens comme s’ils tapaient vraiment à l’écran. Et ensuite, pour peu que la caméra ne bougeait pas trop, on a pu ajouter le texte en fonction de leur vitesse de frappe sur le clavier.” L’important, explique-t-il, était de mettre l’accent sur le jeu des comédiens, et notamment parce que la série tourne beaucoup autour de la mise en scène du Minitel Rose et de la tension des dialogues entre les héros et leurs clients. “Le réalisateur donnait les réponses directement aux acteurs en plateau, cela permettait de créer les réactions attendues. Rajouter le texte ensuite a permis de se concentrer sur l’instant, le non-dit, sans se soucier de l’aspect technologique.”

Images de tournage de 3615 Monique transmises par Lolo.

Servir l’atmosphère

Entre les lignes de la discussion que j’ai eu avec Dominique et Lolo, on devine l’enjeu profond du métier d’accessoiriste : les objets sont importants, mais c’est leur mise en scène qui les rendra essentiels.

“Il y a les machines, mais il y a aussi le reste, les autres objets plus anodins. Dans la chambre de Simon, on a aussi mis des bouteilles de Cacolac avec l’étiquette d’époque, des paquets de chips qui traînent et sont cohérents”, raconte Lolo. Des objets que le spectateur ne remarquera peut-être pas, mais qui vont parfaire le tableau proposé. “Si on ne fait que déposer des objets sur une table, cela ne fonctionne pas, ajoute Dominique. C’est un vrai métier de les disposer de manière vivante. Sans le travail des accessoiristes et des décorateurs sur OVNI(s), mes ordinateurs ne tiendraient pas la route. Ce sont eux qui pensent aux cendriers, aux clopes à moitié consumées, aux papiers éparpillés.”

La chambre de Simon dans 3615 Monique (images de tournage de transmises par Lolo).

“Très humblement, il faut vraiment remercier les créateurs de la série, les comédiens qui se sont adaptés aux besoins des accessoires, les costumiers et ceux qui gèrent la lumière évidemment, conclut Lolo. Ce sont eux qui subliment notre travail, qui rendent nos accessoires vivants.”

OVNI(s) est disponible sur MyCanal et 3615 Monique sur OCS. Je vous les recommande fortement, tout comme je vous recommande le site de Simon Dronet, qui a gentiment réalisé l’illustration qui accompagne cet article. Merci à lui, à Dominique et à Lolo.

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