L’aventure inattendue d’Antoine et Daniel Croute
Les streameuses BagheraJones et Horty, créatrices des terribles Antoine et Daniel Croute, racontent comment elles ont donné vie aux personnages les plus ingérables et attachants du RPZ, un événement inédit dans le milieu du stream français.
[Cet article a été co-écrit avec Freezze2, un grand merci à lui et à sa connaissance encyclopédique du RPZ. Un grand merci également à Copain du Web pour cette très belle illustration et aux membres du Gdoc.fr pour leur travail de fond sur le recensement de chaque arc narratif du RPZ]
Définir le GTA RP est complexe tant il peut prendre différentes formes. Mais l’on peut tenter de le résumer en expliquant qu’il s’agit d’une version modifiée du GTA V originel, reposant sur le jeu de rôle (“roleplay” ou “RP” en anglais). Ce format, qui existe pour d’autres jeux, est né il y a plusieurs années déjà et a connu un franc succès dans le monde du streaming. Il permet à des dizaines, voire des centaines, de joueuses et joueurs de se retrouver sur un serveur taillé sur mesure et d’incarner un personnage tout droit sorti de leur imagination. Chacun.e a alors le loisir d’élaborer sa propre histoire, choisir un métier, interagir avec les autres joueuses et joueurs et d’élaborer avec eux un scénario souvent rocambolesque, et parfois un peu chaotique.
Lors du dernier Zevent, événement caritatif créé sur Twitch par Zerator, l’un des paliers de dons proposait aux streameuses et streameurs volontaires de se lancer dans une partie de GTA RP. C’est ainsi qu’ont été lancés en avril dernier un serveur spécial et un événement inédit, appelé RPZ.
Treize jours durant lesquels plus de 70 streameuses et streameurs, ainsi que leur +1 (pour permettre de peupler un peu plus encore le serveur) ont donné vie à la ville de Los Santos et captivé des dizaines de milliers de viewers chaque soir sur Twitch. Parmi eux, des stars de la plateforme comme Ponce ou Antoine Daniel dans les rôles de Donatien de Montazac et Fabien Torez. Mais alors que le serveur fermait ses portes le 4 mai au soir, ils étaient nombreux à saluer la performance surprenante d’Antoine et Daniel Croute, deux cousins ingérables créés par BagheraJones et Horty.
Aujourd’hui, avec le sémillant Freezze2, on vous propose un récit de leur aventure, mais racontée du point de vue des deux streameuses, qui n’avaient pas prévu un instant l’ampleur prise par cette échappée virtuelle.
Sur Twitch, Justine est connue sous le pseudonyme de BagheraJones et Hortense sous celui d’Horty_. Toutes les deux sont streameuses, et complices depuis plusieurs années. Horty explique même que Baghera l’a beaucoup inspiré quand elle-même a décidé de se lancer dans le stream. Alors quand la première propose à la seconde d’aller s’amuser sur ce serveur de GTA, l’hésitation ne dure pas longtemps, et ce malgré leur inexpérience complète dans le domaine du RP. Les deux amies suivent vaguement les préparatifs, sur un Discord créé pour l’occasion. Horty n’est même pas sur le serveur les premiers jours, ne sachant pas si elle-même a le droit d’y accéder.
« J’étais très extérieure à toute la préparation », reconnaît Horty. Et Baghera d’avouer, amusée : « On a même failli ne pas lancer le premier live GTA RP car on avait un peu la flemme. » Fort heureusement pour le RPZ, leur curiosité sera plus forte. L’apprentissage des règles du jeu sur le tas, dans le feu de l’action. Un hommage avant l’heure, peut-être, aux personnages qu’elles incarneront.
Elles savent par ailleurs que bon nombre des streamers du Zevent débutent également dans cet univers. L’équipe d’organisation, Zerator en tête, ont donc prévu des adaptations in-game, comme la possibilité d’être soigné après un accident normalement mortel. « Si on avait vraiment suivi le RP, on serait morts au bout de deux minutes », estime aujourd’hui Baghera. Quelques heures avant le lancement, les organisateurs le réaffirment : leur objectif est de leur permettre d’appréhender l’exercice de la manière la plus décontractée possible.
« La seule obligation que l’on a eue, c’était de ne pas empiéter sur le RP des autres, précise Horty. C’est-à-dire d’empêcher des interactions ou de venir mettre des bâtons dans les roues. » L’idée, derrière cette règle, est aussi simple qu’essentielle : chaque arc narratif est important, et chaque personnage n’a pas pour obligation de venir en aider un autre. « Je sais que les organisateurs pensaient que le serveur prendrait une tournure « gang contre police », se souvient Baghera. Mais finalement, ça n’a pas été le cas du tout, il y a eu beaucoup de civils, de backgrounds très développés et de gens motivés pour monter des entreprises. » Dans GTA RP, les joueurs peuvent en effet lancer leur affaire et espérer faire fortune, à l’instar des vignerons sans scrupule Montazac & Torez.
Le ton est donné : du fun, avant tout. Et si possible, de belles histoires.
« Croute c’est drôle, Antoine et Daniel aussi, et voilà »
Mais avant de plonger dans Los Santos, Hortense et Baghera ont dû créer leur avatar. Des personnages qui les suivront pendant près de deux semaines, in game et en dehors.
Quand on leur demande comment Antoine et Daniel Croute sont nés, les réponses fusent : « On n’a pas réfléchi une seule seconde », avoue Horty. « On avait vraiment le pire background de la Terre, renchérit Baghera. On s’est dit juste « Ça ça serait marrant, ok let’s go. Croute c’est drôle, Antoine et Daniel aussi, et voilà. » » Un rapide message envoyé à Antoine Daniel leur permet de valider cet alias clin d’œil. Et c’est à peu près tout. Les deux streameuses n’ont pas puisé leur inspiration chez des duos de comiques connus, et leur fiche biographique au début de l’aventure tenait en quelques mots à peine : deux cousins adolescents, un peu bêtes et extrêmement fans des autres personnages sur le serveur.
« Cela nous donnait une excuse pour approcher tout le monde, détaille Baghera. Mais ce n’est pas du tout resté quand on s’est lancées. » Très vite en effet, la dynamique déjà existante entre les deux amies prend le dessus dans le parcours et la caractérisation des Croute, qui deviennent leur caricature, une version extrême d’elles-mêmes, permettant de différencier leurs deux caractères. Et notamment grâce à un Antoine que Baghera présente elle-même comme un « bouffeur d’espace ». Lors des échanges avec d’autres personnages, Antoine aura en effet tendance à répondre en premier, sans réfléchir, et à devenir le cousin référent du duo. Dans le téléphone des joueurs, l’ordre alphabétique voulait que celui-ci apparaisse également plus haut dans la liste de contacts. « Les gens avaient donc plus naturellement tendance à aller parler à Antoine en laissant un peu Daniel de côté, note Horty. Mais cela a aussi permis de développer mon personnage sur d’autres choses. » Daniel, de son côté, va en effet construire une identité plus réfléchie, plus mature que celle de son cousin, pour peu que les plantages réseau ne viennent pas perturber l’aventure de sa créatrice.
Détail intéressant : Horty et Baghera sont les seules participantes à avoir interprété des personnages d’un sexe différent lors de ce RPZ. Un choix d’autant plus notable que, au sein de la communauté RP, certains serveurs interdisent ce type de choix. « Comme pour tout le reste des personnages, on n’avait pas réfléchi précisément à cet aspect-là, reprend Baghera. Après, je pense clairement que les Croute auraient été perçus différemment s’ils avaient été des filles. » « Cela aurait répondu à d’autres archétypes qui n’étaient pas du tout ceux qu’on visait », ajoute Horty.
Le 21 avril en début de soirée, Antoine et Daniel Croute débarquent donc à l’aéroport de Los Santos, bien déterminés à trouver leur place dans cette ville gigantesque. Mais les lives respectifs d’Horty et Baghera sont pourtant lancés en toute discrétion, sans écran d’attente ou de salutation au chat. Une façon de trouver peu à peu leurs marques, et de s’immerger naturellement dans cet univers encore méconnu.
Après un accident de moto « loin des caméras », le public les découvre enfin dans une boutique de vêtements, en pleine discussion avec Donation de Montazac et Fabien Torez, respectivement incarnés par Antoine Daniel et Ponce. « On n’avait pas calculé nos interactions, raconte Baghera. Et pourtant tout nous a menés à Donatien : c’est lui qu’on a renversé à moto devant l’aéroport, c’est lui qu’on croise dans la boutique, c’est avec lui qu’on a eu notre première altercation négative. » « L’adversité que traversaient nos personnages nous a vraiment permis de vivre des trucs dingues en permanence, note Horty. On a dû broder avec chaque événement pour rendre le tout cohérent, mais c’est ce qui a permis aussi de ne pas forcer tous les petits moments symboliques qui surgissaient. On n’a vraiment rien calculé sur nos choix d’interactions, et on a même plutôt essayé d’aller vers tout le monde. » Un choix qui, plus tard, se retournera aussi contre les deux personnages, que leurs créatrices décrivent comme de véritables éponges, sensibles à chaque rencontre et événement survenus dans leur escapade.
L’hôpital, où les Croute démarrent comme stagiaires, devient vite leur QG et un lieu de rencontre puisque, GTA RP oblige, de nombreux joueurs vont passer par le service d’urgences du Los Santos Medical Service (LSMS). Plus tard, c’est leur stage au vignoble et la passion des cousins pour les vols de camions qui créera ces interactions tant espérées avec chaque joueuse et joueur du serveur ou presque.
« Oh non, c’est les Croute », pouvait-on régulièrement entendre dans leur sillage. Comme si leur simple présence garantissait l’émergence de problèmes imminents. Puis, peu à peu, l’image du duo s’est transformée, passant de l’inquiétude amusée à la bienveillance complice. En premier lieu parce que les personnages de Los Santos ont compris que leurs « bêtises » étaient rarement volontaires. Et même qu’elles étaient plutôt le témoignage d’une envie de s’intégrer, de « bien faire ». Si Antoine et Daniel ont coincé le véhicule des Urgences dans une bouche d’entrée de métro et noyé un camion Montazac & Torez, il y avait d’abord une envie maladroite de montrer digne de la confiance qu’on leur accorde.
Et c’est peut-être là l’origine de leur succès : le burlesque candide, qui surgit à chacun de leur mouvement ou de leurs prises de parole.
Humour émergent
Sur Twitch, en général, les bons streameurs et streameuses se distinguent souvent par leur capacité à animer une discussion, à créer du lien avec leur chat, et à transformer chaque imprévu (un souci technique par exemple) en source de divertissement. Jouer la comédie, ou interpréter un rôle, représente presque l’extension naturelle de leur métier. Quiconque a déjà suivi des lives d’Horty ou Baghera connaît leur talent pour l’improvisation ou la répartie. Il était donc tout naturel de retrouver la même dynamique au sein du RPZ, qui plus est entre les deux amies. « L’adversité », mot-valise qui représente chaque difficulté rencontrée par les cousins devient une expression récurrente, un crédo presque, attendu avec délectation par les viewers. Le duo trouve vite son propre rythme de « jeu » : à chaque interaction, les cousins prennent un malin plaisir à entretenir la confusion de leurs interlocuteurs, à bousculer aussi bien les règles de la logique que celle du serveur. En quoi traverser un lac en camion serait-elle une mauvaise idée ? Les kartings ne seraient-ils pas des moyens de transport comme les autres ? Quelle règle interdit de danser sur une voiture de Formule 1 en mouvement ?
Un running gag important pour Antoine consistait à appeler son patron Donatien pour lui raconter, le plus rapidement possible, l’enchaînement d’événements invraisemblables survenus dans leur journée, avant de raccrocher sans attendre de réponse, et en enrobant le tout d’un « bisou ». Les Croutes sont des enfants, Los Santos leur bac à sable. Tout peut se construire, mais tout peut se détruire aussi.
« Le plus difficile, c’était de rester sobre quand on sentait que les gens autour de nous allaient craquer, note Horty. Mais même entre Baghera et moi, on ignorait ce que voulait faire ou répondre l’autre, et je disais des choses qui, je le savais, pouvaient la faire craquer. »
Les nombreux bugs du jeu ont également représenté un challenge de taille : comas incompréhensibles, disparitions sous la map, crash du jeu, bras bloqués… Chaque problème technique ou visuel aurait pu casser l’immersion des joueurs et du public. Mais plutôt que de faire comme si ces bugs n’existaient pas, les streameuses et streameurs les ont pleinement intégrés à leurs péripéties. Lors d’un mariage, Antoine disparaît sous l’église sans prévenir et se retrouve malgré lui coincé dans le métro. L’occasion de créer une tension narrative, puisque celui-ci va demander à son cousin de retarder la cérémonie jusqu’à son retour. « A chaque fois que l’on disparaissait sans explication, ou que le jeu sautait, on disait qu’on faisait des combustions instantanées sans gravité, détaille Horty. Et quand on se retrouvait bloquées dans un lit d’hôpital, on expliquait que nos muscles ne répondaient plus parce que le matelas était trop confortable. » Ces moments, au fond, sont comparables à l’improvisation théâtrale, où chaque protagoniste doit faire face à l’imprévu et maintenir au mieux la cohérence du récit. Beaucoup de viewers se souviendront ainsi de cette scène où Donatien et Antoine roulent en voiture, désynchronisés par le serveur. Pendant que le jeune adolescent pensait faire son chemin tranquillement, son employeur le voit accélérer en vain contre un arbre. Un moment impossible à rationaliser, mais qu’Antoine a décidé d’expliquer, avec sa naïveté habituelle : « Je crois qu’on a des problèmes d’yeux. »
Passé minuit, et de façon tacite, les streameuses et streameurs ont régulièrement mis en pause leurs intrigues respectives pour s’offrir des moments de relâchement. Des parenthèses souvent bienvenues et n’ayant que très peu d’impact sur la narration globale du RPZ. « Je me souviens d’une soirée qui avait mal démarré et où Roy [interprété par Lutti, NDLR], était venu nous proposer de faire du saut en parachute avec nos voitures, raconte Horty. Il l’a proposé car il savait que l’on avait besoin de rire un peu. » A raison : Roy, après s’être présenté comme un expert en sports extrêmes, se jette dans le vide en oubliant son parachute, sous le regard médusé de Daniel. Lui-même, quelques jours plus tôt, avait également connu un saut catastrophique depuis un hélicoptère. Moment immédiatement transformé en clip par les viewers et partagé sur les réseaux sociaux.
Car très vite, sur les réseaux sociaux, les Croute deviennent ce qu’on appelle des « fan favorites ». Les fan arts pleuvent sur Twitter, certains comptes se rebaptisent « Croute stan account », et d’autres lancent une pétition ou s’amusent à remonter les moments forts de leurs échappées, en multipliant des points de vue et les angles de caméra. Une série Youtube va même bientôt faire son apparition.
Dans cette partie d’internet, et alors que les blagues méta se multiplient, il y a désormais ceux qui comprennent la blague du « bisou », et les autres. Ceux qui répondent présents à chaque live, et ceux qui luttent avec leur peur viscérale rater le prochain moment voué à devenir culte. « C’est génial de voir que les Croute ont touché autant de gens, d’autant plus que c’était de l’improvisation pour nous et qu’on était aussi spectatrices », confesse Horty, qui a aujourd’hui encore du mal à mettre les mots sur les émotions que le RPZ et l’engouement général pour les deux cousins ont généré.
Vrai RP et faux RP
Pour autant, l’événement a soulevé quelques débats sur ce qui relevait du « vrai » RP et ce qui relevait du « faux » RP. En effet, les joueurs de RP les plus rigoureux refusent catégoriquement de sortir de leurs personnages, de briser le quatrième mur. Sur certains serveurs, la mort d’un personnage est ainsi définitive. Si les streameurs du RPZ ont pour beaucoup caché leur caméra en live, ils étaient nombreux à faire quelques écarts dans leur immersion. Les alertes de sub continuaient à apparaître sur les écrans de certains. Mais là encore, rappelons qu’il s’agissait pour l’immense majorité de novices dans ce genre très particulier de jeu vidéo.
« Au début, je ne parlais pas du tout au chat parce que je pensais que ça ne se faisait absolument pas », raconte Horty. J’étais juste totalement dans le jeu. Mais on m’a dit que je pouvais faire des pauses, pour répondre aux viewers. » Baghera, elle, a suivi la démarche inverse : après avoir remercié des viewers pour des subs ou des streamers pour des raids, elle finit par se plonger pleinement dans le RP. Seule exception : lors de bugs majeurs ou des désormais célèbres « comas » de Baghera, qui détient le record du RPZ avec un score improbable de 45. Pour faire patienter son audience en attendant les secours, elle a plusieurs fois décider d’improviser une chanson. Une façon originale de fissurer le quatrième mur sans pour autant sortir de son personnage. « On aurait pu juste se taire, et on faisait ça au début, explique sa collègue. Mais au bout d’un moment, on mettait même de la réverbération sur nos voix pour parler entre nous, comme si on pouvait communiquer par la pensée. »
Autre difficulté à surmonter : les spoilers diffusés dans le chat de certains lives. Des viewers, pas toujours mal intentionnés, décidaient en effet de prévenir une streameuse ou un streameur d’un coup monté par un autre, comme une prise d’otage par exemple. Mais là aussi, les deux streameuses ont vite décidé de faire abstraction de ces informations, et de continuer à agir dans l’improvisation la plus totale. De rester dans leur personnage, donc.
Personnage principal, personnage secondaire
Autre risque, et qui concerne notamment les très populaires Croute : la verticalité entre les personnages du serveur. Car si chacun peut choisir le live qu’il souhaite suivre, et donc le héros de cette aventure, certains streameurs ou streameuses vont naturellement s’imposer sur le devant de la scène. Parce qu’ils ou elles comptent plus d’abonnés, ou tout simplement parce que leurs avatars font particulièrement parler d’eux sur les réseaux sociaux. C’est encore plus frappant lorsqu’on pense aux helpers, en partie des administrateurs du serveur, qui remplissent des fonctions de soutien et d’accompagnement dans le jeu, à commencer par les services médicaux ou les agents de police.
Mais selon Baghera, « gros streameur ou pas, helper ou pas, ça n’existait pas sur le serveur. Je n’ai pas pensé un seul instant au fait que j’apparaissais sur le stream de telle ou telle personne. » « J’ai ignoré l’identité de beaucoup de streameurs sur le serveur jusqu’à la fin, complète Horty. Je n’avais aucune idée de qui incarnait Lombrick [le streameur JustBee, NDLR] tout du long. »
Le duo a même pu nouer des relations fortes avec certains « helpers », qu’il sollicitait régulièrement pour se sortir d’un mauvais pas ou d’un coma. Le Docteur Maison, incarné par Nimeah_Kea et que les streameuses ne connaissaient pas jusque-là, va presque devenir un mentor de substitution pour les deux cousins. « Il nous a aidé à comprendre que c’était ok d’aller vers les gens, de demander des choses, d’avoir de l’aide, note Horty. Il avait un côté punk qui nous a vraiment rassuré aussi sur le fait qu’on était pas obligé de se tenir tout le temps à carreaux. » Car si leur stage au sein du Los Santos Medical Service tourne au fiasco, Antoine et Daniel ont toujours pu compter sur la patience du médecin, qui a continué à les guider et à les encourager deux semaines durant dans leurs vagabondages. Y compris lorsqu’Antoine lui demande comment voler un camion appartenant à Montazac et Torez. « On l’appelait beaucoup, et il acceptait tout ce qu’il se passait. Même le soir de notre rencontre, il cognait des voitures avec l’ambulance parce qu’on lui demandait. Il y a vraiment un lien qui s’est créé avec lui. » Quitte à ce qu’il mette parfois lui aussi sa vie en danger en tentant de les sauver d’un énième coma.
« Vanessa (incarnée par Diabalzane) était un peu notre helper personnelle alors qu’elle ne l’était pas dans le jeu, c’était vraiment l’un des plus beaux personnages du serveur selon moi, estime de son côté Baghera. C’est le personnage qui m’a retourné, qui nous a vraiment fait du bien quand ça n’allait pas. » Depuis la fin du RPZ, il n’est pas rare que Horty ou Baghera lancent des « raids », pour envoyer leurs abonnés suivre les live de Diabalzane.
Mais une autre rencontre va faire basculer leur aventure, et challenger l’identité même de leurs personnages : Lucy.
Changement de ton
Au-delà de leurs aventures burlesques, d’autres arcs narratifs plus sombres se sont mis en place aux quatre coins de Los Santos, impliquant des prises d’otages, des braquages ou du trafic de drogues. Dès leur première soirée, Antoine et Daniel rencontrent ainsi des membres de gangs, qu’ils ne cesseront de recroiser par la suite. « Ce n’était pas volontaire et pourtant, c’était cohérent, estime Horty. Nos personnages sont des ados livrés à eux-mêmes, c’était logique qu’ils s’assombrissent un peu. On ne pouvait pas les rendre en permanence heureux de ce qui leur arrive, ce ne sont pas des labradors. » Entre les lignes, les deux streameuses font également peu à peu comprendre que leurs parents ne s’occupent plus d’eux. A chaque fin de live, les cousins s’endorment ainsi dans la rue, près d’une poubelle ou dans les montagnes surplombant Los Santos. Une façon de montrer leur besoin viscéral de se faire aimer par les gens qu’ils rencontrent, de nouer des liens qu’ils n’ont plus avec leur propre famille.
Mais la bascule vers le drame et le thriller s’opère lorsqu’ils croisent la route de Lucy Hellman. Ce personnage complexe atteint de TDI (Trouble dissociatif de l’identité), brillamment incarné par la streameuse AVAmind, va bousculer leur quotidien et les pousser à se responsabiliser. La jeune femme est en effet en danger, menacée par Ted, autre identité du personnage. Antoine et Daniel vont alors l’aider à se cacher, à trouver des soutiens, à se changer les idées, quitte à sortir pleinement du divertissement pur plusieurs soirs de suite. « Il y a un vrai lien qui s’est créé avec Lucy, estime Baghera. C’était jusqu’au bout du monde, s’il se passait quelque chose, on était là. »
Pour autant, cette atmosphère va se révéler, par moment, éprouvante émotionnellement, pour les deux personnages comme pour leurs créatrices. « On a fini par être beaucoup trop impliquées dans les intrigues et on a voulu s’en éloigner un peu », reconnaît néanmoins Baghera, qui confie avoir déjà eu du mal à trouver le sommeil après certains lives.
L’enlèvement d’Antoine par le Docteur Cox va marquer par ailleurs un autre tournant dans le parcours de son personnage. Le psychiatre, incarné par le Joueur du Grenier, a en effet longuement tenté, un soir, de dresser le jeune Croute contre son propre camp, et Donatien de Montazac en particulier. La scène, qui s’est déroulée en voiture, a été saluée par les viewers pour sa cinématographie et le jeu d’acteur proposé. « J’ai adoré joué ce moment parce que cela a bouleversé beaucoup de choses, mais c’était très dur, confie Baghera. Si le serveur avait duré plus longtemps, et si le timing l’avait permis, j’aurais clairement fait sombrer Antoine pour qu’il rejoigne l’autre camp. Je suis très contente que ça ne soit pas arrivé, mais ça aurait été très intéressant et cohérent. » « Si cela était arrivé, on s’en serait remise toutes les deux au bout de quelques années », ajoute Horty, amusée.
Après le kidnapping pourtant, Antoine s’est retrouvé seul durant de longues minutes, éteint et désemparé par l’épreuve qu’il venait de traverser. « Les seules personnes qui venaient le voir l’engueulaient ou lui posaient les mauvaises questions, raconte Horty. Je me suis servie de ça pour dire qu’il y avait un ras-le-bol chez nos personnages, qu’ils ne pouvaient compter sur personne d’autre qu’eux-mêmes. » A plusieurs reprises, le personnage de Daniel, d’ordinaire plus calme et réfléchi que son cousin, va en effet s’agacer et exprimer clairement son mécontentement lorsque leurs interactions et intrigues deviennent trop pesantes. « On s’est beaucoup servi des scènes dramatiques pour nous en aller, parce qu’on avait déjà traversé assez de moments comme ça », continue Horty.
Trouver le sommeil
Et alors que leur vie sociale IRL est mise en pause, la jeune streameuse explique par ailleurs avoir eu parfois du mal à prendre du recul sur les agissements de tel ou tel personnage. Un détachement d’autant plus complexe que les moments de discussion hors RP sont assez rares, et notamment pour ne pas se spoiler ou s’influencer mutuellement. Même les deux amies, qui discutaient quotidiennement, faisaient de leur mieux pour ne pas se raconter les événements vécus séparément. « Les seules fois où on a parlé avec d’autres gens du RPZ, c’était quand il se passait des choses horribles, complète Horty. Par exemple pour s’excuser si notre personnage était obligé d’agir d’une certaine façon. » « J’ai eu la chance de faire un autre événement au milieu des deux semaines, où j’ai croisé d’autres streameurs du RPZ, se souvient Baghera. On n’a parlé que de ça. C’était devenu obsessionnel pour tout le monde. »
Une obsession qui n’a pas tardé à avoir un impact physique sur les participantes et participants. Entre le rythme éreintant de l’exercice (une moyenne de 7 à 8 heures de stream par jour), deux jours à peine de repos et la pression constante sur les épaules de leurs personnages, l’aventure devient vite éprouvante.
« Notre routine c’était : on se réveillait, on regardait les mentions sur Twitter, les fans arts, et puis on se préparait pour le stream et on jouait jusqu’à tard dans la nuit, détaille Horty. C’était impossible de dormir directement après un stream, on regardait des clips du live. Il nous fallait au moins quatre heures pour y arriver, et on s’endormait vers six, sept, huit heures du matin. Heureusement que, en dehors des lives, on reste un duo, et Justine m’a beaucoup apporté. » Baghera, qui perd pourtant facilement sa voix habituellement, n’a pas trop souffert des cris et des chants d’Antoine. « Par contre, à la fin de chaque stream, j’avais le cœur qui battait, je tremblais un peu, je sentais une vraie fatigue. » Les deux jeunes femmes ont même perdu du poids, Baghera oubliant parfois de manger avant de lancer son live. « Ce n’est pas comme un stream classique où tu peux faire une pause et aller te chercher à manger, explique-t-elle. Là, on a fait notamment une session de plus de douze heures, j’avais juste mangé un biscuit avant, et je n’ai rien mangé pendant. »
Fort heureusement, c’est aussi pour toutes ces raisons que l’événement n’a duré que deux semaines, et même qu’il a été arrêté un jour plus tôt que prévu. Mais à l’approche du grand final, une autre forme de pression a commencé à s’immiscer dans leurs histoires : comment conclure de la bonne façon une aventure aussi indescriptible ?
Place à Horty et Baghera
Pour la dernière soirée, le Joueur du Grenier, qui incarnait le terrible Dr Cox, les a prévenues en amont et demandé l’autorisation d’influer directement sur leur session. Cet ultime rebondissement a pris la forme d’un nouvel enlèvement en compagnie de Donatien, leur mentor. Une séquence forte qui a marqué fortement les joueurs comme les viewers. Le personnage de Donatien, pourtant très proche de ses sous, décide en effet de privilégier les Croute à son compte en banque, offrant une fin émouvante au duo, qui trouve enfin sa place dans cette ville de fous et auprès de leur mentor. Lors d’un feu d’artifice final dans l’enceinte du vignoble Montazac et Torez, à quelques secondes de la fermeture du serveur, Donatien leur enverra même ce message qu’il leur refusait jusque-là : un simple « bisou », mais un « bisou » rempli de mélancolie et d’affection pour les deux cousins. « S’il n’y avait pas eu ces moments plus tristes, Antoine et Daniel n’auraient pas été aussi attachants, ils auraient été juste amusants », estime Horty. « On a eu la good ending, la meilleure fin, ajoute Baghera. On a eu une évolution dingue, tout s’est fait naturellement et c’était hyper joli de finir au domaine, là où tout a commencé. »
Depuis la fin du RPZ, Horty et Baghera ont dormi. Puis elles ont repris leurs streams comme avant, sans pour autant réussir à se détacher complètement des deux cousins, dont les noms réapparaissent régulièrement dans leurs chats.
Et si leur nombre d’abonnés a explosé, Horty reste prudente : « Sur le long terme, Justine comme moi, on ne se dit pas non plus que tout ça va propulser notre chaîne. » Baghera confirme : « On a forcément plus de monde, et on en profite vraiment, mais j’essaye de ne pas compter là-dessus, les hypes passent vite et les chiffres sont très difficiles à gérer. » Et pourtant, sans trop prendre de risque, il y a de fortes chances que les viewers, débarqués pour découvrir l’éclosion de Daniel et Antoine, gaffeurs chaotiques mais terriblement attachants, continueront à suivre avec la même passion l’évolution d’Horty_ et BahgeraJones.
