Devenir enseignante avec un parcours professionnel hors norme

Du Grand-Saint-Bernard à Lausanne, Silvia Gian emprunte un chemin à la recherche de sa voie, l’enseignement. Son parcours riche, sinueux la mènera finalement à la HEP Vaud pour un Master en enseignement secondaire I.

Équipe HEP Vaud
Trait d’union HEP Vaud
4 min readAug 13, 2019

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Silvia Gian

Certains matins, en entendant les cris des animaux de la ferme voisine de l’arrêt de bus, je me demande si c’est vraiment moi, cette femme qui marche sur la route. Je m’observe de loin et je souris : « Combien de kilomètres as-tu fait pour te trouver ? », comme dans une chanson de Bob Dylan : « How many roads just a man walks down before you call him a man ? ».

J’ai quitté mon pays et la ville où je suis née et où j’ai fait mes études, Turin, et déménagé en Suisse en 2015, ne connaissant presque rien du français, si ce n’est de courtes formules pour la survie quotidienne. Depuis toujours, j’ai le désir et la soif d’apprendre cette langue mystérieuse, exigeante, pointue, la langue de l’Amour. Beaucoup de gens croient au destin ; et même si je reste sceptique, j’avoue que ma migration est plus une évidence qu’un imprévu.

A la découverte du théâtre comme outil d’enseignement

Dès l’âge de vingt-trois ans, j’ai enseigné aux étrangers, pour finalement consacrer toute ma carrière académique et professionnelle à l’intégration et à la didactique de l’italien langue seconde. Par un heureux hasard, j’ai participé au projet de la Commune de Turin visant à intégrer les élèves étrangers à l’école. Je me suis vite aperçue qu’il n’y avait pas d’activité plus belle et enthousiasmante ! J’avais, entre temps, bien réussi mes examens de « Didactique de l’italien » avec l’enseignante qui deviendrait ma référence pour toujours. Un vrai mentor n’est pas quelqu’un qui te montre la voie, mais celui qui t’aide à la trouver. Avec son soutien, j’ai présenté mon mémoire sur le théâtre comme outil pour l’enseignement de l’italien aux préadolescents étrangers à la fin de mes études en Lettres. Ayant fait moi-même du théâtre, j’avais découvert le pouvoir de cet art dans l’enseignement d’une langue seconde.

L’accès à une humanité authentique et multiple

J’ai ensuite continué mes études universitaires de linguistique italienne, en travaillant comme enseignante d’italien langue seconde. J’ai gardé la collaboration avec la mairie de Turin durant laquelle j’ai connu des personnes de tous les pays, découvert d’autres façons de vivre, toutes aussi valables. L’accès à cette humanité authentique, multiple, immense, mouvante, marque ma manière d’être, de vivre, d’écrire. Pour paraphraser Goethe, on ne connaît guère notre langue si on ne connaît pas d’autres langues. Et d’après Todorov, on ne devient pas nous-même si on ne conçoit pas que l’on est toujours un autre pour quelqu’un.

La narration au service de l’intégration

Le parcours de Master en Sciences Linguistiques a confirmé mon orientation vers l’enseignement de l’italien aux étrangers. Cette fois, j’ai consacré mon mémoire à l’italien langue seconde dans la narration. Ma formation s’est donc éloignée du jeu théâtral pour s’ouvrir à l’écriture et, surtout, à la narration comme outil didactique. J’ai préparé un projet qui consistait à proposer à une classe terminale de l’école primaire une intervention hebdomadaire pendant six mois. Le parcours était divisé en trois sujets — l’autobiographie, le changement de point de vue (fondamental dans l’approche interculturelle) et l’humour — liés par le fil rouge de la narration. Les résultats ont été probants : un renforcement linguistique de toute la classe — Italiens et non Italiens — a démontré la possibilité de combler par l’écriture le hiatus scolaire et social lié au fait d’être étranger.

En 2014, j’ai commencé à m’occuper de la formation des formateurs, et surtout d’enseignants d’italien pour les étrangers. Je donnais des cours dans des écoles et des institutions publiques de Turin, je conduisais des cours de didactique de l’italien pour les étrangers et de Cooperative Learning, méthode en laquelle je me suis spécialisée.

Partir de soi-même pour valider ses acquis

Et voilà que depuis une année, après un Master en enseignement secondaire I à la HEP Vaud, j’enseigne l’italien langue étrangère dans un gymnase lausannois. Entre temps, j’ai décidé de compléter ma formation à la HEP par un diplôme additionnel pour le secondaire II.

Dans mon dossier de validation d’acquis d’expérience, rédigé en 2016, j’ai évoqué des événements significatifs ; puis j’ai établi des liens avec le référentiel de compétences professionnelles de la HEP. J’ai mis à jour les connections entre les exigences de la formation et mon bagage didactique et pédagogique. Partir de moi-même, me questionner, adopter une posture curieuse et critique a été ma manière d’affronter la validation.

Changer de vie pour se trouver

Je suis heureuse de me lever pour aller donner mes cours ; ce bonheur doit être visible puisque les élèves le remarquent et semblent parfois carrément le partager ! J’ai changé de vie, de langue, de milieu, mais je ne regrette rien. Ma migration ressemble plus à une recherche qu’à une fuite, et surtout, elle me ressemble : Grand-Saint-Bernard, Martigny et ma maison, mon travail, ma vie en Suisse, entre la colline devant Vevey et l’élégante sobriété de Lausanne.

Je considère mes élèves aujourd’hui et dans le devenir. J’ose la confiance et m’engage pour la construire et la défendre dans une société où rien n’est jamais achevé. Le point final n’appartient pas à l’enseignant ; la conclusion de l’expérience reste donc ouverte, comme ma perspective…

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La Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP Vaud) propose la gamme complète des prestations de formation aux métiers de l’enseignement.