Incursion dans le journal de bord des étudiants de la HEP Vaud

Anne-Marie Lo Presti et Sabine Oppliger, chargées d’enseignement dans l’UER AGIRS à la HEP Vaud, mettent leur nez dans la prose autobiographique des étudiantes et des étudiants. Et examinent comment l’écriture et les métatextes permettent aux apprenants de se construire.

Équipe HEP Vaud
Trait d’union HEP Vaud
8 min readFeb 27, 2020

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Est-il possible de retracer par quels détours et par quels contours l’identité professionnelle se construit chez les futurs enseignants ? De repérer dans leurs écrits, dans leurs déambulations, quelques remaniements identitaires sous-jacents à leurs processus de formation ?

Des premiers pas incertains, dans les dédales des bâtiments de la Haute École pédagogique du canton de Vaud, aux dernières enjambées affirmées, un étudiant de 3e année témoigne : « Nous y voilà, ma dernière année de formation à la HEP est bientôt terminée. J’ai l’impression que c’était hier que je me perdais pour la première fois dans ces couloirs interminables du bâtiment C33. Pourtant, lorsque je réfléchis un peu plus, je constate que j’ai parcouru un chemin long et riche en expériences et en connaissances. Ce n’est qu’une fois arrivé à la fin que je réalise l’évolution de ma personne, autant au niveau professionnel que personnel. Je suis une personne de terrain et j’aime ce que je fais. »

Voilà, un sujet qui, au travers de prises de conscience et d’actes posés, s’affirme en étant capable d’articuler au « nous » initial de son texte un « je » assumé.

Séminaires d’intégration, le « GPS » de la formation

Cette métaphore, empruntée à la circulation routière, illustre la perception d’une étudiante de 3e année à propos des séminaires d’intégration qui accompagnent de manière transversale les étudiants durant leur cursus. En effet, la formation initiale des enseignants primaires à la HEP prévoit des modules d’intégration qui se déroulent à partir du 1er semestre de leurs études jusqu’au dernier semestre.

Les séminaires s’appuient notamment sur l’écriture pour favoriser le lien et l’articulation entre les éléments théoriques de la formation et les situations pratiques vécues par les étudiants aux moyens d’outils tels que journal de bord, dossier de formation et métatextes à valeur certificative.

Nous avons choisi d’analyser deux métatextes par étudiant, soit un corpus de vingt écrits rédigés à deux moments emblématiques et distincts dans leur processus de formation. Nous nous sommes demandé ce qui ressortait de la comparaison entre deux textes, l’un en guise d’introduction et l’autre de conclusion aux séminaires d’intégration.

Et de manière plus particulière, comment l’écriture « bilans fin semestre » en séminaires d’intégration accompagne la construction de l’identité professionnelle des étudiants et comment elle marque les transitions biographiques de ces futurs professionnels.

Nous avons, avant tout, souhaité donner la parole aux étudiants et observer comment l’écriture sur leur pratique permet et favorise un remaniement identitaire. L’image ci-dessous d’une étudiante de 3e, sorte de métaphore écrite et dessinée, met en lumière de façon succincte sa représentation du parcours de formation. Elle évoque particulièrement bien cette professionnalisation que les séminaires d’intégration accompagnent par le biais de l’écriture notamment.

Que l’autobiographe suive sa propre pente !

En première année, les textes sont ponctués de pronoms impersonnels tels que « on, il, elle » pour évoquer le rôle d’enseignant. Les injonctions prescriptives de type « il faut, il doit » sont aussi très présentes : « L’institution attend des enseignants (…) qu’ils remplissent des charges administratives et certains parents attendent également des professeurs qu’ils « éduquent » leurs enfants. L’enseignant va devoir jongler entre ces différentes attentes afin de pouvoir satisfaire un maximum toutes les personnes concernées. »

À noter, que ces éléments témoignent du fait que le rôle pour les étudiants apparaît souvent comme idéalisé, à ce moment-là : « La maîtresse (ou le maître) se doit d’être patiente et de ne pas s’énerver tout de suite quand un enfant traîne au vestiaire, a oublié ses affaires. »

Parce qu’« écrire, c’est toujours entrer en soi pour se rencontrer » (Lainé, p.11, in Trekker, 2014), le discours change au cours de la formation et devient de plus en plus biographique. L’évolution de la construction identitaire des étudiants s’accompagne d’un sentiment de montée en compétences leur permettant de prendre des responsabilités pour faire face aux divers enjeux professionnels : « Cette dernière année m’a permis de développer davantage certaines compétences sur lesquelles j’avais estimé nécessaire de porter mon attention lors de l’écriture de mon second métatexte. La conscientisation de certains concepts, abordés lors des années précédentes, m’a permis de développer davantage la quatrième compétence du référentiel. »

Cela nous permet d’observer l’émergence du biographique avec un auteur, une voix, une histoire : « Le « je » qui écrit est à distance de celui qui a mené l’action. Par cette distance, l’écriture per met que se constitue l’identité de celui qui, ainsi, prend sa place dans un univers de discours » (Guibert, p. 232, in Cros, 2006). Peu à peu, les étudiants, plus confiants en leurs ressources, passent d’une identité professionnelle floue à une identité assumée, une légitimité endossée, voire revendiquée, de leur rôle professionnel. Cela nous amène à considérer le concept d’identité professionnelle comme une coquille vide qui se remplit, entre autres, par la mise en écriture et la pratique réflexive : « Une écriture établissant ce que j’ai appris, ce que je suis actuellement » (Une étudiante, 3e année).

L’écriture comme rite de passage

« La personne en formation est encouragée, et parfois contrainte, à opérer une relecture, à déplier son histoire personnelle, à chercher rétrospectivement les lignes de force (et les lignes de faille) de son existence. Cette mise en évidence contribue à l’élaboration du projet professionnel » (Larroque, Piveteaud & Suchon, 2006, p.102 in Berton & Millet, 2014)

Ainsi donc le processus de formation, par la réflexivité et la conscientisation qu’il génère à travers l’écriture des métatextes, accompagne les transitions identitaires et se fait le témoin d’un passage, d’une évolution, d’un changement de posture, comme le relève cette étudiante : « Suite à l’écriture de ce métatexte et à ces trois années de formation, je me rends compte du chemin parcouru et de mon évolution tant personnelle que professionnelle. Deux éléments ont fortement contribué à cela : l’écriture dans le journal de bord et les métatextes. En effet, grâce à l’écriture, j’ai pu prendre du recul par rapport aux situations auxquelles j’étais confrontée (me décentrer) et ai ainsi pu trouver des solutions convenables pour les améliorer.

« Je me suis rendu compte que le portrait que j’avais dressé (…) était en réalité le portrait d’un professeur idéal »

« Grâce à l’écriture, j’ai pu prendre du recul par rapport aux situations auxquelles j’étais confrontée (me décentrer) et ai ainsi pu trouver des solutions convenables pour les améliorer. »

Lumière et rétrospection, la connaissance de soi

Une maturation lente s’opère et se donne à voir à travers ces temps d’écriture, sorte de rite de passage menant l’étudiant vers sa nouvelle identité professionnelle, comme l’évoque cet extrai : « En conclusion, ce métatexte lié à mon dossier de formation marque la fin de ma formation et tout ce travail de rétrospection m’aide à prendre conscience du parcours accompli. En effet, je suis à présent outillée pour entrer dans la profession. »

Un mot après l’autre, avec patience

« L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi professionnel » (Cros, 2006, pp. 20–21).

La mise en écriture crée un effet intégratif dans ces moments de transition identitaire et peut même devenir un outil d’autoaccompagnement et d’autoformation pour l’étudiant à des moments forts de sa trajectoire tant personnelle que professionnelle, comme en témoignent ces lignes : « Le 2 avril 2015, durant le séminaire, j’ai pu redécouvrir mes attentes concernant mon parcours de formation ainsi que ma carrière. Ce moment fort émouvant m’a marqué d’une manière totalement inattendue. Dans une lettre, j’avais décrit la personne que je pensais être. Celle que je suis devenue est bien différente de celle imaginée.

« Je ne sais pas comment interpréter mes sentiments actuels. Je ne sais pas si c’est de la joie, de la nostalgie, du regret : la joie de voir ce que je suis devenue, la nostalgie de faire face à mon idéal d’antan, le regret de ne pas être devenue celle que j’avais imaginée » (Extrait du journal de bord daté du 02.04.15). Cette activité est restée un moment dans mon esprit à cause du flou qu’elle a produit en moi. Elle a soulevé des questionnements tels que « Suis-je vraiment celle que j’ai voulu être ? », « Est-ce si important de devenir ce que l’on imaginait ? » Je suis parvenue à la conclusion suivante : la personne que je suis actuellement n’est plus la même que celle d’il y a trois ans. Je n’ai plus les mêmes objectifs, la même vision du monde, les mêmes expériences, les mêmes priorités. De ce fait, vouloir juger et connoter négativement la différence entre mon passé et mon présent n’a pas de sens. Je ne peux que constater les bienfaits de mon parcours ainsi que le caractère extraordinaire des aléas de la vie. »

« Est-ce si important de devenir ce que l’on imaginait ? »

Ainsi, ces temps réflexifs, par les transitions qu’ils mettent en lumière, engendrent un remaniement identitaire. « Chaque fois que le sujet (…) construit un discours sur son expérience passée, il la réélabore et est ainsi amené à poursuivre sa transformation » (Bossard, p. 70, in Berton & Millet, 2014). Le temps de formation, de trois ans à la HEP, où une brique est posée patiemment après l’autre, est comme un édifice qui se construit et dont le dessin (dessein ?) prendrait peu à peu forme, de manière parfois inattendue, au détour du récit biographique.

Un article d’Anne-Marie Lo Presti et de Sabine Oppliger

Bibliographie :

Berton, J. & Millet, D. (éd.), (2014). Écrire sa pratique professionnelle. Secteurs sanitaire, social et éducatif. De l’activité au rendre compte. Paris: Seli Arslan. Cifali, M. & André, A. (2007). Écrire l’expérience. Vers la reconnaissance des pratiques professionnelles.
Paris : PUF.Cros, F. (éd.), (2006). Écrire sur sa pratique pour développer des com-pétences professionnelles.
Paris : L’Harmattan. Dominicé, P. (1981). L’histoire de vie comme processus de formation.
Paris : L’Harmattan.Trekker, A. (2014). Le travail de l’écriture. Quelles pratiques pour quels accompagnements ?

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La Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP Vaud) propose la gamme complète des prestations de formation aux métiers de l’enseignement.