Les mathématiques pour mieux vivre en société

Équipe HEP Vaud
Trait d’union HEP Vaud
5 min readAug 13, 2019

Une Aula des Cèdres pleine de curieuses et de curieux à la HEP Vaud— pour apprivoiser le thème complexe des mathématiques et de la société : on y rencontra Emmanuelle Giacometti (EPFL), Bruno Colbois (Université de Neuchâtel), Kathryn Hess Bellwald (EPFL), Cédric Villani (mathématicien et homme politique français), Jacques Dubochet (Lausanne, Unil, Prix Nobel) et Thierry Dias (Recteur de la HEP Vaud). Débats intenses et échanges fructueux !

De gauche à droite: Thierry Dias, Emmanuelle Giacometti, Kathryn Hess Bellwald, Jacques Dubochet et Bruno Colbois

En ouverture, la mémoire d’un autre mathématicien et homme politique français fut évoquée par Guillaume Vanhulst, l’ancien recteur de la HEP Vaud, dans son allocution d’accueil. « Nicolas Condorcet écrivait en 1774 que « dans les sciences morales, on a toujours plus de certitude à mesure qu’on a moins de lumières ». Cette citation indique aujourd’hui encore à quel point la science et la raison sont indissociables de l’organisation démocratique de nos sociétés, moins par les certitudes qu’elles nous apportent que par l’ouverture à la complexité de notre environnement, qu’elles entendent apprivoiser par la pensée, le débat et la créativité. »

La semaine précédent l’événement, le son du tam-tam est monté en force sur les réseaux sociaux. Et ce samedi 9 mars, la salle était pleine : enseignants, étudiants, doctorants — un large public avait répondu à l’invitation. Le débat fut animé avec humour et charisme par Thierry Dias, nouveau recteur de la HEP Vaud. Sur le modèle du débat scientifique, chacun prit la parole, écouta l’autre, échangea.

Un public venu en masse à la HEP Vaud

« Madame, si votre fils veut faire des maths… »

A la tête de l’Espace des inventions de l’EPFL, la physicienne Emmanuelle Giacometti dénoua les nœuds terribles du sentiment d’incompétence, si injustement répandu face aux maths : lorsque les prédictions des élèves deviennent autoréalisatrices, elles persistent à l’âge adulte. Et lorsque les adultes reproduisent eux-mêmes de vieux schémas, les paroles freinent : « Madame, si votre fils veut faire des maths, il doit être compétent et persévérant ». Emmanuelle Giacometti estime que « face aux blocages, il faut développer sa propre réflexion et proposer encore plus d’expérimentations ! »

Pour le mathématicien Bruno Colbois (Université de Neuchâtel), l’enseignement universitaire n’a guère changé, les exercices des étudiants de 1e et de 2e année ressemblent peu ou prou ce que ce membre du Conseil suisse de la science a lui-même connu quand il était étudiant. Ce n’est que plus tard dans le cursus que l’on traite de sujets plus récents. «En revanche, les choses ont évolué dans le secondaire, on ne pourrait plus aujourd’hui travailler avec les ouvrages du mathématicien (et sculpteur) André Delessert (1923–2010). » Des nouveautés, il en tombe aussi : à commencer par l’informatique, dont les développements réjouissants apportent de nombreuses nouvelles questions aux mathématiques et permettent de faire évoluer son enseignement.

Professeure de math et directrice du concours Euler à l’EPFL, Kathryn Hess Bellwald se devait de relever à quel point les étudiantes et les femmes professeur sont mal représentées. « Il y a deux ans, à une soirée d’information, une autre mère a demandé si les filles avaient le droit de prendre maths et physique en OS. Et surtout : si elles avaient des chances de réussir ! » C’est dire s’il reste du travail pour que les portes des études en mathématiques ne se referment pas devant des jeunes filles qui auront été mal conseillées. Car le train n’attendra pas. Aujourd’hui, rappelle-t-elle, les maths sont en pleine extension. De nouveaux thèmes ont émergé dans les interactions avec les neurosciences, la biologie moléculaire, les matériaux.

Attentes des pouvoirs publics et motivation des étudiants

En vidéo conférence depuis l’Assemblée Nationale à Paris, lui aussi mathématicien (médaille Fields), lui aussi homme politique, Cédric Villani démontra la complexité des grandes attentes des gouvernement face aux filières de maths — et simultanément, les difficultés croissantes, un vrai décrochage, lorsqu’il faut motiver les étudiants et recruter des enseignants. « Il faut simultanément préparer des futurs scientifiques et mathématiciens, donner des outils pour se débrouiller dans la vie, comprendre notre culture et notre héritage, raisonner, s’entraîner à la recherche et à imaginer. Et comprendre le monde actuel, ses technologies, l’intelligence artificielle… »

Pour concrétiser ce vaste programme, Cédric Villani propose notamment de « faire travailler les enseignants en commun, de replacer le rôle des maths dans notre histoire, notre culture et notre société ». Il recommande dans la mesure du possible « la participation du plus grand nombre possible de scientifiques, d’entreprises, de particuliers, bref, il y a tout un écosystème à faire vivre autour de la salle de classe ».

Un prix Nobel ? « Nous avons eu de la chance »

Jacques Dubochet en pleine discussion avec des spectateurs

Un vent d’espoir souffla encore avec Jacques Dubochet, professeur (Unil) jusqu’en 2017 et prix Nobel de Chimie (cryo-microscopie électronique). « J’étais dyslexique et toléré au collège avant de me faire virer, parce que j’utilisais ce prétexte comme un oreiller de paresse. » Son parcours semble si simple. « Nous avons eu de la chance en découvrant quelque chose, puis en développant une méthode durant 35 ans. Nos résultats en chimie ont séduit les Suédois. Reste qu’à la base, je n’avais aucune compétence en chimie ! », raconte en souriant le professeur, qui s’est reconverti depuis dans l’enseignement des maths aux migrants d’un foyer pour mineurs non accompagnés. Et appris à goûter la poésie.

Son vœu le plus cher : « Que chaque élève puisse développer son bien-être, aussi bien en poésie qu’en mathématiques, ces capacités qui sont nécessaires à la vie harmonieuse dans une société. Et maintenant, à vous de trouver la méthode pour y parvenir. !»

Ce trait “dubochétien” résume bien l’esprit de ces 120 minutes d’échange et de magie.

François Othenin-Girard

Crédits photos : François Othenin-Girard

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