Adolescence.

Alexandre Plennevaux
Hexagone
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3 min readOct 24, 2022
Baulers (Belgique), google maps

Je me rappelle de cette nuit à Baulers en 1992, je devais avoir 19 ans. Soirée scout, salle des fêtes remplie, l’air est moite, enfumé, lumières stroboscopiques. Des enceintes démesurées par rapport à la taille de la salle sort le puissant “tainted love” de Soft Cell. Un pogo démarre — ou était-ce un Mosh ? — une danse dans laquelle de jeunes gens se bousculent, particules qui s’échauffent par le frottement, en quête de vibrations — ou juste d’aberration.

J’observe le spectacle à la périphérie de l’action. Soudain, un gars, petit, me bouscule. je lui fais signe de faire attention et de se calmer. Il me regarde et me fait “Et quoi, t’as un problème ?” et Bam, un coup échoue sur mon menton. Presque immédiatement, un autre poing, plus puissant et mieux cadré, s’écrase sur mon visage, provenant d’un grand gars que je n’avais pas remarqué auparavant, à l’extérieur de mon champ de vision. Interloqué, je choisis de m’éloigner. Je sors de la salle et vais à l’extérieur, passe quelques groupes de jeunes à la recherche d’un peu d’air frais. Je cherche un visage ami, personne, que des inconnus… Les 2 gars, qui visiblement m’ont suivis, me trouvent. Je les aperçois, choisis de ne pas reculer.

Qu’est-ce que t’as à chercher mon petit frère?” me lance le grand. Je lui répond: “Mais rien, je lui ai juste dis de…” Et Bam, second coup de poing.

Pourquoi tu me tapes ? ” lui dis-je, “j’ai rien fait de mal ” . Bam, troisième coup de poing. “Bon, puisque tu ne m’écoute pas, puisqu’il n’y a pas moyen de discuter, je m’en vais.” A l’intérieur de moi, durant toute cette scène, c’est le silence. Total. J’étais en terrain complètement inconnu. C’est comme si j’étais absent. J’exécutais un script venu de je-ne-sais-ou. Je crois que c’est cela, être sidéré. Je n’avais pas mal, je ne ressentais rien. Je me rappelle de spectateurs et d’une voix goguenarde: “c’ui-là, il en prend plein sa gueule pour pas un rond”.

Baulers, son église, sa salle paroissiale

Je m’éloigne, leur tourne le dos en marchant relativement calmement, ne pas montrer ma peur. Je tourne à la première occasion et dès qu’ils sont hors de vue, je me mets à courir, à courir, de plus en plus vite, je prends littéralement les jambes à mon cou. La peur m’envahit alors, me submerge, je me sens aux abois, j’ai peur qu’ils me suivent. Baulers étant tout petit, la rue atteint rapidement la campagne. Je me cache dans un buisson. J’y resterai je crois une vingtaine de minutes, à essayer de reprendre mes esprits, de comprendre ce qui venait d’arriver. C’est comme si cette bagarre m’avait fait redescendre sur terre, depuis mon monde d’illusions et de rêveries. La dure réalité. Avec le recul, je me dis que j’ai été pris ce soir là dans un triangle dramatique: le petit gars étant la “victime”, moi le “bourreau” désigné, et le grand le “sauveur”. Cet épisode a permis au grand et au petit de resserrer leur alliance, à mes dépends. J’étais l’acteur malheureux d’une pièce de théâtre qu’ils jouaient sans doute régulièrement.

Arrivé chez moi, j’avais un bel oeil au beurre noir. Il m’a fallu plusieurs mois pour oser marcher en rue à Nivelles et je ne mis plus jamais les pieds à Baulers. De peur de les croiser, qu’ils me reconnaissent et reprennent leur chasse à l’homme.

Encore aujourd’hui, quand je marche en rue, j’évite de croiser le regard des gens, hommes ou femmes d’ailleurs, de peur qu’ils se retournent vers moi et me fassent: “ Et quoi, t’as un problème ?

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Alexandre Plennevaux
Hexagone

Belgian UX designer / web developer / teacher. Favorite word: ideation