Croquis (1)

Greg Devin
Hexagone
Published in
2 min readAug 14, 2024

Il a peut-être soixante-quinze ans. Il est assis sur une chaise de jardin, dans le parc du musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Il fait très chaud. Il s’essuie régulièrement le front avec un mouchoir blanc — pourtant, d’où je suis, je n’ai pas l’impression qu’il transpire. Comme nous, il s’est mis à l’ombre. La chaleur dépasse allègrement les trente degrés, et, avec la sensation d’étouffement propre aux villes, le ressenti est bien supérieur. Cependant, à part ce geste régulier avec son mouchoir, il ne semble pas s’en apercevoir.

Il fixe avec une intensité étrange le mur en face de lui. Son fils, à ses côtés — je sais que c’est son fils car il s’agit d’une version plus jeune de lui-même — laisse tomber de temps en temps une parole (sur le lieu, le temps, leur programme de l’après-midi) mais lui ne relève pas. Ce n’est pas de l’indifférence : simplement, je crois qu’il ne juge pas pertinent de commenter les commentaires. Il continue de fixer le mur, avec la même intensité. Je me demande bien pourquoi.

À ce moment, j’imagine deux choses : soit le mur revêt une importance capitale pour lui, souvenir particulièrement chéri, instant essentiel, tournant de son existence (que j’associe spontanément, et peut-être bêtement, à sa femme, sans doute décédée, car absente de ce qui semble être une sortie familiale) soit il est à ce point absorbé dans ses pensées, peut-être banales, d’ailleurs, que sa fixité est le reflet de sa concentration. Je ne le saurai jamais. Tandis que moi de mon côté j’imagine et je rêve, ils se sont levés, et, d’un pas décidé, ils sont entrés dans le musée.

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