Le Cri de Wilhelm

Greg Devin
Hexagone
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11 min readApr 12, 2024

(ou neuf résumés de films qui n’existent pas)

Une compagnie de nains entreprend une longue quête, afin de retrouver une relique ayant appartenu à son peuple, une hache aux pouvoirs incommensurables ; après une série de péripéties dans la Capitale du Sud, ville située en plein désert, aux ruelles labyrinthiques, on apprend que le trésor a été en fait dérobé par un sorcier, pour asservir le monde ; la formule pour activer l’artefact se trouve dans le donjon le plus lugubre et le plus dangereux du royaume ; les espions du mage rapportent l’information à leur maître ; une course contre la montre s’engage entre les nains et leur ennemi ; pour parvenir jusqu’à la salle centrale, une caverne cyclopéenne, constituée d’un lac à la profondeur abyssale, les nains se sacrifient les uns après les autres, déjouant des pièges, combattant des créatures surnaturelles, résolvant des énigmes tortueuses ; finalement, le chef, ultime rescapé, se lance dans une lutte sans merci contre le sorcier ; au terme d’un combat acharné, le nain triomphe de son adversaire, mais succombe à ses blessures ; avant de mourir, il a le temps de jeter la hache dans le lac, échouant dans sa mission, mais sauvant le monde d’un péril mortel ; on apprend par la suite que le plus jeune membre de l’expédition a survécu ; dépositaire de la mémoire, il commence alors une nouvelle quête, plus personnelle et mélancolique, pour restaurer l’honneur de ses compagnons, accusés de trahison et de désertion, et prouver au monde que leur chef était bien l’un des plus grands guerriers de l’histoire.

Dans une exploitation de cannes à sucre, au sud des États-Unis, au milieu du dix-neuvième siècle, une jeune femme de dix-huit ans, héritière de la propriété, s’ennuie en songeant aux plaisirs de la ville et au grand amour qui l’attend sans doute quelque part ; mais une scène à laquelle elle assiste par hasard bouleverse son existence : l’exécution d’un domestique, avec qui elle jouait enfant, pour le vol d’une part de gâteau, qui refroidissait sur le rebord d’une fenêtre ; prenant conscience de l’horreur de son univers, elle se met à passer du temps avec les esclaves, les réconfortant, les nourrissant, soignant leurs blessures ; finalement, elle tombe amoureuse du frère du jeune homme abattu, et projette de s’enfuir avec lui ; ils s’échappent à la nuit tombée, alors que retentissent les aboiements des chiens, les cris des contremaîtres, les claquements des fouets ; après bien des péripéties, ils arrivent à New York, où un organisme de charité tenu par des bonnes sœurs leur permet de refaire leur vie ; à la fin, on se rend compte que la voix de la vieille dame, qui racontait les événements depuis le début, n’était autre que celle de la jeune fille.

Johnny est né avec une malformation au visage, pas assez pour le rendre hideux, mais suffisante pour l’enfermer à jamais dans la catégorie des gens différents, inférieurs, losers ; après avoir fait l’école à la maison, il demande à ses parents de suivre un cursus normal ; mais son intégration se passe mal ; à chaque cours, il est victime de vexations, moqueries, brimades ; la bande du coin en fait sa tête de turc ; tous les soirs, sur le chemin du retour, ils inventent une nouvelle persécution ; Johnny, honteux, serre les dents, et fait le choix de n’en parler à personne ; mais un jour, c’est le coup de trop : le garçon se rebiffe et frappe maladroitement à son tour ; les brutes, un temps déconcertées, font pleuvoir les coups sur sa personne ; Johnny, en sang, se traîne jusqu’à chez lui ; mais alors qu’il s’apprête à tout avouer à ses parents, il tombe sur une voisine de son âge ; celle-ci le regarde curieusement puis le fait entrer dans sa chambre ; elle le soigne comme elle peut, en visionnant des tutoriels sur internet ; Johnny lui confie sa détresse ; touchée, elle décide de l’aider ; désormais accompagné partout de sa nouvelle amie, Johnny démarre une nouvelle vie, toujours aussi difficile, mais débarrassée du poids de la solitude ; progressivement, d’autres exclus se joignent à leur groupe ; face à ce collectif, les moqueries diminuent ; une musique entrainante accompagne cette période de leur vie, succession de micro-saynètes qui les voient peu à peu triompher de la bêtise ambiante ; le point d’orgue de cette success story est atteint lorsque Johnny fait un exposé devant sa classe, prenant son histoire pour modèle ; il est applaudi par tous les élèves ; et sur ces images se clôt le film, nous laissant toutefois un goût amer en bouche, puisque, malgré sa morale positive, les seules scènes qui ont réussi à nous captiver, sont celles qui ont vu couler le sang.

Un groupe de milliardaires, confronté, comme l’ensemble de la population, à la raréfaction des ressources, décide de lancer une vaste opération pour sauver la planète ; cette stratégie, qu’ils nomment entre eux “le Plan”, consiste à faire disparaître la moitié de l’humanité ; au début, nous assistons à leurs tractations, leurs doutes, leurs hésitations ; rapidement, leur groupe se scinde en deux : ceux qui sont pour une élimination directe, impitoyable, immédiate, de milliards d’êtres humains (ils proposent un empoisonnement des nappes phréatiques) ; les autres, minoritaires, qui souhaiteraient au contraire une disparition lente, progressive, bien évidemment tenue secrète, pour éviter le scandale ; mais, au fil des discussions, un troisième groupe apparaît : trois hommes d’affaires, sans lien entre eux, qui prennent conscience de la monstruosité du “Plan” ; ils décident de s’y opposer, en alertant les pouvoirs publics ; mais rapidement, leur projet est éventé ; les conjurés mettent tout en œuvre pour les éliminer ; s’ensuit une longue course-poursuite, entrecoupée de fusillades, qui a pour but de rallonger le film, et sans doute de rallier à sa cause un public jeune ; au cours de la traque, deux des opposants sont tués ; le troisième, après une séquence surréaliste, lors de laquelle il parvient à éliminer une dizaine de tueurs à gage, rejoint un commissariat, où il dévoile le scandale ; sa nature pourtant extraordinaire est acceptée sans sourciller par les autorités (laissant planer un doute sur leur complicité) ; la dernière scène nous montre le groupe de milliardaires défilant sous bonne garde, hué par la foule, en une satisfaisante inversion des valeurs, même si, comme chacun sait, dans le monde réel, parfaitement impossible.

Dans un futur légèrement avancé, un énorme vaisseau, de la taille d’un petit pays, apparaît soudaineement dans le ciel ; après des tentatives de pourparlers, qui n’aboutissent qu’à un silence inquiétant, les armées des pays riches décident de détruire cet ennemi potentiel ; mais alors qu’une myriade de têtes nucléaires s’apprêtent à frapper sa coque, celle-ci se met à briller d’une intense lumière bleue, qui détruit les missiles ; puis le croiseur tire un immense laser, qui semble littéralement couper la terre en deux ; mais en fait, non, la terre est réellement coupée en deux ; c’est la fin du monde ; le globe terrestre explose, son cœur brûlant mis à nu, une gerbe de feu se propageant jusqu’à la lune ; le vaisseau extra-terrestre s’éloigne à la vitesse de la lumière ; à l’intérieur, nous découvrons une petite pièce, dans laquelle sont étendus deux êtres humains ; nous comprenons qu’ils ont été enlevés juste avant l’explosion ; il s’agit d’un homme et d’une femme, d’une trentaine d’années, plutôt beaux ; après leur réveil, leur prise de conscience s’accompagne d’un immense désespoir ; seuls rescapés de l’espèce, ils envisagent le suicide, avant de se rendre compte qu’ils n’ont aucun moyen de mettre leur projet à exécution ; le vaisseau atterrit sur une planète qui ressemble beaucoup à la Terre, si on excepte son ciel verdâtre, ainsi que de vastes étendues désertiques, séparant des cités gigantesques, protégées par des dômes en verre ; les extraterrestres ont une forme vaguement humanoïde, mais pourvue de quatre bras ; ils emmènent les humains dans une sorte de stade, où ils doivent se soumettre à une série d’épreuves, au terme desquelles le perdant sera mis à mort ; le rêve un peu fou de reconstituer l’espèce s’évanouit ; ils s’affrontent d’abord à l’épée, puis traversent un labyrinthe, à bord de motos extrêmement rapides ; mais alors que la femme semble prendre l’ascendant, le pot aux roses est dévoilé : la Terre n’est pas détruite ; il s’agit en fait d’une illusion, à base d’hologrammes ; la principale activité des extraterrestres consiste en effet à étudier les populations de l’univers, quitte à se livrer à des expériences parfois cruelles ; ils en concluent, d’après l’attitude agressive des humains, à une nature spontanément belliqueuse ; après s’être répandus en excuses, ils les ramènent sur terre, où les attend un comité d’accueil enthousiaste ; bardés de richesses et d’honneurs, les protagonistes voient leur aventure d’un autre œil ; à la fin, on comprend que leur relation va sans doute prendre un tour plus intime.

Antoine est un jeune parisien de vingt-deux ans, timide et emprunté, qui n’a jamais réussi à obtenir les “faveurs sexuelles” d’une femme, comme il le dit lui-même ; il est pourtant joli garçon, séduisant, cultivé ; régulièrement, ses amies lui avouent qu’elles auraient aimé avoir une relation avec lui, si seulement elles étaient libres ; son statut d’éternel célibataire le relègue souvent au rôle de confident ; cependant, un jour, une amie de sa mère, de passage à Paris, et pourvue d’une magnifique chevelure rousse, jette son dévolu sur lui ; elle multiplie les œillades, les paroles à double sens, les caresses entre deux portes ; Antoine reste interdit face à cette fougue, ce qui donne lieu à quelques scènes cocasses, où le spectateur se retrouve complice de leur duplicité ; finalement, un soir, il succombe ; mais leur relation, malgré la différence d’âge, se révèle rapidement agréable : Esmeralda (car tel est son nom) se montre en effet une amante attentionnée, drôle, cultivée, qui lui fait découvrir une facette de Paris que son statut de jeune bourgeois du seizième occultait totalement ; grisé, Antoine prend confiance en lui ; aux yeux de ses ami(e)s, sa nouvelle relation le rend bien plus attirant ; il entame même quelques liaisons passagères ; mais à force, devenu un véritable “tombeur”, il se montre de plus en plus antipathique ; lorsque Esmeralda le quitte, excédée, il comprend qu’il a été trop loin, et que la sagesse, dans la vie, consiste au contraire à trouver un juste équilibre ; il redevient le jeune homme timide et sympathique qu’il était ; cependant, lors de la dernière scène, et alors que la musique du générique commence, le regard qu’il jette à une jeune femme nous indique que sa petite aventure a sans doute contribué à le faire changer.

Matt Murdoch, entraîneur de football américain à la retraite, est considéré dans son sport comme l’un des coachs les plus importants de l’histoire ; un événement que nous ignorons l’a transformé en misanthrope ; il a trouvé refuge dans une petite ville du Middle West, où il supervise l’équipe locale ; cependant, sa façade d’alcoolique bourru est mise à mal lorsque débarque un jeune prodige afro-américain, qui multiplie les exploits, sans même s’en rendre compte ; Matt, percevant chez le jeune homme un talent inné, mais aussi une incapacité naturelle à suivre les règles, rechigne à le sélectionner, malgré les supplications de sa mère, qui aimerait que son fils retrouve un semblant de cadre ; il finit par accepter ; si les premières confrontations font des étincelles, les deux protagonistes découvrent bientôt qu’ils partagent un lourd secret : Matt a en effet perdu sa fille dans un accident, tandis que le père du jeune homme a été tué dans une rixe, suite à un trafic de drogue ; faisant fi de leurs différences, ils s’allient et s’apportent beaucoup, l’un par sa fougue, l’autre par son expérience ; même les autres membres de l’équipe, d’abord jaloux et racistes, finissent par accepter la présence du jeune homme, qui devient leur leader ; au terme d’une finale au suspense grandissant, ils remportent le championnat ; les dernières images nous montre les deux personnages enlacés, vieillard blanc et jeune noir, brandissant la coupe sous les vivats de la foule, qui les porte en triomphe.

Une bande d’adolescents, souhaitant fêter la fin du lycée, et le début des vacances, se lance un défi : passer la nuit dans une bâtisse abandonnée, en rase campagne, sur laquelle circule quantité d’histoires épouvantables : on raconte en effet que l’ancienne propriétaire s’y est donnée la mort, après avoir tué ses enfants ; la composition de la bande offre un panorama assez saisissant de la société américaine au début du vingt-et-unième siècle (ou plutôt, un panorama de la société américaine telle que l’imaginent les scénaristes d’Hollywood au début de vingt-et-unième siècle) : le personnage principal est un jeune homme blanc, sportif et musclé ; il est accompagné d’une jeune fille blanche elle aussi, cheerleader, aux formes avantageuses, dotée d’une présence d’esprit remarquable (sans doute pour contrebalancer son physique caricatural) ; il y a aussi le “meilleur copain” noir, dont l’activité principale consiste à faire des blagues ; un autre “meilleur copain”, mais juif, cette fois, portant lunettes, t-shirt déchiré et cheveux longs, qui incarne une sorte de sagesse prudente, le rationnel réfléchi ; enfin une jeune fille brune mince, quasi-anorexique, vêtue d’un attirail gothique, qui sert vraisemblablement de caution “rebelle” au film ; les “amis” se retrouvent un soir face à la maison, alors qu’un orage semble sur le point d’éclater ; en entrant, la caméra adopte un procédé assez classique : elle filme l’action du point de vue de l’agresseur ; nous circulons ainsi de pièce en pièce, observant le groupe, craignant pour sa sécurité, mais savourant par réaction la nôtre ; la demi-heure suivante semble consacrée, de la part des scénaristes, à imaginer toutes les solutions possibles et imaginables pour obliger les protagonistes à se séparer (ce que la plus élémentaire prudence commande évidemment de ne pas faire) ; finalement, le prétexte est trouvé par l’intermédiaire de la jeune gothique, qui fait une crise de panique et s’enfuit ; oubliant toute prudence, les membres se dispersent, préfigurant le jeu de massacre qui va suivre ; avec une régularité métronomique, la caméra filme la mort des protagonistes, selon un mode opératoire à chaque fois différent : éviscération dans la cuisine, noyade dans la salle de bain, décapitation dans la cave ; finalement, les seuls rescapés sont les deux leaders WASP ; fort heureusement, ils se font trucider in extremis, avec un twist final qui fait définitivement sombrer le film dans la caricature : en effet, on apprend que c’est la jeune fille anorexique qui a tout manigancé, avec l’aide de son frère trisomique ; ce qui s’apparente à une revanche des exclus est donc en réalité une énième charge contre la différence ; elle permet aux spectateurs d’opérer un renversement cathartique et de s’en sortir, une fois de plus, blancs comme neige.

Dans la Chine médiévale, un paisible village de paysans, niché dans les hauteurs, se fait attaquer par une bande de pillards ; tous les habitants sont massacrés, à l’exception de Wang, un enfant de quatre ans, qui survit miraculeusement, caché sous une botte de foin ; il est recueilli par Cheng, un vieil ermite, considéré comme fou, qui l’élève au cœur de la jungle ; après lui avoir donné une solide éducation, il l’initie aux arcanes du kung-fu ; tous les jours, Wang accomplit des exercices de plus en plus difficiles, de plus en plus périlleux ; lorsqu’il atteint ses dix-sept ans, Cheng lui révèle la vérité sur ses origines ; aveuglé par la haine, le jeune homme se rend au quartier général des bandits, où il se prend une raclée ; Cheng lui explique alors que l’empressement est l’ennemi du guerrier, et qu’il doit élaborer des techniques plus élaborées ; quelques jours plus tard, en se rendant au village voisin, il rencontre une jeune fille, Lin, dont il tombe éperdument amoureux ; mais cette dernière se fait enlever par le chef des brigands ; s’ensuit alors une interminable séquence de combats, durant laquelle Wang, aux forces décuplées par la rage, abat à lui seul une centaine d’adversaires ; la scène finale nous présente le duel entre le chef, aux méthodes déloyales, et Wang, qui puise dans ses ultimes forces pour l’abattre d’un dernier coup de poing ; tandis que le soleil descend, Wang et Lin marchent vers le couchant, sous l’œil embué de Feng, qui les regarde partir, et qui, juste après qu’ils aient disparu, ferme les yeux pour s’éteindre doucement.

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