Autistes, les grands oubliés de l’accessibilité

Damien Senger • hiwelo
Hiwelo’s notebook
12 min readOct 6, 2016
Le stéréotype de l’autiste : seul face à l’immensité du vide. Oui c’est nul mais que voulez-vous, c’est comme ça.

Je ne raffole pas des avertissements au début des articles habituellement, mais là je ne vois pas comment je pourrais faire sans.
L’autisme est une question complexe et compliquée, tout simplement parce qu’il n’existe pas un autisme, mais des personnes autistes.
Comme nombre de neuro-atypiques, chaque personne autiste est différente avec des sensibilités et des constructions qui lui sont propre. C’est bien pour cette raison qu’il n’existe pas un autisme mais un spectre complet formant les troubles du spectre autistique.
Étant moi-même concerné par ce spectre, j’aurais peut-être tendance dans cet article à parler de certaines sensibilités qui sont miennes mais qui ne représente pas forcément une situation partagée par tous les autistes étant donné leur grande diversité. C’est d’ailleurs cette diversité qui rend les troubles du spectre autistique si compliqués à diagnostiquer.

Cette diversité est exacerbée par un classement plus que contestable entre les autistes dit “de Kanner” et les autistes à haut fonctionnement dit “Asperger”. Ce classement est souvent contesté du fait que ces deux extrêmes assurent l’invisibilité des nombreux profils qu’on peut trouver dans ce spectre avec chacun ses nuances et ses particularités.

Au commencement était un article et une conférence…

Si j’ai décidé d’écrire ces quelques lignes c’est à la suite de deux éléments déclencheurs.

Tout d’abord, il y a eu la publication des posters de promotion des démarches d’accessibilité éditées par le gouvernement britannique. Une initiative très réussie qui met en avant les bonnes pratiques à respecter pour assurer l’accessibilité à destination de tous les publics présents sur le Web.
Et à ma grande surprise, une des variantes de ces posters était dédiée à la question du spectre autistique (et je suis très heureux que le gouvernement britannique parle bien de spectre…).

Seulement, en discutant avec un nombre important de professionnels du web dans mon entourage, je me suis rendu compte de l’importante méconnaissance des problématiques de l’autisme et de certains troubles cognitifs dans la navigation web.
C’est d’ailleurs pour ouvrir la discussion sur ces problématiques que j’ai animé un atelier lors de la dernière édition de Paris Web sur les troubles de l’attention et la navigation web, un autre trouble cognitif souvent présent comme comorbidité dans certains autismes.

Le deuxième élément déclencheur a été une situation de grand malêtre que j’ai pu vivre lors de cette dernière édition de Paris Web.
Je tiens vraiment à préciser que Paris Web est un événement formidable sur le plan de l’accessibilité. Le staff fait un travail de titan pour assurer le confort et l’accessibilité des conférences à tou·te·s. Vélotypie, LSF, équipe à l’écoute des problèmes, etc. Tout est fait pour que chacun·e puisse trouver sa place dans cet événement.
Mais malgré cela et tout le travail abattu par le staff de cet événement, l’inévitable est arrivé après deux jours passé au milieu de la foule.

Il faut comprendre que pour certaines personnes autistes, les grands événements demandent à mobiliser une énergie particulièrement importante pour ne pas craquer. À chaque conférence, il est compliqué pour moi de me forcer à avoir “un comportement social”, il est fatiguant pour moi de devoir me retrouver au milieu de foules et il est encore plus éreintant de devoir parler en petit comité à des personnes.
Je n’ai strictement aucun problème à donner des conférences. Parler devant une foule ne me pose pas de problème majeur. Par contre, à chaque fois que vous me demandez de vous parler, de discuter, de débattre en face à face avec vous, cela me demande une dose d’énergie parfois plus importante que celle nécessaire pour faire 45 minutes de conférences.
Ma non-compréhension du second degré et des sarcasmes m’oblige à analyser en permanence les discours de chacun·e pour essayer de distinguer l’humour d’une attaque bête et méchante. Tout cela, ça demande une masse d’énergie digne d’une centrale nucléaire, à chaque instant.

L’importante foule existante lors d’événements publics, souvent source d’oppression.

Mais attention, je ne vous interdit pas de venir me parler. Loin de là.
J’adore entendre vos avis et débattre avec vous.
Je vous informe de cela juste pour que vous compreniez l’énergie que cela me demande et que ne vous vexiez pas le jour où je vous demande de revenir simplement une heure plus tard pour me parler.

Bref, après deux jours de conférences, les batteries à plat, j’ai vécu 45 minutes extrêmement désagréables face à une conférence sur l’audio.
Le message véhiculé par la conférence n’y était pour rien, la conférencière n’y pouvait pas grand chose non plus d’ailleurs. Elle n’était peut-être just pas sensibilisée aux questions des sensibilités personnelles aux sons que chacun peut avoir.
Je pensais assister à une conférence technique, je ne pensais pas me sentir agressé par des sons aigus extrêmement désagréables qui m’ont poussé à bout au point de ne plus pouvoir bouger de mon siège pendant 15 minutes, les larmes aux yeux…

Je n’en ai voulu ni à la conférencière, ni au staff qui a eu une réaction bienveillante et adorable. Seulement, j’ai compris à travers les réactions des gens que peu de personnes étaient réellement sensibilisées aux questions de l’autisme et de certains handicaps qui peuvent exister de part notre hyper (ou hypo) sensibilité.
Sur ce point d’ailleurs, d’autres personnes à priori non autiste, simplement hypersensibles aux sons aigus, ont été également très handicapés durant cette conférence.

Enfin, j’ai enfin décidé de vous parler de ce sujet, et plus globalement de militer sur cette question, parce que je n’en peux plus d’entendre cette phrase au quotidien :

Fais un effort, voyons. Cesses de te comporter comme un enfant.

Bordel mais ouvrez les yeux : vivre dans ce monde en tant qu’autiste est déjà un effort permanent.

À l’heure où j’écris ces lignes, je suis confortablement installé dans un Anti Café au cœur de Paris, dans une atmosphère calme et protectrice.
Installé dans un coin de ce café duquel je peux voir la quasi totalité de l’espace, je suis en sécurité avec mon casque solidement vissé sur les oreilles.
Pour faire simple, ici, tout va bien.

Vitrine de l’Anti Café d’où j’écris cet article

Pourtant, pour venir ici, j’ai du affronter l’incarnation terrestre de l’enfer : les transports collectifs parisien. Je dis bien les transports collectifs et pas le métro parce que me concernant, le métro seul en heure de pointe, c’est impensable : je ne suis pas sûr d’avoir l’énergie suffisante actuellement pour faire face à ça.
Pour vous donner une idée d’à quel point le métro peut être difficile pour une personne autiste : j’ai préféré attendre un bus dans le froid pendant 20 minutes devant un Hôpital parisien et les sirènes de ses ambulances en permanence plutôt que de prendre 25 minutes de métro.

Personnellement, mon autisme est caractérisée par une hypersensibilité au toucher et à certains sons. Pas à tous les sons, mais à certains d’entre eux.
Par exemple, j’ai résisté sans aucun problème dans certains festivals de musique d’électro ou de rock : les basses sont mes amis. Mais si des sons trop aigus sont présents, je ne suis pas sûr de résister plus de quelques instants. Côté toucher, je supporte avec beaucoup de difficultés les intrusions dans mon espace personnel (très) restreint.

Bruyant, bondé, inconfortable, parfois malodorant : quand nos sens sont l’objet d’hypersensibilité : vous comprendrez sans doute ma haine du métro.
Et ceci n’est qu’un exemple anecdotique des efforts que les personnes autistes doivent faire tous les jours de l’année pour vivre dans notre société.

Je pourrais vous parler de longues heures de personnes autistes non verbales qui sont bloquées dans notre société par l’omniprésence de la communication verbale comme solution unique de communication. Ou encore des personnes autistes qui craquent au milieu de leurs courses car oui, cela demande un effort important de sociabilisation et d’adaptation.
Oui, pour certaines personnes, passer un coup de téléphone est un effort monstrueux.

Et quand je parle de ces situations, je ne parle pas de cas “sévères” de trouble du spectre autistique. Cela peut arriver à chacun d’entre nous, selon notre état de fatigue, selon notre énergie, selon notre humeur et selon notre capacité sur l’instant à revêtir un masque social.

L’effort attendu par les neurotypiques, il est fait en permanence par les personnes autistes pour essayer d’être membre de cette société dans laquelle on vit.
Quand une personne autiste fait un travail de sociabilisation, c’est déjà un effort. Y compris quand cela vous paraît facile, simple ou encore naturel.
Cessez de nous prendre pour des enfants.
En étant partie prenante de la société, en travaillant, en allant dans des conférences ou en affrontant des situations sociales alors qu’il ne s’agit généralement pas de leur milieu de confort, les personnes autistes font déjà leur part d’effort.
Encore une fois, cessez d’infantiliser les personnes en situation d’autisme.
La société a aussi un travail à faire pour favoriser leur intégration.
La société aussi doit se poser un grand nombre de questions sur le lissage et le formatage demandé à chaque individu.

Je ne vous regarde pas dans les yeux, c’est vrai. Mais c’est simplement pour m’éviter une dépense d’énergie importante qui me semble inutile.
Regarder quelqu’un dans les yeux, c’est un effort important.

Oui, je parle de sujets qui ne vous intéressent pas forcément.
C’est parfois le cas pendant de longs moments. On appelle cela des Intérêts Restreints. Et bien, si une personne autiste vous parle de ses intérêts restreints, soyez en honorés. C’est une marque de confiance.
Écoutez cette personne, cela ne vous fera pas de mal d’être pour une fois autre chose que le centre de l’attention.

Mais toi, derrière ton écran, que peux-tu faire pour me faciliter la vie ?

En fait, chacun·e peut améliorer facilement la vie des personnes autistes en adoptant des comportements non intrusifs au quotidien.
Et vous savez quoi, ces comportements “safe” ou non-intrusifs, vous pouvez aussi les appliquer au quotidien pour n’importe quel autre être humain et la société ne s’en portera que mieux.

Et pour commencer, partez du principe que les codes sociaux, ce n’est pas inné.
Malheureusement pour vous, un bon nombre des codes sociaux que vous considérez comme “normaux” me paraissent totalement ahurissant.
Ce n’est pas de la mauvaise volonté, certains concepts “simples” me sont juste totalement étranger.

  • Apprenez à limiter les contacts physiques :
    La bise, non, ce n’est pas automatique.
    Les micro-contacts physiques pendant les discussion… non plus. Personnes autistes ou pas, ces micro-interactions peuvent être extrêmement intrusives et créer un malêtre important chez votre interlocuteur. Je vous écouterais autant, voir plus, si vous évitez de me toucher le bras pendant votre prise de parole.
  • Être seul ne signifie pas être disponible :
    Une personne qui ne fait rien ne signifie pas une personne avec qui vous pouvez discuter. Souvent, les personnes autistes ont besoin d’espace pour faire le vide et pour reprendre des forces avant d’affronter une situation sociale. Si vous souhaitez établir le contact avec une personne autiste, essayez de signaler votre envie à travers une situation non envahissante et non verbale pour s’assurer de son consentement.
  • Évitez les situation de surprise :
    Éviter de surgir brutalement dans le dos des personnes et de faire de trop grands écarts de voix ou autres situations qui pourraient créer un malêtre chez la personne autiste.
  • Ayez un langage inclusif et évitez le langage imagé :
    Un grand nombre de personnes autistes ont des difficultés de compréhension du second degré, de l’ironie et de certains sarcasmes.
    Par contre, notez que ça n’empêche pas ces personnes d’en faire. Il faut juste faire attention à ce que toutes les situations puissent être comprises et que les notes d’humour ne soient pas perçues comme blessantes.

En somme, ces conseils vous pouvez les appliquer également concernant un grand nombre d’autres situations ou à destination d’autres groupes de personnes. Il s’agit là simplement d’un comportement safe qui vous évitera de braquer la personne devant vous, quelque que soit la situation.

Parfois, l’isolement est primordial et il faut savoir respecter ce besoin.

Mais surtout, quelque soit votre comportement le plus important reste de ne pas vous braquer si une personne vous fait part de son inconfort.
Apprenez à respecter les distances de chacun·e, ne le prenez pas contre vous. L’égo n’a rien à voir dans ces situations.
Chacun·e, devenons des acteur·rice·s du changement social, c’est à notre portée.

Conférences du web et d’ailleurs : vous pouvez améliorer facilement le quotidien des personnes autistes

Côté conférence, je comprends qu’il est compliqué pour les staffs d’appréhender la question de l’accessibilité aux personnes autistes.
Il existe un spectre tellement large d’hypo/hyper-sensibilités possibles qu’il est impossible d’adapter le programme en conséquence.

Toutefois, il est possible de réaliser un ensemble d’actions qui permettront d’améliorer globalement l’expérience vécue par les personnes autistes lors des événements publics :

  • Pour éviter les sentiments d’écrasement par la masse, limitez les espaces trop grands ou trop ouvert. En tout cas, essayez de faire que ces espaces disposent de moyens de se mettre “à couvert” : murs ou coins accessibles, pas trop de musique, etc.
    L’idée n’est toutefois pas de provoquer une quelconque claustrophobie, prévoyez donc des espaces assez grands pour contenir tout le public attendu sans forcément grignoter les sphères privées de chacun·e.
  • Pensez à prévoir des espaces “calmes” ou “safes” où chaque personne qui en ressent le besoin peut retrouver calme et sécurité. Ce point est particulièrement important pour les personnes autistes.
    Un endroit calme, à l’abri de la foule, en sécurité où les personnes concernées pourront faire descendre la pression qu’ils peuvent subir lors d’événements publics.
    Un couloir discret ou une petite pièce à l’écart de la foule peut très bien faire l’affaire. Pensez seulement à garantir la sécurité des personnes isolées dans cet espace, pour éviter les situations de harcèlement par exemple.
  • Proposez des systèmes d’alerte non-verbaux qui permettent à toute personne de contacter le staff pour faire part de sa situation sans pour autant nécessiter l’usage d’une communication verbale, non adaptée à toutes les situations.
    Et une fois qu’une personne utilise un système d’alerte non-verbal, tâchez de conserver ce mode de discussion sans imposer le système verbal qui parfois peut paraître aussi intrusif que la raison initiale du malêtre.
    Le staff de Paris Web a par exemple été d’une réactivité exemplaire à la suite de mes tweets liés au malêtre ressenti durant l’une des conférences. Ils ont su rester à l’écoute à travers le medium que j’ai choisi comme le plus adapté pour pouvoir communiquer à cet instant-là, et ils ont été réellement adorable.
  • Informer les orateur·rice·s des situations à éviter : changement brutal de volume sonore, sons particulièrement aigus ou graves, images choquantes ou trop irritantes (comme pour l’épilepsie par exemple), etc.
  • Si une conférence peut contenir des éléments pouvant heurter des sensibilités (visuelles, auditives, etc.), pensez à prévenir les participants au début de la conférence ou par l’utilisation d’une signalétique particulière au sein du programme.
    Une conférence sur l’audio dans le web ne signifie pas forcément la diffusion de son (possiblement désagréables) pendant 45 minutes.
    Ce n’est pas grave de le faire, loin de là, il est juste important de prévenir le public au préalable.

Encore une fois, je ne tiens pas à jeter la faute sur le staff de Paris Web qui a su avoir la bonne conduite au moment de ma détresse durant cet événement. J’ai simplement pensé important d’aborder cette question après avoir discuté avec certaines personnes du staff. Ils m’ont notamment informé de leur absence de connaissances sur cette question et de solutions à y apporter.
Ces petits dispositifs m’auraient d’ailleurs évité bien d’autres situations inconfortables à des événements où j’ai mis les pieds durant ces dernières années.

Cette liste de solution n’est pas forcément exhaustive, je suis ouvert à la discussion concernant chacun de ses points et le rajout d’autres.
Je pense juste qu’il s’agit d’une base qui dans le cas des troubles du spectre autistique comme dans d’autres cas pourraient éviter certaines situations désagréables.

Un espace grand et ouvert n’est pas forcément inaccueillant, tout dépend de l’aménagement. Pour ce parc par exemple, il y a de la place pour chacun et donc, pas forcément de problème à l’horizon.

Artisans du web : l’accessibilité ce n’est pas que les handicaps moteurs et physiques

Consœurs et confrères artisans du web, je ne vous ai pas oublié. J’ai prévu de rédiger rapidement un article sur ce que je pense être des bonnes pratiques pour assurer l’accessibilité du web aux personnes autistes.

Cet article était important à mes yeux, car je pense la démarche d’accessibilité ne s’arrête pas aux frontières du web.
Quand cette question nous anime, nous cherchons à avoir une démarche globale appliquée à chaque medium auquel nous faisons face, y compris la vie réelle que nous vivons tous les jours.
Pour comprendre les enjeux de l’accessibilité du web aux personnes autistes, il était important pour moi d’offrir un premier regard plus global sur les enjeux de l’accessibilité de notre société aux personnes autistes.

Toi qui a lu ces lignes,
Toi qui a pris le temps de t’intéresser à ce sujet,
Toi qui je l’espère a ouvert les yeux sur le neuro-atypisme et notamment les troubles du spectre autistique,

Merci.

Les médias en ligne et plus globalement les médias virtuels facilitent la communication d’un grand nombre de personnes ayant des troubles du spectre autistique, qu’ils soient verbaux ou non.

Beaucoup de gens ont tendance à penser que la communication verbale est la seule forme viable de communication… parce qu’elle est majoritaire.
Pourtant, ce n’est pas le cas.

Donc, si le sujet t’intéresse : je serais heureux de vous lire, d’en discuter et d’en débattre avec vous.
N’hésitez pas à en parler avec moi sur Twitter, par mail, ou par tout moyen que tu jugeras confortable pour toi, et pour moi. Ce sera avec plaisir.

Des cœurs sur vous, vous êtes cool.

--

--

Damien Senger • hiwelo
Hiwelo’s notebook

Product Experience & Inclusivity Product Leader • Cities, Mobility & Urban Planning are my cup of rooibos • they/them pronouns