Ludovic Cinquin, OCTO Technology, un précurseur dans les transformations du monde du travail ?

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7 min readAug 23, 2020
OCTO Technology, de l’entreprise agile à l’entreprise sociocratique

Entretien avec Ludovic Cinquin, fondateur et dirigeant d’OCTO Technology

OCTO Technology, cabinet de conseil et de réalisation IT fait définitivement figure d’ovni dans le paysage entrepreneurial français. Fondé en 1998, son histoire et son développement accompagnent celui d’internet. Force est de constater que près de 20 ans plus tard, OCTO Technology est toujours en piste, ce qui constitue déjà en soit une prouesse. Pionnier du « delivery agile », l’entreprise s’est rapidement distinguée de ses concurrents par sa manière de faire, mais aussi sa culture avant-gardiste de la technologie. Son organisation interne, est peut-être un des exemples actuels les plus réussis en termes d’application des principes de la sociocratie. Acquis en 2016 par le mastodonte international Accenture, le développement du cabinet tricolore s’est vu encore accéléré. Comment expliquer ce succès insolent, et la capacité à organiser les équipes de manière radicalement nouvelle malgré une montée en échelle rapide ? Avec aujourd’hui près de 700 employés, il est évident que l’histoire d’OCTO Technology a beaucoup à nous apprendre, dans ses réussites comme ses erreurs.

Evidemment, mettre en place un fonctionnement sociocratique au sein d’OCTO Technology a été un long et laborieux chemin, qui n’a pu faire l’économie de sérieux doutes et de réelles remises en question. Et il est encore probablement bien plus long et laborieux pour des organisations plus “classiques”. En effet, les équipes et les collaborateurs d’OCTO au moment de se lancer dans les transformations engagées par leur cabinet, disposaient d’ores et déjà de bases solides, d’un ensemble de pratiques, de rituels et de valeurs propices à ces évolutions. On peut évidemment penser à l’organisation, notamment de la prise de décision résolument flat, au jour le jour et au niveau local, mais aussi à l’importance donnée à l’autonomie, la liberté d’expression et la délégation, au refus de l’ego. Toute cette culture a permis aux équipes comme à la direction de négocier au mieux ces transformations, au prix d’un travail sans relâche. Et le chemin ne fait que commencer…

L’histoire d’OCTO Technology est avant tout celle d’une expérimentation, permanente et sans cesse renouvelée. Elle commence avec la prise de conscience que la technologie et la transformation digitale, le cœur de métier d’OCTO, ne peuvent être considérées de manière indépendante et hors-sol. Toute transformation digitale est avant tout une transformation culturelle.

D’une expertise quasi exclusivement technique, le cabinet a rapidement évolué vers une approche plus englobante, notamment au travers des méthodologies à l’image de l’agile. De là à saisir que la technologie avait bel et bien un impact sur la culture, il ne restait plus qu’un pas…

La première étape de cette longue révolution remonte à 2004 lorsque OCTO Technology recrute plusieurs personnes aussi membres de la première communauté agile en France. Rapidement les nouveaux venus ont challengé les habitudes en interne, les manières de faire… Un processus violent, mais in fine fructueux. S’en suit une migration vers l’agile qui a eu des conséquences bien plus importantes que prévues. A force d’expérimenter et de « jouer à l’agile », sans avoir guère de modèle auquel se référer ou se comparer, ce sont finalement de nouveaux gestes quotidiens qui ont fait surface. Ces mêmes gestes qui à force de répétition se sont sédimentés en culture… Comme se plaît d’ailleurs à répéter Ludovic Cinquin, fondateur et dirigeant d’OCTO Technology :

« On ne peut pas changer une culture, on peut changer les comportements et les comportements deviennent la culture ».

La seconde révolution fut probablement encore plus douloureuse. Engagé dans une transformation profonde et incertaine, OCTO Technology a vu son turn-over grimper soudainement, il y a près de 8 ans, passant de 7% à 20%. Un vrai coup dur pour le cabinet qui misait justement beaucoup sur la formation de ses collaborateurs. Mais un coup dur qui permet aussi à Ludovic Cinquin et à ses équipes de questionner encore un peu plus leur modèle. Verdict ? La nécessité de pousser encore plus loin les transformations, notamment en laissant plus de liberté et d’initiative aux individus. C’est à ce moment qu’OCTO Technology engage sa deuxième grande transformation :

l’organisation des équipes sur un modèle de « tribus » allant de 4 à 30 membres, auto-organisées et capables de décider de leur sort qu’il s’agisse des sujets sur lesquels s’investir ou des missions à accepter ou refuser. Un pari totalement fou mais qui a aussi eu un impact extrêmement fort culturellement sur les collaborateurs.

OCTO Technology, de l’entreprise agile à l’entreprise sociocratique

Mais comme pour toutes les transformations et les expérimentations, de nouvelles limites sont rapidement apparues et ont posé la nécessité de nouvelles adaptations. Ce n’est pas un hasard si Ludovic Cinquin évoque souvent « un cheminement jamais totalement achevé vers la sociocratie », une révolution entraînant toujours de nouveaux défis à relever. Celui soulevé par l’organisation en « tribus » ? En l’espace de quelques années seulement, l’excitation liée aux transformations de l’organisation interne avait peu ou prou disparu, ou avait du moins nettement reculé dans les équipes. Le nombre de collaborateurs ayant vécu le projet dans leur chair depuis le début se réduisait inéluctablement. Et avec eux l’efficacité et la puissance de ce mode d’organisation. Et ce n’est pas tout, l’organisation sur un modèle de « tribus » commençait aussi à montrer certaines limites. Ce système, morcelle de plus en plus l’organisation avec l’augmentation du nombre d’employés et rend difficile la coordination. Une opportunité pour lancer la transformation la plus récente, et encore en cours, de l’organisation au sein d’OCTO Technology : la structuration des tribus en des ensembles plus larges et sur le modèle de fonctionnement sociocratique.

Aujourd’hui, les quelques 700 collaborateurs du cabinet forment une trentaine de tribus, elles-mêmes regroupées au sein de 6 leagues qui varient entre 50 et 90 personnes. Chaque league correspond ensuite globalement à une thématique (Agile, transformation culturelle, data science, IA etc.).

Mais comment entraîner les équipes et les tribus dans ces transformations ? Comment éviter l’écueil d’une réorganisation imaginée et imposée par en haut ? Encore une fois, Ludovic Cinquin expérimente, ajuste, et reste fidèle ses valeurs. Après tout, pourquoi ne pas essayer de se réorganiser d’une manière agile ? L’intention générale, regrouper les tribus dans des sortes de leagues supérieures et régies par la sociocratie, a été dans un premier temps proposée à l’ensemble des collaborateurs afin qu’ils formulent des propositions et soient totalement parties prenantes des transformations possibles. L’idée cardinale de la démarche étant de conserver une approche incitative et d’éviter au maximum de basculer dans l’autoritarisme. Pour prendre la mesure de ce pari, il est important de rappeler qu’à ce moment précis, la sociocratie est encore balbutiante dans le monde entrepreneurial. Mais rien qui puisse effrayer les équipes d’OCTO. Spontanément, certains collaborateurs ont commencé à s’y intéresser, à creuser le sujet, à assister à des conférences etc. Les équipes ont vu leur connaissance du sujet mûrir peu à peu jusqu’à voir émerger des ébauches de fonctionnement sociocratique. Le moment était donc venu pour la direction de montrer l’exemple et de s’appliquer les mêmes principes.

Organisation en cercle, double lien, élection de facilitateurs et de secrétaires : autant de dispositifs que le comité de direction a adopté en début d’année, à distance, durant le confinement. Un fonctionnement qui prend certes un peu plus de temps à mettre en place, mais qui fonctionne, à en croire Ludovic Cinquin. Pour lui, il faudra encore près d’un an à ses équipes pour que le modèle de gouvernance et d’organisation soit bien rôdé et pleinement opérationnel.

Mais la puissance de la culture chez OCTO Technology ne se résume pas seulement à ces manières d’organiser le travail au sein du cabinet. De nombreux rituels ont aussi été élaborés pour justement rendre l’expérience des collaborateurs unique et engageante. A l’image des journées « tribu » : chaque mois, les membres d’une équipe se retrouvent le temps d’une journée, à l’endroit qu’ils souhaitent pour faire ce qu’ils veulent… Une manière de laisser les équipes percevoir et déterminer la meilleure manière de construire leur collectif, de devenir solidaires. Nous pourrions aussi évoquer les « brown bag lunches » qui consistent à donner carte blanche, chaque midi, à celles et ceux qui le souhaitent pour partager avec le reste des équipes sur un sujet qui leur tient à cœur. Aucun sujet n’est exclu et dans la pratique, ces formations autogérées peuvent aller de la reconnaissance d’image avancée en passant par le compostage des déchets. Sans oublier, bien évidemment, les réunions de cercle qui vont progressivement s’imposer comme un rituel essentiel avec la mise en place de la sociocratie.

De là à imaginer que Ludovic Cinquin et ses équipes sont arrivées au bout de leur aventure ? Loin s’en faut ! De l’aveu même du fondateur et dirigeant d’OCTO Technology, l’apprentissage est permanent et continu et il ne semble pas prêt de s’arrêter ! Mais c’est aussi un chemin intéressant en tant que tel, un socle qui pourrait permettre de construire une nouvelle génération d’entreprises. L’enjeu en vaut la chandelle.

Cette synthèse est issue d’une session The NextGen Enterprise “Thrive-In” collective et virtuelle qui s’est tenue le 23 juin 2020 et dont vous pouvez retrouver l’enregistrement ici :

OCTO Technology, de l’entreprise agile à l’entreprise sociocratique
Susanne Aebischer et Luc Bretones, animateurs de The NextGen Enterprise NET

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