Re-apprendre à penser

Matthieu Chereau
Hors Programme
Published in
6 min readDec 4, 2017

Ou comment restaurer notre esprit aliéné en 4 étapes !

En l’espace de quelques mois il est possible de changer de vie ou de job. Cela implique une nécessaire prise de recul, sur ce qui compte pour nous, et là où on veut aller. Souvent on le sait déjà dans les grandes lignes, ou pas. Et quand bien même ce serait clair, le diable se cache dans les détails. Bref, il faut réfléchir. Et c’est là que cela se corse — sérieusement.

Retour 6 mois en arrière. Tout juste affranchi de mon job, je réalise à quel point il m’est difficile de me concentrer et d’articuler mes idées. C’est a priori simple et pourtant j’en suis incapable. Sur le coup je suis choqué, prenant la mesure de ma régression (ou devrais-je dire aliénation), je pense déjà à la suite. A la manière dont je vais devoir reconstruire mon attention — à moi-même bien sûr, et à ce qui se passe autour de moi. Mais comment re-faire attention ?

1- Récupérer le temps perdu

Time is what we want the most, but what we use the worst

William Penn

D’où vient cette diminution de l’attention ? J’ai créé ma première entreprise dans le digital en 2007. 10 ans donc. 10 ans à tester toutes les applications qui passent, en long en large en travers, à adopter et capitaliser sur certaines. A devenir au final comme tout le monde et peut-être un peu plus addict : aux feeds, aux interruptions intempestives des notifications de toutes sortes, et au final addict à la distraction.

Consigne n°1 : ne pas céder

Cette addiction est le mal de notre temps. Un mal dont nous sommes tous plus ou moins atteints, contre lequel des solutions existent que beaucoup dans la tech commencent à adopter :

  • Suppression des notifications — toutes. Même WhatsApp ou Messenger. Ceux à qui je ne réponds pas tout de suite comprennent maintenant pourquoi !
  • Réduction de façon drastique de l’usage des medias sociaux. Suppression de Facebook, Instagram ou même Twitter sur mon téléphone. C’est fou comme on se fait vite à leur absence. Fou aussi comment on se laisse happé de nouveau. Sujet délicat donc, surtout quand on travaille dans le digital (non mais on croirait entendre un drogué !).
  • Pour le desktop, j’essaye d’utiliser Freedom pour m’empêcher d’aller sur les réseau sociaux. Forest est bien aussi.
  • Vous pourrez trouver d’autres recommandations ici, notamment pour mieux maîtriser votre usage mobile.

2- L’art de la pause

Ayant un background d’entrepreneur j’ai passé le plus clair de ma vie à abattre des to-do lists longues comme le bras et à résoudre des problèmes à longueur de journée, souvent en même temps. C’est assez gratifiant mais grisant, tant et si bien qu’on finit par prendre goût à ce jonglage incessant. Certains s’en prémunissent à créant des plages de réflexion. Le risque pour ceux qui comme moi ne le font pas assez : ne plus produire une pensée qui se tient, voire même une vision qui porte. Première leçon pour moi : donner le temps à mes réflexions — le temps de se formuler, d’hésiter et de s’écouter. Je trouve cela relativement dur, parce que cela requiert un grand silence (intérieur) et une certaine patience.

Je me souviens d’un ami éditeur qui — à l’époque où il était en maîtrise de lettres (petite dédicace Florian) — avait une méthode bien à lui pour construire son mémoire. A chaque impasse il partait en promenade, et à chaque idée il s’asseyait sur un banc. Méthode imbattable pour avancer : marcher, comment ne pas y penser ! Plus sérieusement, ménager a minima des plages horaires. J’entendais un entrepreneur expliquer dans Nouvelle Ecole qu’il avait des plages horaires dédiées à ça. Evidemment il faut s’y tenir.

Puisque l’on parle de promenade, petit clin d’oeil à Jean-Jacques, avec un superbe Podcast ces jours-ci à entendre sur ses rêveries.

A défaut de planifier cela, il est possible de tirer parti des temps morts. Combien d’entre vous dégainent alors le téléphone, pour combler le vide. Thomas Friedman y voit l’occasion justement de connecter ses idées. Chaque moment d’attente imprévue devient l’occasion de faire mûrir ses idées et progresser dans son écriture, d’où le titre de son dernier ouvrage : merci d’être en retard.

De mon côté, trois actions :

  • Je tâche d’introduire ces réflexions lors de mes pauses : en m’éloignant de l’écran pour aller dehors avec un crayon et un carnet. Rien de tel que des temps morts pour avancer paradoxalement.
  • J’essaye après les rencontres ou déjeuner de marcher plutôt que de prendre des transports en communs. Ce qui permet de digérer la conversation, d’y revenir, et parfois de l’approfondir. Evidemment sans avoir les yeux rivés sur mon portable, ça va de soi. Mais parfois c’est dur.
  • Je cours. Ca libère les idées dont on ne veut pas (important aussi), en fait ressortir d’autres intéressantes . Et si l’on court tôt le matin, cela permet d’aborder la journée avec d’emblée une bonne énergie.

3- L‘art de la conversation

Une fois les distractions évacuées, et les idées formulées se pose la question de savoir comment on les (re)travaille.

Pour challenger des idées, rien de tel que de les partager. C’est le moment où on voit si elles sont claires ou non, si on trouve le bon discours, et que l’on teste sur soi et son interlocuteur sa pertinence. Partager son projet personnel a quelque chose d’un peu intime et on se dit qu’on ne peut le faire avec trop de monde. En réalité, je pense qu’il faut le faire avec le plus de monde possible, car le recul et la perspective vient de l’échange. Les idées sont challengées et complétées par ces échanges, qui servent de crash-test mais aussi de catalyseurs.

J’ai dû en l’espace de 3 mois déjeuner ou dîner avec environ 30 personnes. Pas assez finalement, au vu de tout ce que ces entretiens m’ont apporté : en me mettant le nez sur des choses évidentes que je n’avais pas vu, en me faisant réaliser que certaines pistes intéressantes pour autant ne méritaient pas d’être creusées, et bien sûr en me donnant énormément de pistes et de contacts pour avancer dans mon enquête. Provoquer le maximum de déjeuners, poser des questions, partager les idées abouties ou pas encore abouties, rien de tel pour y voir plus clair dans sa tête ! C’est évident pour certains, moins pour d’autres, surtout lorsqu’il s’agit de changer de vie. La tentation est de rester dans son coin, à ruminer seul des idées trop grandes et trop vagues.

4- L’action

Une fois qu’on a l’idée, qu’elle a été soumise à plusieurs regards critiques, vient le moment de sa concrétisation, sous forme de tests. C’est l’étape qu’on repousse le plus souvent, pour de multiples raisons — toujours les mauvaises. Plus le test pratique peut intervenir tôt, mieux c’est. L’occasion de tordre le cou aux idées bancales et d’ajuster les autres à la réalité, qui reste seule juge. Penser en action, c’est se donner la chance de bien penser en accéléré, et au gré des itérations entrevoir à coup sûr la lumière. C’est un process sans fin, qu’il est utile d’entamer dés le début.

S’arrêter, laisser les idées former une réflexion, tester cette réflexion au gré des conversations puis dans les faits : cet enchaînement d’étapes me plaît car s’il a un début il n’a pas de fin. C’est tout l’intérêt de l’entrepreneuriat : itérer continuellement et maintenir un savant équilibre entre idées et actions, sans cesse à la recherche d’un état optimal où l’idée ne s’ajuste au réel que pour mieux le faire progresser.

--

--

Matthieu Chereau
Hors Programme

Entrepreneur (Tigerlily, Hull.io, Bryanthings) et auteur (Préparons nos enfants à demain). Ma lettre pour les parents prévoyants > https://goo.gl/Gpkn5y