Dans quelle ville “intelligente” aimeriez-vous vivre ?

Delphine Sabattier
Tech Stories
Published in
5 min readAug 19, 2019
La 11ème édition du Symposium International smart cities se déroulera à Rabat (Maroc) du 16 au 17 avril 2020

Pouvoirs décisionnels, énergie, transports, communications, les politiques des métropoles préparent notre futur quotidien, dans une vision idéalisée. Mais partage-t-on les mêmes rêves ?

Il y a les fantasmes de Google. Une vision heureuse de la ville du futur. Des bâtiments tout en bois. Des rues dallées de LED interchangeables. Les passants déambulent sur un sol “dynamique”, pour reprendre le terme employé par Sidewalk Labs, la filiale d’Alphabet qui imagine de nouveaux lieux de vie pour nous, depuis Toronto. Les lumières sur les dalles modifient les voies de circulation en fonction du trafic ou du jour. Selon les besoins, une voie routière devient piétonne ou terrain de basket. Le sol dégage de la chaleur dès les premiers flocons de neige. Des abris imperméables se déplient pour protéger de la pluie. Un petit air de paradis, avec des badauds souriants, bien loin de la complexité de ce qui se joue en ce moment IRL : l’émergence laborieuse des smart cities.

La réalité n’a rien d’un rêve, mais d’une urgence

Remettons les choses dans l’ordre. La ville du futur nait d’une urgence : comment vivre mieux face à une démographie galopante. Une ville “intelligente” est donc d’abord une mégapole qui doit trouver des solutions durables pour répondre à cette question pressante en faisant appel, dans tous les domaines, aux plus fines intelligences, si possible.

Être connecté, c’est aussi courir de plus gros risques…

Ce serait trop rapide de traduire “ville intelligente” par “ville connectée”, comme le rappellent justement Philippe Gerber et Olivier Klein du LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) :

“Plus les systèmes sont interconnectés, plus c’est intéressant, mais c’est aussi plus risqué dans les grandes agglomérations en cas d’événements critiques.

Il est important en outre que la gestion du territoire par la donnée soit précédée d’une réflexion et de décisions majeures sur la manière dont on peut garantir l’intégrité des systèmes d’information et des données qui sont — ou pourraient être — collectées”

En Europe, Luxembourg-ville pourrait faire figure de terrain de jeu privilégié pour l’expérimentation. Plusieurs travaux sont en cours : indépendance énergétique, gestion de ressource en eau potable, évaluation des incidences sur l’environnement selon le choix du mode de transport ou encore la rénovation des bâtiments… Loin des belles intentions, la ville intelligente doit en tout premier lieu se confronter à ce type de défis.

Certaines villes européennes ont d’ailleurs choisi de s’engager au sein de Fab City, un réseau international qui promeut le développement d’un modèle urbain basé sur la fabrication et la production locales, circulaires et numériques. Vincent Guimas, un des membres fondateurs de Fab City, estime que :

“en général, une ville consomme entre 4% et 8% de ce qu’elle produit localement. On pourrait atteindre raisonnablement les 10, voire 15%”

La ville intelligente projette également de doter le citoyen de nouveaux pouvoirs : e-démocratie, animations culturelles et sociales, jardins urbains… et économies d’énergie. A l’heure actuelle, nous n’avons qu’une perception floue de notre impact énergétique en fonction de nos actions. « Avec des outils, des datas, une connaissance précise de nos dépenses en énergie permettrait d’éviter qu’on ne consomme dix fois plus, quand on est dix fois plus nombreux », juge Mathieu Dancre, directeur du développement et du marketing de Cameo Energy, spécialiste de la transformation énergétique.

Selon lui, il y a trois obstacles sur cette problématique énergétique :

“le financement, la préservation du patrimoine et les arbitrages”

Comment arbitrer ?

La question de l’arbitrage revient régulièrement lorsque l’on adresse la smart city. Bertrand Meunier, cofondateur du premier Symposium International sur les Villes Intelligentes qui s’est tenu au Luxembourg l’année dernière rappelle :

Bertrand Meunier

“De plus en plus, les villes vont devoir affronter des problématiques auxquelles l’Etat ne peut faire face seul par la mise en place de législations.

Par exemple, comment intégrer les voitures autonomes dans la ville ? Quel sera le périmètre auquel auront accès ces véhicules ? Comment préparer la population et quid des problématiques juridiques et d’assurances ?

Les tests et tout le travail préparatoire se fera aussi au niveau des villes, localement”

Au-delà des choix technologiques, ce sont les responsabilités, souvent dispersées au niveau national, régional et local, qu’il faut repenser. Donner plus de pouvoir aux villes, mais jusqu’où et comment ? Et pour faire quoi, au service de qui ? Toutes ces questions ne peuvent avoir de réponse si l’on ne s’entend pas au départ sur ce que l’on attend d’une ville intelligente.

Alors, j’ai demandé à Bertrand Meunier, s’il était possible de m’en livrer une définition…

“La ville intelligente est une façon de répondre aux défis auxquels font face les environnements urbains confrontés à des contraintes de démographie, connectivité, compétitivité, transport et in fine de pollution.

Les grandes agglomérations traversent aujourd’hui une phase de transition importante.

Elles doivent affronter une croissance de leur densité de la population résidentielle et professionnelle, et des problématiques d’approvisionnement en ressources (eau, sable pour le béton, électricité… ), de fluidité dans les transports, d’infrastructures routières et ferroviaires, de création d’une identité culturelle propre à chacune, de gestion des flux touristiques, de capacité d’investissements en lien avec leur attractivité économique, de demande de connectivité accrue mais aussi d’une meilleure qualité de vie, sans compter la question de la gestion des déchets et leurs impacts”.

Et quels sont les obstacles à l’avènement des smart cities ?

“L’espace urbain est composé de plusieurs systèmes (routiers, infrastructures, humains, etc) présents sur un territoire géographique plus ou moins défini, avec des propriétés géologiques, et résultant d’une histoire.

L’un des enjeux principaux des smart cities, ce sera de garantir la fluidité optimale entre ces systèmes alors qu’ils seront toujours plus connectés et, de ce fait, plus complexes à changer.

Tous les secteurs sont concernés : énergie, transport, communication, force publique, bâtiment… La ville intelligente pose des questions juridiques, pratiques, technologiques, mais surtout de modèle de durabilité. C’est pour débattre de tous ces sujets que nous inscrivons le Symposium dans la durée, pas seulement une rencontre sur deux jours”

Ce sera l’avènement de villes toutes puissantes ?

“La smart city est devenu un slogan, un mot qui fait le buzz , mais c’est aussi une opportunité de créer de nouvelles dynamiques urbaines.

Certains préconisent que ce siècle sera celui d’un acte d’indépendance vis-à-vis des États et des régions.

Il y a une forme de réappropriation du pouvoir de décision par les villes de leur aménagement, une façon de se démarquer. Et d’ailleurs, elles se sont lancées entre elles dans une grande compétition en matière d’attractivité économique, sociale et environnementale.

Toutes cherchent encore le modèle parfait, si jamais il existait.

NDA : Cet article est le résultat d’une enquête proposée à PaperJam, et publiée en deux parties sur leur site.

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Delphine Sabattier
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Exploratrice des révolutions numériques. J’ai dirigé les grands médias tech et m'exprime aujourd’hui en mon nom sur https://medium.com/human-tech-stories !