Une dinde du futur pour votre prochain repas de Noël, ça vous tente ?

Delphine Sabattier
Tech Stories
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3 min readJun 23, 2018

Un fabricant promet de vendre sa viande cultivée en labo d’ici la fin de l’année. Pas sûre d’être si pressée d’y goûter !

Pour un steak tartare, prenez un amas de cellules musculaires. Laissez-les se multiplier dans des boîtes de Pétri. Vous aurez besoin d’un milieu de culture riche qui contient notamment des hormones, des facteurs de croissance et du sérum de veau fœtal. Ajoutez des antibiotiques et fongicides. Portez le tout à une température de 37°C.

Steak in vitro (photo INRA)

Nous tenons la recette de Jean-François Hocquette, directeur de recherche à L’Inra (1er institut de recherche agronomique en Europe), qui a notamment coordonné la publication scientifique internationale « La viande in vitro est-elle une solution d’avenir ? ».

La première dégustation de viande cultivée en laboratoire remonte à 2013. Le professeur Mark Post et son équipe de l’université de Maastricht avaient réussi à fabriquer trois steaks hachés de 140 g ! Les goûteurs étaient visiblement indulgents.

Jean-François Hoquette précisera :

« on est encore loin d’un vrai muscle, qui mêle des fibres organisées, des vaisseaux sanguins, des nerfs, du tissu conjonctif et des cellules adipeuses. Le premier steak in vitro a été assaisonné avec de nombreux ingrédients pour se rapprocher du goût de la viande ».

Les scientifiques hollandais, eux, ont promis une commercialisation en 2020.

Entre temps, d’autres ont avancé. En Silicon Valley, Memphis Meats a produit sa première boulette à base de cellules musculaires animales début 2016. Ont suivi des morceaux de poulet et du canard, eux aussi « in vitro », en mars 2017. Convaincus, Bill Gates, Richard Branson le fondateur de Virgin, et Jack Welch, ancien PDG de General Motors, ont investi dans la société.

Et puis, surprise, tout récemment, un autre acteur de la viande de labo, Just (ex-Hampton Creek) annonce des produits en rayons avant fin 2018.

Just y va peut-être un peu vite : jusqu’ici personne n’a mordu dans son produit… qui serait encore à ce stade impropre à la consommation !

Mais l’entreprise aurait trouvé la solution miracle pour réduire drastiquement les coûts.

En 2013, le steak de labo hollandais frôlait les 290 000 €. Le kilo de boulettes de Memphis Meat revenait à 5000 dollars il y a deux ans. Le problème, c’est la prolifération des cellules : les scientifiques ont besoin de sérums issus de sang animal, très onéreux.

Par quel subterfuge Just réussit-elle à s’en passer ? Mystère !

Notez que pour gagner l’adhésion des consommateurs, cette viande qu’on dit parfois « propre » (« clean meat ») aurait tout intérêt à jouer la transparence… et à se passer de l’utilisation de sérum de fœtus de veau.

Mais laissons de côté les papilles délicates et nos préjugés. Sur le papier, la culture in vitro est séduisante : pas d’abattage de bêtes, davantage de terres cultivables, de la viande pour les 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050…

L’impact sur l’environnement, lui, reste à démontrer. Les défenseurs de la « viande propre » estiment qu’elle n’utiliserait qu’1% de la terre et 10% de l’eau nécessaires à l’agriculture animale traditionnelle. Notre chercheur de l’Inra est plus mesuré.

« Différentes estimations n’accordent à ce procédé qu’un impact modéré pour réduire les gaz à effet de serre et la pollution par les nitrates, et un intérêt limité quant à l’utilisation des énergies fossiles, voire très limité pour l’économie en eau. De plus, les résidus des molécules de synthèse utilisées pour la culture se retrouveraient dans les eaux usées des usines », explique Jean-François Hoquette.

Au final, c’est nous, les consommateurs, qui trancherons dans le lard, en achetant ou non la viande in vitro.

Enquête réalisée pour PaperJam

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Delphine Sabattier
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Exploratrice des révolutions numériques. J’ai dirigé les grands médias tech et m'exprime aujourd’hui en mon nom sur https://medium.com/human-tech-stories !