Vrais projets blockchain ou grand n’importe quoi ?

Fumisteries, problèmes de gouvernance, questions de droit international quasi insolubles… Une bonne technologie ne suffit pas à trouver les bons usages. C’est un peu le problème de la blockchain : tous les projets ne s’y prêtent pas, et peu aujourd’hui connaissent un réel succès.

Delphine Sabattier
Tech Stories
5 min readJul 19, 2018

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Technologiquement, la blockchain est une révolution majeure. Elle permet de stocker des informations, contenant tout l’historique des échanges, et de garantir l’unicité de cette base de données. Chaque écriture dans la chaîne est cryptée et l’ensemble du registre est inviolable grâce au partage des informations par l’ensemble des utilisateurs. C’est à la fois sécurisé et transparent.

“Blockchain, la révolution de la confiance”, de Laurent Leloup, publié aux éditions Eyrolles.

Pour l’expert et auteur d’ouvrages sur le sujet, Laurent Leloup,

« la blockchain est avant tout une révolution de la confiance », celle-ci ne reposant plus sur un organe central de contrôle, comme les banques, mais sur les utilisateurs eux-mêmes.

Benoît Chenon, membre du groupe de travail sur la blockchain à la Fédération des Tiers de confiance, en France, (FNTC) n’est pas tout à fait du même avis :

« On dit que la blockchain supprime les tiers de confiance, mais il faut toujours un intermédiaire de confiance pour encadrer ce qui se passe entre le monde réel et la chaîne. Il est nécessaire notamment de créer des process organisationnels pour s’entendre sur ‘qui écrit dans la chaîne’ et comment l’identifier ».

La première application de blockchain, qui est aussi la plus célèbre, est celle de la monnaie virtuelle Bitcoin, mais la technologie ne se limite pas aux transactions financières. Depuis quelques jours, par exemple, elle est utilisée pour créer et transmettre des certificats d’authenticité numériques et infalsifiables de produits de luxe. Arianee est une première sur ce secteur.

Trois questions à Christian Jorge, cofondateur d’Arianee

  • Quelle innovation apporte Arianee au monde du luxe ?

Notre vision, c’est que le certificat papier que l’on vous confie lorsque vous achetez un bien de valeur, sera remplacé par le digital et deviendra infalsifiable grâce à la blockchain. Aujourd’hui, notre plateforme, universelle, sécurisée et décentralisée, a pour vocation de créer le premier registre de certificats numériques à l’échelle mondiale. Permanent, anonyme et sécurisé, il permettra à quiconque l’utilisant de retracer précisément le chemin de vie d’un produit depuis sa création. C’est le premier protocole blockchain du secteur du luxe.

  • A quel besoin répondez-vous précisément ?

Arianee permet de résoudre de nombreux problèmes pour les marques de luxe, notamment celui de la contrefaçon. Selon un rapport de la Chambre de commerce internationale, cette dernière se chiffre chaque année à près de 3 000 milliards de dollars ! Arianee a également pour mission de renforcer les relations entre les marques et les propriétaires de biens de luxe. Elles pourront désormais communiquer directement avec leurs clients finaux. Enfin, pour les personnes qui possèdent des produits de luxe, c’est la possibilité de tracer l’origine des biens, d’avoir la garantie de leur authenticité et de conserver les preuves de propriété.

  • Comment cela fonctionne-t-il ?

Imaginez que vous achetez une montre de luxe. La marque va créer un certificat numérique, qui sera associé à un QR Code. Lorsque vous serez propriétaire de la montre, vous serez en possession de ce QR Code et en le scannant depuis votre mobile, vous pourrez le télécharger dans un wallet (le portefeuille électronique de la marque ou un autre, tous les cas sont possibles). Dès lors, vous aurez récupéré le certificat du produit, avec sa photo, ses caractéristiques, son numéro de série unique. Ce certificat sera inscrit et protégé dans la blockchain Arianee.

Autre projet tout récent, Ositrade, qui lance une place de marché pour les produits agricoles.

« Nous mettons les producteurs de grains et les acheteurs en relation directe. Auparavant, cela se faisait à l’oral ou via des intermédiaires. Avec notre solution, les professionnels peuvent visualiser l’ensemble des offres et des ordres d’achat, les accepter ou les négocier, puis les exécuter de manière sécurisée et traçable », explique Philippe Lehrmann, CEO d’Ositrade.

La technologie blockchain permet en outre de rattacher à la transaction tous les papiers y afférents (le contrat signé électroniquement, le certificat de qualité, le transport logistique, la traçabilité du produit… ).

Le plus compliqué n’est pas de mettre en œuvre la technologie, mais de régler les questions de gouvernance de la blockchain.

« Nous devons savoir qui décide. La blockchain assure à la fois une confidentialité des échanges, grâce à la cryptographie, et une transparence, grâce à la décentralisation, mais à quel moment exige-t-on de vérifier le contenu de la chaîne ? Qui acte de la nécessité de divulguer une transaction, par exemple ? Ce sont toutes ces règles que nous devons édicter en amont, au travers d’un consortium. Et cela prend du temps », confirme Philippe Lehrmann.

TAGsparency, contraction de « tag » et « transparency », vise également un objectif qui pourrait transformer l’industrie agroalimentaire : créer une blockchain permettant à la fois de tracer les produits mais aussi d’offrir la possibilité aux consommateurs de reporter un éventuel problème sur un aliment. Ici, la difficulté est de voir jusqu’où le secteur est prêt à aller en matière de transparence… une transparence inhérente à la technologie.

« Nous travaillons sur ces questions avec les acteurs de l’agroalimentaire. Mais, vous savez, il existe plein de petits producteurs bio qui ont besoin de communiquer sur la qualité et la provenance de leurs produits !», rassure Grégory Nain, manager de DataThings.

Autre problématique, les questions juridiques. Stéphan Alamowitch, avocat chez UGGC Avocats, connaît bien le sujet.

« La blockchain pose des questions de droit international très compliquées. Quel est le droit applicable à la certification mise en œuvre par la blockchain, décentralisée et multinationale par nature ? C’est pratiquement insoluble ! Si la certification est défectueuse ou erronée, vers qui vous retourner, où et selon quel régime de responsabilité ? », interroge l’avocat à la cour.

Selon Me Alamowitch, l’intérêt de cette technologie réside davantage dans la traçabilité de la chaîne de propriété, que dans la sécurisation des contrats.

Chez Aucoffre.com, une place de marché de métaux précieux, on explique se bagarrer aussi avec les enjeux juridiques.

« Verrouiller qui fait quoi, apporter une réponse légale en cas d’altération de la chaîne, par exemple, partager la gouvernance avec l’ensemble des utilisateurs… tout cela est complexe et coûte cher. Cela représente un tiers du budget de déploiement d’une blockchain », précise Jean-François Faure, Président de Aucoffre.com.

Voilà pourquoi, en l’occurrence on entend beaucoup parler de projets de blockchain, mais que si peu ont réellement émergés.

« En-dessous d’un minimum de produits et d’utilisateurs, un projet blockchain reste un simple PowerPoint, voire une fumisterie ! », s’amuse Jérémy Harroch, PDG de Quantmetry, un cabinet de conseil spécialisé dans la data.

Il met régulièrement les entreprises en garde :

« Nous faisons de la culturation sur le sujet. On explique l’esprit de cette technologie, qui repose sur la décentralisation. On s’assure que nos clients ont compris le principe et sont au clair sur leurs motivations. Notre rôle c’est d’éviter les ‘faux projets blockchain’ qui tombent inexorablement à l’eau ».

Pas simple.

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Delphine Sabattier
Tech Stories

Exploratrice des révolutions numériques. J’ai dirigé les grands médias tech et m'exprime aujourd’hui en mon nom sur https://medium.com/human-tech-stories !