La vie en rouge

Quelles sont les innovations en matière de protections hygiéniques depuis leur création et quelles sont les stratégies de marketing et communication liées à ce marché en pleine révolution?

Tiphaine Riant
Idées,  Initiatives & Création - Paris
8 min readMar 15, 2019

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Depuis la nuit des temps, femmes (et hommes) innovent afin de répondre aux besoins de protection périodique des femmes. Des ceintures sanitaires du 19ème siècle aux cup inventées il y a 9 ans de cela, nous en avons vu de toutes les couleurs. Or, depuis quelques années et avec une véritable reprise de la conscience féministe ainsi qu’écologiste, le marché de la protection hygiénique semble connaitre une diversification sans précédent. Les innovations en la matière se sont multipliées, donnant au femmes un choix beaucoup plus large permettant une meilleure adaptabilité à chacune. Tout le travail de marketing et de communication lié à ce marché change également au rythme de la diversification de ces produits de première nécessité.

Le marché de la protection hygiénique apparait à la fin du 19ème siècle. La première serviette jetable en lin est créée en 1888 mais se retrouve remplacée, quelques vingtaines d’années plus tard, par un autre produit réalisé dans une matière bien plus absorbante : le coton. C’est à partir de cette période que le marché a commencé à se développer, autrefois ralenti par un très fort tabou autour du phénomène naturel et incompris des règles.

les premières boites de tampons du leader Tampax

Arriva ensuite dans les années 30 une véritable révolution dans le monde de la protection hygiénique : l’apparition des tampons conçus par Tampax. Porteurs de nombreux aprioris et véritables légendes, le tampon était cependant très mal vu car il ôtait soi-disant la virginité des femmes, les transformant en êtres impurs et indignes. Ce n’est qu’aux alentours des 70’s que naissent les serviettes adhésives, mode de protection actuellement le plus utilisé par les femmes avec les tampons.

Jusqu’aux années 2010, les deux produits phares du marché des protections hygiéniques n’étaient autres que les serviettes jetables et les tampons. Ces dernières ont pendant de nombreuses années considérablement facilité la vie des femmes seulement, aujourd’hui, il est possible de remettre en cause certaines de leurs caractéristiques. En effet, personne n’aura échappé au fait qu’un phénomène appelé “syndrome du choc toxique” existe. Eh oui, encore de nos jours, des femmes meurent ou subissent de lourdes conséquences à cause de leurs menstruations. Ce fut par exemple le cas de la mannequin Lauren Wasser, amputée de ses deux membres inférieurs à cause du choc toxique. Ce dernier est dû à la présence de bactéries dans le corps, mais aussi en grande quantité dans certains tampons ayant pour composants nombreux produits chimiques très néfastes pour la santé des femmes, tel que le chlore, utilisé pour blanchir les tampons et bien d’autres types de protections hygiéniques.

vidéo montrant l’évolution des protections hygiéniques depuis 1900

Les nombreux scandales autour de l’utilisation de ces produits dangereux ont eu pour résultat une vague d’innovations, promettant des produits sains mais aussi plus écologiques. C’est ainsi que la cup naquit. Également appelée coupe menstruelle, cette dernière semble offrir des avantages conséquents tant au niveau écologique, économique qu’en efficacité. En effet, les coupes menstruelles sont hypoallergéniques et réutilisables (presque) à l’infini, coutent, selon les distributeurs, entre 14 et 30 euros et sont décrites comme étant capables de contenir environ 3 fois plus de sang qu’un moyen de protection classique.

En parallèle à cela, nous pouvons également observer l’émergence de nouvelles marques de serviettes et de tampons bio, qui constituent une véritable concurrence aux leaders du marché Always, Tampax et Nana. Effectivement, de nouvelles marques telles que Jho ou My Holy proposent des gammes complètes (serviettes et tampons) en coton bio. Bien que plus chères et souvent uniquement disponibles en ligne, ces produits semblent connaitre un certain succès ou du moins un certain engouement de la part des femmes ayant le moyen de s’acheter ces protections plus respectueuses de l’environnement et de leur santé. Leur prix constitue cependant un frein indéniable : une boite de seulement 10 serviettes à quasiment 6 euros est un luxe pour bon nombre d’entres nous.

serviettes et tampons bio des marques My Holy et Jho

D’autres innovations, comme la création de sous-vêtements adaptés aux femmes en période de règles, font surface. Nous pouvons citer par exemple la marque française FEMPO, qui propose de mettre un terme aux protections hygiéniques classiques en les remplaçant par des culottes lavables spécialement conçues pour absorber le sang et éviter les fuites. Composée de trois tissus, le produit dispose d’une véritable technologie novatrice : un tissu imperméable, un autre en coton et un tissu absorbant à base de bambou. Et le tout sans aucun produit chimique dangereux. Il existe plusieurs modèles, dont le prix varie entre 32 et 197 euros (pas de panique, plusieurs culottes sont vendues dans le pack à 197 euros). La marque dispose d’un large choix de taille, du 34 au 48, aucune femme n’est oubliée.

culottes FEMPO

Pour finir, voici les petites dernières : comme au 19ème, c’est le retour des serviettes lavables. Enfin, en mieux quand même. Il en existe de toute les formes, de toutes les tailles, biologiques ou non, aux couleurs neutres comme vives. Le site engagé PLiM, pionner dans le domaine des serviettes lavables bio, propose aux acheteuses de choisir la forme, la taille et le flux que peut contenir la protection, mais également le motif du tissu utilisé. Ce sont notamment ses tissus colorés et originaux qui ont permis une certaine notoriété au site.

Les protections hygiéniques ont énormément évolué et se sont transformées et adaptées à toutes au fil du temps. Qu’en est-il des stratégies de communication mises en place par les leaders du marché bien spécifique ?

Si je ne devais dire qu’une seule chose, cela serait que l’image des règles a quand même bien changé, lentement, mais surement. Des packagings aux allures de boites de médicaments aux véritables campagnes de publicités prônant le girl power, bien du chemin a été réalisé, et heureusement.

Au commencement de la commercialisation de protections hygiéniques, très peu de pub à proprement parler n’étaient réalisées, en raison du tabou qu’étaient les règles, la discrétion était de mise. Les premiers semblants de communication autour des tampons sont apparus dans les années 30 avec la création de Tampax. Les marques, ayant alors peu de concurrence, n’avaient pas grand besoin de créer de véritables campagnes publicitaires originales et vendeuses tant la simple création, à l’époque révolutionnaire, des tampons faisait vendre. On ne choisissait pas Tampax, on en avait besoin.

une ancienne affiche Tampax VS l’actuel packaging d’une boite de tampons Tampax

Ce n’est qu’à la fin du 20ème siècle que le marché de la protection hygiénique devient une véritable affaire de business: de plus en plus de publicités et campagnes sont réalisées par les différents marques. Le tabou autour de ce sujet a donc disparu, pourriez vous penser. Mais que nenni. Nous nous sommes toutes, j’en suis convaincue, posé beaucoup de questions en voyant à la télé apparaitre des spots publicitaires pour serviettes hygiéniques dans lesquels apparaissait du sang bleu. Pourquoi donc utiliser cette couleur et non pas le rouge? Pourquoi toujours axer sa communication sur le besoin de discrétion, voire même de dissimulation de ses règles? Avoir ses règles n’est ni sale ni honteux, ni même choisi. Tous ces procédés ont résulté en un ressenti de honte chez beaucoup de femmes.

Sans cesse marteler le fait de devoir cacher et ignorer ce phénomène n’a rien de positif, et les marques semblent désormais enfin le comprendre. C’est d’ailleurs en 2018 que Nana décide de sortir du règlement établi en publiant une pub vidéo où, pour la première fois, ce n’est pas du liquide bleu qui est utilisé pour démontrer des qualités d’absorption d’une serviette, mais du sang. Bien que cette vidéo soit la preuve d’une avancée majeure dans la perception des règles dans notre société, il n’est pas sans préciser que beaucoup de retours quant à cette vidéo furent extrêmement mitigés.

De plus, l’émergence des réseaux sociaux offrent aux marques de nouvelles possibilités de casser les codes en créant de véritables campagnes promotionnelles novatrices et engagées. C’est le cas de FEMPO, dont j’ai déjà évoqué le nom tout à l’heure. L’entreprise de culottes spéciales règles poste en effet régulièrement sur Instagram et dispose d’un site internet tout bonnement génial. FEMPO ne vend pas seulement des culottes, elle fait des règles quelque chose d’absolument normal et va même plus loin en portant haut et fort des valeurs féministes. Le site internet n’est pas seulement dédié à la vente des produits, nous y retrouvons notamment des témoignages de femmes aux destins et chemins de vie différents, ainsi qu’une faq, pour conseiller et informer les visiteuses mais également un blog. Ce sont des femmes qui tiennent le site et la boutique, et ce, pour d’autres femmes. Sur Instagram, nous trouvons publications variées et prônant l’empowerment, dont le nom de la boutique est tiré.

deux publications tirées du compte instagram de FEMPO, ainsi que l’interface du site

Le marché de la protection hygiénique a énormément évolué, tout comme la perception des règles dans notre société. L’offre a su s’adapter à une demande de diversification des produits. Malgré tout, d’autres problèmes liés à ce marché se posent. Il n’est pas sans oublier qu’une taxe rose est appliquée à une grande partie de ces produits et que pour les moins aisées d’entre nous, l’addition est salée. Nombreuses sont celles qui militent pour la gratuité de ces véritables produits de première nécessité, ou du moins un remboursement. Et quand nous savons qu’en moyenne une femme dépensera au cours de sa vie plus de 20 000 euros de protections hygiéniques, médicaments anti douleurs et autres (encore plus en cas d’endométriose qui, rappelons le, touche UNE FEMME SUR DIX), cette revendication semble tout à fait justifiée et pertinente.

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