C’est l’heure de l’apéro !

Juline Chapput
Idées,  Initiatives & Création - Paris

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L’apéritif, une institution française ? “Très certainement !” vous diront les habitants de l’Hexagone. Nous ne sommes cependant pas le leader européen de cet art culinaire et ludique… Dans la famille apéritif, je demande l’Italie, premier pays grâce à l’apéritivo milanais que consomment 34% de sa population. En seconde place, l’Espagne dont 28% de la population savourent les célèbres tapas. Enfin, la France reçoit une modeste médaille de bronze avec 23% de sa population pratiquant ce rituel. Bon d’accord, un apéritif, c’est un apéritif… Qu’est-ce qui diffère d’un pays à l’autre alors ? Allons faire un tour sur le littoral méditerranéen pour le découvrir.

Trois civilisations, trois rituels mais un point commun : partout, l’apéritif est passé d’un simple produit consommé à un véritable moment privilégié.

  • L’aperitivo milanais

Ne se contentant pas de sa position de capital de la mode et du design, Milan est également une ville touristique créant l’attrait de nombreux admirateurs à l’échelle mondiale. Toutefois, Milan rime également avec vie effrénée, stress et responsabilités. Afin de faire face à toutes ces contraintes, les milanais ont une astuce pour redescendre et mettre en pause cette vie professionnelle trépidante, du moins jusqu’au lendemain matin. Cela passe par l’aperitivo : l’apéritif milanais traditionnel.

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Décrit par la rédaction de la Tagliatella, l’aperitivo aurait été créé dans les années 80 par un spot publicitaire Amaro Ramazzoti ayant pour slogan « Milano da bere » (Milano pour boire) destiné à la promotion d’une liqueur de la marque. Le spot avait également un enjeu sociétal : prouver que Milan était une ville dynamique, puissante et forte, capable d’affronter les actes terroristes l’ayant frappé pendant les années 70.

“À mi-chemin entre l’apéritif et le dîner”— Guide Michelin

Étant pris dans les bars de la ville en présence de proches, bien que les relations puissent être professionnelles, amicales ou amoureuses, ce moment est vécu comme une délicieuse pause hors des cadres professionnels et privés. Un moyen de faire redescendre la pression et de se sociabiliser dans un cadre neutre, le bar, symbole ici d’une rupture temporaire entre vie domestique et vie de bureau.

« Les gens proclament leur envie de vivre, de sortir et de se réunir autour d’un cocktail — évidemment — . Rien d’étonnant à ce que le rituel de l’apéritif, qui a conquis le monde entier, soit né dans cette ville. »

Selon Elle, pour parfaire votre apéritif italien, celui-ci doit se composer de saveurs typiques telles que la mozarella ou le gorgonzola, de préparations régionales comme les antipastis puis pour finir, d’un tiramisu, une panna cotta ou un affogato en version verrines.

En définitive, l’apéritif à la milanaise est un moment de plaisir, à mi-chemin entre la collation et le dîner, lui conférant le doux nom d’ apericana (apéritif dinatoire). Il est également toujours le symbole de la force de Milan : une ville dynamique, ayant une forte affirmation sur la scène Européenne et Internationale nécessitant forcément un moment de détente pour forcer ses cadres et employés dévoués à chill-out ne serait-ce que pour quelques minutes sacrées.

  • Les tapas, véritables reines d’Espagne

“En Espagne, on mange des tapas comme on respire.” — Le Monde

“Tapear” est le verbe espagnol désignant la consommation de tapas, de la nourriture et de la boisson dans de petites portions. Nées très probablement en Andalousie où tapar signifie couvrir, les tapas servent aux classes moyennes et populaires à accéder à la gastronomie dans un format plus économique. Elles représentent également un prélude du repas, ou de la tournée des bars à suivre.

Exemple d’assortiment de tapas typique d’Andalousie

“ C’est une sorte de street food de très bonne qualité.” Mathieu Moity, 37 ans, chef au Iratze

Marque de la déstructuration de l’action dinatoire, les tapas se consomment debout, soit au comptoir, soit en circulant autour des différentes tables du bar.

L’apéritif espagnol casse les règles et le cadre d’un apéritif face à face, autour d’une table, dans un lieu donné, lors d’une tranche horaire fixe. Ainsi, il renvoie à la liberté insouciante, limite insolente des Espagnols.

  • Et la France dans tout cela ?

Au contraire de la tendance espagnole, l’apéritif français tend à se privatiser en prenant place à l’intérieur de l’espace domestique.

Outre un symbole de liberté, l’apéritif français met à mal les tabous et les non-dits. Rigolade, blagues douteuses et discussions animées sont au diapasons afin de créer une réelle dynamique sociale et interactive entre les convives.

Chacun est décontracté et tolère les idées de l’autre. C’est d’ailleurs lors de ce moment que des avis divergents peuvent prendre le temps d’écouter les arguments de l’autre, en dehors de tout climat hostile non propice à la discussion. C’est pour cela que prendre l’apéritif ensemble, que ce soit en France, en Espagne ou en Italie, représente la typologie de liens sociaux unissant les individus.

“ Quels que soit l’époque, l’endroit ou les personnes, la fonction essentielle de l’apéritif est encore et toujours de créer du lien … ” — Jean-Pierre Poulain, sociologue.

L’apéritif spontanné, lui, permet de consolider les relations sociales naissantes. À travers lui, les hôtes et leurs invités font mieux connaissance dans un cadre décontracté, propice aux confidences et aux rires bon-enfants. Dès lors, prenant en compte ses critères de localisation et de fréquence, l’apéritif devient un outil de mesure concernant le degré d’intimité des relations. Ainsi, un collègue, avec lequel nous prenons l’apéritif de temps à autre dans le bar à côté du bureau, n’est pas aussi proche et intime de nous que notre meilleur ami, avec qui nous mangeons des tapas à l’improviste deux à trois fois par semaine sur notre table basse.

Comme dans tout autre pays, porter un toast ou trinquer est un rite essentiel au commencement de l’apéritif. Originellement conçu pour mélanger le contenu des différents verres et limiter les tentatives d’empoisonnement au Moyen Âge, cette pratique est aujourd’hui plus une superstition, d’où le fait de de regarder son partenaire dans les yeux. Toutefois, le toast peut également être vu comme un accord tacite entre tous les membres de l’apéritif en cours. Un contrat non formel, où chacun s’engage à respecter les idées de l’autre, laisser tomber ses propres problèmes et faire de cette initiative un moment opportun de partage et de joie.

Même s’il n’est pas tout à fait un vrai repas, il reste “une vraie invitation dans laquelle les individus s’investissent” au travers de la préparation et de son partage.

Sources de l’article :

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