Les Chinois passent du riz au lait

Après un titre aussi tordant, en notant que la Chine est le plus gros producteur de riz mondial ex æquo avec l’Inde, nous allons nous intéresser à un phénomène économique d’actualité : le rachat de nombreuses laiteries françaises par des entrepreneurs chinois ! Ne s’arrêtant pas au secteur du vin et de la charcuterie, nous allons voir pourquoi et comment les investisseurs chinois misent des quantités astronomiques sur nos vaches françaises !

L’arrivée difficile du lait dans la culture chinoise

Afin de mieux comprendre le soudain engouement que suscitent nos chères laiteries Françaises, un peu d’histoire s’impose afin de comprendre plus en détail la relation compliquée qu’entretiennent les Chinois avec le lait.

Remontons vers -200 avant J.C en Chine, dans le contexte d’invasions barbares. L’historien japonais spécialisé dans la gastronomie Naomichi Ishige explique que les habitudes alimentaires en lait en Chine du Nord remonteraient à la construction de la Grande Muraille de Chine. En effet, entre 214 et 204 avant J.C, la Grande Muraille fut érigée afin de protéger les peuples agricoles Han de l’invasion Nomade du Nord. Or, les peuples de l’invasion Nomade étaient de grands éleveurs et consommateurs de lait. Ainsi, la Grande Muraille a endigué la propagation de la culture du Lait, n’arrivant pas aux populations situées au Sud.

Autre anecdote intéressante, la découverte d’un Traité chinois prouvant qu’au VIème siècle, la méthode d’élevage et la traite d’élevage était déjà présente en Chine. Mais la culture du Lait a disparu jusqu’au XIVème siècle, devenu un produit de luxe réservé à la Cour Impériale, ou exclusivement utilisé pour ses vertus médicinales.

Actuellement, le Lait est considéré en Chine comme un encas. Par exemple à Pékin, un encas très apprécié consiste à mélanger du yaourt édulcoré avec du miel. Le Lait n’est donc pas autant imprégné dans la culture chinoise que la culture occidentale, en France nous consommons du lait au petit déjeuner, alors qu’aux Etats Unis, il est culturellement d’usage de boire un verre de lait pour accompagner chaque repas de la journée.

La soif d’une industrialisation tardive dans le secteur laitier

Tout d’abord, il faut savoir qu’il y a 30 ans, il n’y avait pas de lait en Chine, sauf dans les quelques zones d’élevage mongole. Aujourd’hui, un ménage chinois consomme environ 30 litres de Lait par an, alors qu’un ménage français 53 litres et qu’un ménage irlandais bats les records avec 123 litres. Les Chinois consomment le Lait sous formes fermentées tels qu’en yaourts, mais très peu de fromages que l’on retrouve quasi exclusivement dans les hôtels et restaurants. Mais la consommation de lait en Chine repose abondamment sur les laits en poudre, que nous détaillerons plus loin dans l’article.

Entre 1910 et 1920, les premiers pas de l’industrie laitière en Asie sont hésitants. C’est véritablement à partir de la fin des années 70 que l’industrie s’est développée. Ainsi la Chine a produit 40 millions tonnes de Lait en 2009, notamment poussée par les pouvoirs publics encourageant la consommation de laitages pour leurs propriétés nutritionnelles et sanitaires. Depuis les années 60, la consommation par habitant a été multipliée par 2 et devrait augmenter de 125% en Asie du Sud d’ici 2030. A l’échelle mondiale, la production mondiale de Lait était en 2012 de 818 millions de Litres, sachant que l’Asie est responsable de 28% de la production mondiale. La Chine reste tout de même le 4ème producteur mondial malgré sa faible superficie d’espaces dédiés.

Le scandale du lait en poudre contaminé : la goûte de trop

Dans la continuité de notre récit sur la tradition du lait en Chine, nous avons mentionné que le Lait infantile est la forme de Lait la plus consommée par les Chinois, la Chine étant le premier Marché du Lait Infantile dans le Monde. Et pour cause, on fait le constat que seulement 20% des mères chinoises allaitent leur enfant au sein, alors qu’en France nous sommes à environ 60%.

En Septembre 2008, le « Made in China » en a pris un coup dans le secteur laitier. Un scandale a éclaté lorsque de nombreux nourrissons ont été empoisonnés après avoir ingéré du lait en poudre. Ce lait en poudre était fabriqué et vendu par la société Shijiazhuang Sanlu Group, l’un des leaders du secteur chinois.

Au total, environ 300 000 nourrissons ont été infectés parmi lesquels plus de 300 ont été hospitalisés et 6 en sont décédés. Ils auraient succombé à des dérèglements rénaux après avoir bu à plusieurs reprises le lait en poudre « Sanlu », très prisé par les foyers chinois les moins aisés. Les laits en poudre ont été contaminé avec de la mélamine, une résine utilisée dans la fabrication d’objets en plastique ou de Formica et ont provoqué de vives manifestations et colères de la population.

Mais le plus révoltant est que ce produit chimique aurait volontairement été ajouté dans le but de doper le taux de protéines requit par les normes du pays. Des contrôles ont permis de déceler la présence de cette substance dangereuse dans 68 autres marques de lait fabriqués par une vingtaine d’entreprises. Ainsi, le gouvernement a ordonné l’arrêt immédiat de la vente des laits maternisés incriminés et une quarantaine de dirigeants ont été sévèrement punis.

Les premiers cas alarmants d’enfants décédés auraient été étouffés, par des cadres politiques du Hebei, où est implantée la société, et des dirigeants de l’entreprise qui voulaient à tout prix éviter au pays la médiatisation d’un nouveau scandale sanitaire, surtout à quelques heures de l’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin.

Ici vous pouvez lire un article aussi amusant qu’intéressant sur les touristes chinois ramenant de France des souvenirs plutôt inhabituels …

Nos vaches françaises : des stars mondiales très convoitées

Depuis le Scandale de 2008, l’industrie laitière chinoise a perdu toute confiance des consommateurs chinois, notamment car il s’agit de leurs enfants ! Ainsi, de nombreuses compagnies ont décidé de se tourner vers les pays réputés pour leurs produits laitiers tels que la Hollande, 1er pays fournisseur de Lait au Monde et la France, pays où l’on peut découvrir un fromage différent chaque jour de l’année ! Ainsi en 2014, plus de 2200 litres de Lait étrangers ont été vendus sur le Marché chinois.

Ainsi depuis bientôt une dizaine d’année, environ 6 laiteries françaises ont été partiellement achetées par les investisseurs chinois, permettant dans la plupart des cas de sauver l’entreprise. Ainsi le 28 Septembre 2016, le groupe Synutra, n°3 sur le marché mondial du lait infantile, achète la vaste usine de laits en poudre de Cahais, fournie pas 700 producteurs Normands. Avec un investissement de 170 millions d’euros, il s’agit du plus gros investissement chinois dans une filière laitière. Avec 100 000 tonnes de laits en poudre par an, l’usine est la plus grande et la plus moderne au Monde. Ainsi, le directeur de l’usine revendique fièrement que pour le moment, une vache sur deux est consacrée à l’exportation mais que ce sera bientôt deux sur trois !

Les Chinois ne s’arrêtent pas en si bon chemin : la coopérative d’Isigny Sainte-Mère s’est fait faire construire une usine flambant neuve en Normandie grâce à l’aide de 20 millions d’euro d’un spécialiste chinois du lait pour bébé « Bioslime ». Cela va pouvoir créer 100 emplois dans la région, pour passer d’une production de 20 000 Tonnes à 50 000 Tonnes de Lait Infantile par an. En contrepartie, Biostime prend 20 % du capital social d’Isigny Sainte-Mère et injecte 17,5 millions d’euros en obligations non convertibles, remboursées normalement au bout de dix ans. Les Chinois obtiennent alors un siège sur les quinze que compte le conseil d’administration soit 10 % des droits de vote sur trois mandats de cinq ans en tant qu’associé non-coopérateur. Mais on affirme que le pouvoir reste dans les mains des coopérateurs.

Ici, retrouvez un article nous montrant un cas parallèle d’investissement laitier de la Pologne vers l’Algérie.

Les coopérateurs sont unanimes : ils sont ravis d’avoir une aussi forte demande qui leur garantie un emploi et un revenu pour au moins les 15 prochaines années, tout du moins étant donné que les investisseurs chinois expliquent qu’il s’agit pour le moment d’un lourd investissement qui saura dans le futur, rendre le lait français très compétitif. En effet, l’argument de qualité et d’authenticité française se vendra à prix d’or, dans une société où l’on s’applique de plus en plus à consommer des produits sains, avec le moins de produits chimiques possibles !

Maintenant que vous savez tout sur la fascination des laiteries françaises des investisseurs chinois, vous pourrez savourer la chance que vous avez à chaque lait, tout en gardant à l’idée que dans un futur proche, nous devrons sûrement acheter chaque goûte de notre lait à nos amis chinois !

Julien Perrée

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