Un interrogatoire pas comme les autres

Toutes les répliques de cet interrogatoire sont des idées. Qu’elles vous paraissent fabuleuses ou niaises, monsieur l’agent, ce sont les miennes. Une idée reste un concept, son interprétation est propre à chacun. Me verrez-vous de la même façon que je me présente ? Rencontrez-moi en dehors de cette salle d’entretien et découvrez-le. Ou ne me rencontrez pas et décidez de rester dans le doute. C’est votre choix.

Déclinez votre identité Madame.

- Nom : Chapput

Prénom : Juline

- Comment vous définiriez-vous et quelle est votre mission ?

- Je suis authentique, joueuse, déterminée, têtue et altruiste monsieur l’agent.

Mon objectif : Trouver des éléments hypothétiques à des situations irréelles ou non-concrète.

-Très bien, poursuivez.

-Si je décidais du jour au lendemain d’atterrir comme par magie sur une île déserte type l’île au rhum de Jack Sparrow, au lieu de prendre des objets utiles comme des chaussettes, une couverture de survie ou une gourde, j’emporterais en toute logique :

-Un ordinateur à piles avec le film The Impossible de Juan Antonio Bayona.

Une justification ? Il me donnerait une bonne raison de pleurer et d’avoir envie de me rouler dans le sable sans qu’on me voie aliénée mais également d’être démoralisée au point qu’occire la fameuse réserve de rhum serait impuni. Mais mon choix resterait éthique : ce film témoignage reste un des plus poignants de ces dix dernières années.

-Côté musique : tous les albums des Red Hot Chili Peppers pour passer par toutes les émotions, mais aussi pouvoir me remémorer tous les souvenirs familiaux, amoureux et amicaux liés à ces chansons si je reste sur ma plage pendant plusieurs années, des fois que les secours m’aient oubliée.

-Un livre ? Toutes les pièces de théâtre de Molière. Premièrement, je serai à la fois actrice, metteur en scène et public : impossible à décevoir et impossible de m’ennuyer en me parlant à moi-même (enfin en donnant la réplique aux différents personnages bien sûr). Deuxièmement : je possède une grande affection pour ce genre dynamique et concret qui te fait également voyager et te sentir moins seule.

-Et concernant la planète madame Chapput, que voyez-vous ?

- La Terre ? Eh bien, j’ai réfléchi au plus bel endroit qui existerait. Pour moi, ce serait le large monsieur l’inspecteur.

·Certes l’océan et la mer sont photogéniques et leur sonorité apaisante. Mais pour moi, le plus bel endroit du monde est propre à chacun. Tout comme cela pourrait être une colline, une rue, les bras de votre maman ou un cloître pour vous monsieur. C’est celui où notre paix intérieure se développe, où nous nous reconnaissons et nous construisons le plus. C’est l’endroit où on se projette dans son avenir, on se questionne, on ressent des émotions, des sensations. C’est l’endroit où on se sent le plus vivant tout simplement. Pour moi ce lieu se représente dans le gouvernail d’un bateau, le siège d’un jet ski ou le rocher du littoral sur lequel je vais m’asseoir. C’est là où j’ai fait mes choix de vie majeurs et où ma direction se dessine.

- J’ai bien lu « animal » sur votre rapport de mission ?

-C’est exact, si j’étais un animal, je serais très probablement une otarie de Californie. À son instar, je suis originaire de zones froides ou faiblement tempérées. Cependant, nous préférons la douce chaleur de notre climat actuel. Nous sommes également des animaux intelligents bien que farceurs. Nous aimons divertir nos congénères mais attention à ne pas nous sous-estimer. Bien que grognon, nous sommes très protectrices, avec un instinct maternel pour nos proches fortement développé, nous sommes toutes deux grégaires. Enfin, pour atteindre nos objectifs, l’otarie et moi sommes déterminées tout en restant diplomates. Nous cernons et adaptons nos stratégies pour appâter et obtenir nos poissons : la diplomatie et les pirouettes, ou bien la méthode intrépide et audacieuse.

-Si jamais on me téléphonait un soir pour me dire que le lendemain serait mon dernier jour à vivre, que ferais-je ?

· Je pourrai envisager de voir tous mes proches, ma famille, mes amis, mon partenaire. Je voudrais très probablement faire un tour du monde express en 24H ou vouloir me suicider dans une bouteille de Saint Émilion ou de Vouvray. En bref, faire une sortie remarquée.

· Mais je crois que le plus important pour moi avant de quitter ce monde serait de me dire que mon existence n’aura pas été vaine. Alors, oui, je n’aurai pas changé le monde en inventant un remède contre le cancer, fait adopter tous les enfants dans le besoin au sein de familles aimantes ou éradiquer toute la pauvreté. Mais je me plairais à dire que j’ai pu en aider certains, que j’ai pu améliorer voire sauver des vies sans être pompier, militaire ou médecin.

Ainsi, s’il ne me restait qu’un jour à vivre monsieur l’agent, j’en profiterai pour laisser un témoignage de mon passage : je m’assiérai sur un rocher ou sur la jetée d’un port, en tout cas en bord de mer, je mettrai les Red Hot Chili Peppers dans mes oreilles et j’écrirai. Je rédigerai des listes de personnes que j’ai pu aider, de personnes à aider encore, des conseils à mes proches, mes enfants si j’en ai, mes neveux et nièces, ou des inconnus comme vous. Des conseils pour faire que les petites attentions du quotidien ne se perdent pas et pour faire pérenniser les valeurs et les idées. Je rédigerai des lettres d’Adieu parce que je suis plus douée avec les mots écrits que ceux prononcés. Je dirais à chacun ce qu’il m’a apporté, en quoi il m’a blessée et ce que j’emporterais de lui avec moi.

Pour moi : les corps ne sont que des objets à durée déterminée, mais les idées, elles, persistent.