L’investissement à impact : principes, enjeux et perspectives

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6 min readJan 2, 2023

Article original en anglais disponible ici : Impact Investing. Retrouvez les autres articles de l’Institut Louis Bachelier (ILB) ici : ILB Lab publications

Quelques notions fondamentales

La dernière décennie a été marquée de manière significative par la montée des préoccupations environnementales et sociales des investisseurs. Ces préoccupations sont nées de leur volonté d’avoir un impact spécifique sur le monde, et certaines considérations/stratégies financières sont en fait vieilles de plusieurs siècles ! Cette volonté est particulièrement visible dans un concept financier récent : l’investissement à impact.

Le terme Impact Investing a été inventé en 2007 par la Fondation Rockefeller et est usuellement traduit par “investissement à impact” en français. Il correspond à des investissements réalisés dans l’intention de générer à la fois un rendement financier et un impact environnemental et/ou social. La plupart du temps, ces derniers sont liés aux Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD).

On distingue généralement deux types d’investisseurs :

  • La performance d’abord (performance first en anglais) : les investisseurs qui ne sont pas prêts à faire des sacrifices financiers pour obtenir des résultats financiers supplémentaires.
  • L’impact d’abord (Impact first en anglais) : les investisseurs sont prêts à faire des sacrifices financiers (concernant les risques et/ou les rendements) pour obtenir des résultats extra-financiers additionnels.
Croissance des stratégies d’investissement durables dans le monde, évolution de 2016 à 2020, classées par valeur des actifs. Source : Global Sustainable Investment Review 2020, p. 11

Le graphique ci-dessus montre que l’investissement d’impact est une stratégie d’investissement durable sous-représentée et à croissance lente par rapport aux autres. En effet, à l’heure actuelle, les stratégies les plus populaires sont les moins exigeantes, alors que l’investissement à impact se concentre sur l’identification et la certification d’un impact donné, et est donc beaucoup plus complexe à mettre en œuvre.

Les dernières années ont été cependant marquées par la multiplicité des engagements des États et des sociétés financières, en particulier sur les sujets environnementaux. Et avec les évolutions réglementaires à venir, nous pouvons nous attendre à ce que de plus en plus d’investissements incluent certains des éléments de l’investissement à impact, notamment en ce qui concerne l’évaluation de l’impact.

Les spécificités techniques de l’investissement à impact

L’idée d’impact repose sur la notion de contrefactuelle : qu’est-ce qui se serait passé si un investissement/une activité donné n’avait pas eu lieu ?Le Global Impact Investing Network (GIIN) donne la définition suivante de l’investissement d’impact :

Source: définition de l’investissement à impact selon le GIIN

Il existe trois conditions obligatoires pour valider un impact :

  • L’intentionalité : les résultats involontaires ne doivent pas être pris en compte, ils doivent être évalués par rapport à des objectifs prédéfinis.
  • L’additionalité : une contribution supplémentaire par rapport à ce qui se serait passé sans l’investissement doit être prouvé.
  • La mesurabilité : l’investisseur doit mesurer et partager la performance sociale et/ou environnementale de l’investissement, garantissant ainsi sa transparence et l’engagement de sa responsabilité.

Ainsi, les meilleurs pratiques du domaine consistent à :

  • Pré-établir et communiquer les objectifs environementaux/sociaux initiaux à toutes les parties prenantes.
  • Fixer des mesures de performance/cibles liées aux objectifs (aussi standardisés que possible).
  • Suivre activement l’évolution de la performance par rapport aux cibles précédemment définies.
  • Rapporter régulièrement les performances atteintes.
Processus global de l’investissement à impact (Source: Erasmus+)

Au cours de l’évaluation, la mesure des rendus (outputs, résultats directs à court terme) est assez facile, la mesure des constats (outcome, résultats à moyen terme, éventuellement après la fin du projet/de l’activité) est plus difficile et l’impact (résultats à long terme, indépendamment d’autres projets/activités ayant des objectifs similaires) est extrêmement difficile.

La condition la plus difficile à respecter est l’additionalité, il s’agit de la différence entre les constats et l’impact.

Illustration de la nécessité de l’additionalité pour créer un impact. (Source: The Investor’s guide to Impact)

Un exemple pratique

Nous distinguons l’impact de l’investisseur et l’impact de l’entreprise. L’impact des financeurs dépend de l’impact des entreprises qu’ils aident, qui peut provenir de :

  • L’impact des produits, venant des biens et services qu’elle fournit.
  • L’impact operationel, venant des pratiques et processus interne de l’entreprise.
(Source: The Investor’s guide to Impact)

Prenons l’exemple d’une entreprise qui fabrique et fournit des moustiquaires afin d’éviter les décès dus à la malaria.

  • La première question est de savoir si les moustiquaires ont été fabriquées et partagées (rendus) ?
  • La deuxième question est de savoir si elles ont été efficaces pour réduire le nombre de décès dus au paludisme (constats et impact, généralement répondu à l’aide de techniques issues des sciences sociales comme les essais contrôlés randomisés, etc.)
Evaluation détaillée de l’impact potentiel de l’entreprise

Pour qu’un investissement ait un impact, il doit également vérifier l’additionalité, c’est-à-dire l’augmentation de la quantité/qualité de la production liée à l’impact de l’entreprise au-delà de ce qui se serait produit. Ainsi, il doit fournir plus de capital que ce que l’entreprise obtiendrait normalement. Il ne peut pas non plus évincer d’autres sources de capital telles que la philanthropie ou d’autres investisseurs.

La fourniture d’avantages non financiers peut aussi générer de l’impact :

  • Support/aide à l’amélioration/gestion de la croissance ;
  • Promotion de l’entreprise ;
  • Apport de nouveaux investisseurs ;
  • Fourniture de conseils techniques et/ou financiers.

Dans notre exemple, si l’investisseur se contente de financer l’entreprise de la même manière que tout autre investisseur serait prêt à le faire, son impact est nul. De manière contre-intuitive, s’il investit plutôt dans une entreprise dont l’impact est négatif (par exemple une société pétrolière et gazière) et la convainc de s’améliorer, son impact pourrait être plus important.

Différence d’impact (illustration de l’effet positif contre intuitif possible d’un investissement dans une entreprise brune) (Source: The Investor’s guide to Impact)

L’investissement à impact aujourd’hui et les évolutions à venir

De nos jours, l’investissement à impact prend diverses formes. Le Impact Management Project (IMP) liste les actions suivantes :

  • Financement (fourniture de capitaux aux marchés sous-approvisionnés) ;
  • Engagement (soutien non financier, engagement des actionnaires) ;
  • Signalisation (en dedans et en dehors du marché).
  • Etc.

Il existe également des produits financiers spécifiques à l’investissement à impact. Les plus courants sont les Social Impact Bonds (SIBs) et les Development Impact Bonds (DIBs). Ils ne seront pas détaillés ici, mais peuvent être explorés en utilisant l’Impact Bond Dataset (voir ci-dessous).

Impact Bond Dataset, depuis le Government Outcome Lab (Oxford)

Il existe de nombreux autres cadres d’évaluation d’impact qui n’ont pas été évoqués ici, comme le Social Return On Investment, le modèle CISL de Cambridge, le modèle Sustainex de Schroders, etc. Plus de méthodologies et sources de données peuvent être trouvées sur la Cartographie des données ESG de l’ILB). Cependant, les méthodologies d’évaluation de l’impact sont loin d’être standardisées et, à l’heure actuelle, il est extrêmement difficile pour un investisseur de justifier son impact de manière solide.

L’investissement d’impact joue déjà un rôle important en contribuant à la réalisation des ODD de l’ONU. On peut espérer que les considérations et les méthodologies développées dans son contexte s’étendront à d’autres investissements durables, en aidant à identifier les meilleures pratiques et celles liées au greenwashing.

Si vous êtes un praticien de la finance désireux de travailler sur ce sujet, et à la recherche de formations avancées et/ou de développements méthodologiques pratiques ou autres, vous pouvez contacter l’ESG Lab, notre structure dédiée à la R&D opérationnelle sur les sujets de finance verte et durable à l’Institut Louis Bachelier.

Remerciements

Nous tenons à créditer et à remercier tout particulièrement Maria Villalonga Goñalons, puisque le contenu de cet article est entièrement basé sur ses travaux à l’Institut Louis Bachelier, et Thibaud BARREAU pour la rédaction de l’article.

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The ESG Lab is a team of sustainable finance experts at the Institut Louis Bachelier, specialized in applied research for companies and/or public institutions.