Appliquer une optique d’équité au financement public : pas seulement un impératif moral, mais une partie intégrante d’une innovation efficace

Impact Canada
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7 min readNov 23, 2023

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Deena Newaz, Fellow, Prix et défis, Agriculture et Agroalimentaire Canada

Deena Newaz

Comme pour beaucoup, la prise en compte de ma propre identité raciale, sexuelle et religieuse et de son incidence sur les résultats de ma vie est une négociation constante. Notre compréhension collective de la manière dont les différentes identités se rencontrent et convergent constitue un exercice qui est devenu un instrument politique important, capable de favoriser de manière significative l’inclusion, la diversité et l’équité au sein de l’organisation et de la société. Au-delà de la réflexion personnelle et collective, la réalisation de l’équité nécessite un changement systémique à tous les niveaux. Mon expérience au sein de diverses organisations et communautés m’a montré que notre travail en faveur de l’équité commence par le choix délibéré de remettre en question les anciens schémas et d’obtenir de meilleurs résultats. Il y a un an, j’ai saisi une occasion unique avec Impact Canada en tant que fellow des prix et défis responsable de la conception d’un nouveau défi avec Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Depuis 1995, le gouvernement du Canada a adopté différentes versions de l’outil d’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS Plus) pour soutenir l’élaboration de politiques, de programmes et d’autres initiatives adaptés et inclusifs. L’ACS Plus n’est pas une approche de sensibilisation, mais un processus permettant de comprendre qui est concerné par une question et d’adapter les initiatives proposées pour répondre aux divers besoins des personnes les plus touchées, en atténuant les obstacles susceptibles d’empêcher l’accès à l’initiative proposée. Il est important de noter que le « plus » de l’ACS Plus fait référence à l’intersectionnalité et va au-delà du sexe et du genre pour prendre en compte d’autres facteurs identitaires divers.

Analyse comparative entre les sexes plus
Intersectionnalité graphique illustrant certains des facteurs d’identité pris en compte dans l’ACS Plus

L’objectif de ce document n’est pas de redéfinir l’ACS Plus; le gouvernement du Canada offre déjà d’excellentes ressources et des conseils pour tous ceux qui ont des points de départ différents. Dans cet article, je fais part de mon expérience de l’adoption d’une optique d’équité délibérée pour concevoir un Défi de réduction du méthane agricole de 12 millions de dollars en tant que fellow des prix et défis. J’explique pourquoi l’adoption d’un cadre d’équité dans le financement et la programmation du gouvernement n’est pas seulement un impératif moral, mais aussi un ingrédient essentiel de l’innovation. Mon examen de l’ACS Plus et de son application rapide a été facilité par la méthodologie des défis d’Impact Canada, qui axe le financement public sur l’obtention de résultats et permet l’établissement de nouvelles méthodes de travail.

Par où commencer?

D’après mon expérience, ayant déjà travaillé sur la lutte contre les inégalités systémiques dans les secteurs humanitaire et de l’éducation, les facteurs d’équité à prendre en compte arrivent trop tard dans le processus, ou apparaissent comme un ajout à un programme déjà conçu.

Contrairement aux programmes et au financement traditionnels, les défis sont accompagnés d’une méthodologie éprouvée pour le développement, qui crée les conditions nécessaires pour entreprendre la recherche et la mise en œuvre du renforcement de l’équité. Chaque étape de la conception du défi nécessite beaucoup de temps, de ressources et de réflexion, à commencer par la phase de compréhension. Dans le cadre du Défi de réduction du méthane agricole, c’est là que j’ai passé le plus de temps à comprendre non seulement le problème des émissions de méthane, mais aussi la manière dont les inégalités systémiques et historiques, ainsi que les obstacles permanents à l’entrée dans le secteur, ont entraîné la sous-représentation de certains groupes tels que les Noirs, les Autochtones, les personnes de couleur et les jeunes producteurs à la table de l’innovation. Lorsque mon équipe et moi-même avons entamé la phase de compréhension et mené des séries d’entretiens approfondis, nous nous sommes posé la question clé de la responsabilité : qui est absent de nos conversations ou de notre échantillon de recherche? En appliquant la réflexivité à notre propre processus et à ses lacunes ignorées, nous avons commencé à prêter attention aux conditions sociales, culturelles et économiques complexes dans lesquelles le bétail, les producteurs et les émissions de méthane interagissent.

Que faire de ces données?

La collecte de données désagrégées est un point de départ important, et la réalisation d’une vérification des données du secteur est devenue la première étape essentielle pour développer notre propre compréhension contextualisée de l’inégalité dans le secteur de l’élevage. Grâce à des recherches continues et aux éléments remis en question, nous avons pris conscience du manque de données démographiques et désagrégées. Les données que nous avons exploitées et analysées ont révélé que, sur l’ensemble des producteurs, environ 1,9 % sont des exploitants agricoles autochtones, 2,9 % sont des minorités visibles et 8,6 % sont des jeunes (40 ans et moins). Cette enquête sur les données désagrégées a non seulement révélé les lacunes de nos ensembles de données, mais nous a incités à élaborer de meilleures infrastructures de données dans le cadre du défi afin de concrétiser et d’encourager ce type de collecte de données. Cet effort a pris la forme d’une élaboration de questionnaires spécifiques destinés à être intégrés aux formulaires de candidature, aux formulaires de recrutement des jurys et au cadre d’évaluation. Nous ne pouvons pas améliorer efficacement les résultats pour tous si nous ne disposons pas de données fiables pour comprendre certains groupes.

Comment réunir tous ces éléments?

L’une des tâches essentielles au cours de l’élaboration du défi a été de concevoir un cadre intégré d’ACS Plus qui s’inscrive dans le processus plus large du défi, afin de garantir que les leçons que nous tirons soient systématiquement utilisées pour éclairer nos prix et défis. Pour y parvenir, nous avons adopté l’approche suivante afin d’obtenir un cadre que nous pourrions adapter à notre défi et qui servirait de feuille de route pour les travaux futurs :

1. concevoir un cadre d’ACS Plus propre à un défi, basé sur la participation des intervenants au sein du gouvernement fédéral et à l’externe;

2. déléguer les tâches au niveau individuel et à l’échelle de l’équipe afin de garantir l’appropriation collective de la conception et de la mise en œuvre;

3. harmoniser les mesures de l’ACS Plus avec chaque étape de la conception et de la mise en œuvre du défi afin d’assurer une application sans faille (c.-à-d., les résultats en matière d’équité liés aux guides de candidature, à la sélection du jury, etc.);

4. répéter et demander régulièrement une rétroaction à tous les intervenants afin de créer un espace de réflexion et de tirer des enseignements des travaux déjà entrepris au sein du ministère et du gouvernement du Canada.

Partant du principe que l’équité nécessite un engagement durable, la collaboration a été privilégiée pour fixer les objectifs distincts du cadre d’ACS Plus. Le travail est bien trop important et bien trop urgent pour qu’une seule équipe puisse l’accomplir seule.

Comment savons-nous que nous progressons?

Les prix et défis sont des modèles de financement axés sur les résultats, où la responsabilité, la transparence et l’inclusivité sont maintenues dans le modèle d’évaluation à faibles obstacles, et dirigés par un jury. En appliquant une approche similaire à la construction de l’équité dans le cadre du défi, nous avons défini des objectifs pour chaque étape de la conception et de la mise en œuvre, en nous responsabilisant et en nous assurant que nous étions sur la bonne voie pour obtenir des résultats. Par conséquent, notre cadre adapté et intégré de l’ACS Plus pour le défi de la réduction du méthane comprend des résultats mesurables tels que :

· l’élaboration d’une boîte à outils sur l’ACS Plus avec des ressources et des liens pour les différents acteurs internes et externes au gouvernement fédéral qui joueront un rôle dans le défi pour renforcer les connaissances et la compréhension communes;

· la redéfinition de l’innovation pour le défi afin d’inclure des solutions qui ciblent les groupes visés par l’équité et les favorisent au sein du secteur, ainsi que l’établissement d’un lien avec le critère d’évaluation;

· l’utilisation d’un langage clair et simple dans le formulaire de candidature afin de rendre le processus accessible et inclusif;

· la collecte de données démographiques normalisées tout au long du défi;

· le recrutement d’un jury d’experts diversifié avec au moins 50 % de parité hommes-femmes (femmes et/ou personnes non binaires) et une représentation significative (30 %) de membres d’autres groupes en quête d’équité, ce qui comprend les personnes qui s’identifient comme autochtones, racisées, noires ou de couleur (« minorités visibles »), les personnes en situation de handicap (lesquels handicaps peuvent être invisibles ou épisodiques), les personnes 2ELGBTQ+ et les personnes de sexe et de genre différents.

Retour à la réalité

Malgré tous les efforts que nous déployons en tant que fonctionnaires, les inégalités systémiques et les obstacles à l’inclusion subsistent, et même les plans les mieux conçus ne peuvent les surmonter entièrement. Sans être paralysée par cette réalité, j’ai gagné en efficacité en reconnaissant les limites de notre travail, en me formant continuellement, en écoutant les groupes en quête d’équité et en appliquant de manière proactive une perspective d’équité à chaque tâche, tant au travail qu’à l’extérieur. Bien que ce travail soit toujours en cours, en essayant de nouvelles voies et en mettant l’accent sur l’équité, j’ai terminé ma première année de fellowship avec une plus grande capacité à appliquer l’ACS Plus, et je suis donc devenue une fonctionnaire mieux outillée.

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