Comment la systémique a changé ma vision du monde ? (1/3)

Dan Dang
Impact Responsable
Published in
5 min readSep 25, 2023

Dans cette série d’articles, je souhaite vous partager comment le cours magistral d’Arthur Keller pour Centrale / Supélec a bouleversé ma vision du monde.

Je vous propose de commencer par un état des lieux de la situation actuelle, puis d’aborder les pistes de solutions proposées par Arthur Keller, et enfin de voir quelles initiatives se sont lancées pour nous inspirer.

Arthur Keller est un spécialiste des stratégies de résilience face aux risques sociétaux, des vulnérabilités des territoires et des organisations ainsi que des leviers de transformation collective. Ingénieur et systémicien de formation, il est aussi conférencier, formateur et consultant français.

Ce cours magistral va vous plonger dans la compréhension “systémique” des problèmes environnementaux de notre temps, ainsi qu’une prise de hauteur sur les solutions pour y remédier.

Qu’est-ce que la systémique me direz-vous ?

La systémique est une manière de définir, d’étudier ou d’expliquer tout type de phénomène, elle consiste avant tout à considérer ce phénomène comme un système : un ensemble complexe d’interactions, souvent entre sous-systèmes, le tout au sein d’un système plus grand. Elle se distingue des approches traditionnelles qui s’attachent à découper un système en parties sans considérer le fonctionnement et l’activité de l’ensemble, c’est-à-dire le système global lui-même.

Arthur Keller propose une approche en considérant le “système Terre” dans sa globalité.

Une métaphore qui m’a notamment frappé dans son cours est celle du marteau de Maslow (ou loi de l’instrument), concept qui illustre le biais de jugement impliquant une confiance excessive dans un outil.

Comme le formule Abraham Maslow en 1966, « J’imagine qu’il est tentant, si le seul outil dont vous disposiez est un marteau, de tout considérer comme un clou. » (source : Abraham H. Maslow, The Psychology of Science, 1966, p. 15)

Arthur Keller nous met en garde contre ce biais, la géo-ingénierie en étant une parfaite illustration.

1 — Les solutions actuelles ne sont que des pansements

Arthur Keller utilise une autre métaphore pour illustrer la façon dont les problèmes actuels sont appréhendés : Imaginez que vous souffriez de maux de tête, de maux de ventre et d’un problème de peau. Chacun des maux pourra avoir sa solution locale.

Par exemple, vous pourriez prendre du paracétamol ou de l’aspirine pour soulager vos maux de tête, de la tisane ou des anti-inflammatoires pour soulager vos maux de ventre, et de la pommade pour vos problèmes de peau. Ces solutions pourront temporairement soulager vos maux.

Et si l’origine de tous vos maux était un cancer, pensez-vous que ces solutions seraient pérennes, pour vous soulager durablement ? Ne faudrait-il pas considérer ceux-ci comme les symptômes d’un mal plus profond ?

2 — Le système actuel de croissance a atteint ses limites

Et si le mal plus profond en question était le système actuel de croissance, et ses conséquences destructrices sur l’environnement ?

Un exemple a attiré mon attention dans son cours, celui décrivant l’incohérence de nos systèmes de traitement des déchets, et notamment des rejets fécaux. L’agriculture intensive extrait massivement le phosphore des sols, afin de nourrir les plantes, et répondre aux besoins d’alimentation mondiale.

Ce phosphore est contenu dans nos déjections, qui devraient, dans un cycle écologique normal et sain, réalimenter les sols. Or, à l’heure actuelle, celles-ci sont non seulement déversées dans de l’eau potable au sein de nos systèmes d’assainissement des eaux usées, mais ensuite déversées dans les cours d’eau.

Le paradoxe ultime est que cette perte pour les sols est ensuite compensée par l’utilisation massive d’engrais artificiels pour cultiver les sols.

Cet exemple, avec celui de la destruction de l’environnement pour créer des déchets (extraction irréversible de matériaux rares, destruction des forêts, etc.) montre bien que le système actuel n’est pas soutenable.

Arthur Keller le détaille à travers ce qu’il décrit comme les 7 sphères actuelles du “système Terre” :

  1. Lithosphère (couche externe du globe terrestre, épaisse de 100 à 200 km)
  2. Hydrosphère (totalité des eaux de la planète, comprenant aussi bien les océans, les mers, les lacs, les cours d’eau que les eaux souterraines et les glaces)
  3. Cryosphère (ensemble des masses de glace, de neige et de sols gelés ou pergélisol, présentes sur la Terre)
  4. Atmosphère (enveloppe gazeuse entourant une planète, en particulier la Terre)
  5. Biosphère (partie de notre planète où la vie s’est développée : couche superficielle très mince qui comprend l’hydrosphère, la couche la plus basse de l’atmosphère et la lithosphère)
  6. Pédosphère (couche la plus externe de la croûte terrestre, mince pellicule superficielle des continents émergés, composée des sols résultant du processus de pédogenèse, elle abrite l’essentiel de la faune et la flore du sol)
  7. Anthroposphère (ensemble et résultats des activités produites par l’être humain)

La dernière sphère étant l’impact direct des activités humaines sur le système Terre.

L’image suivante représentant le dépassement de 6 des 9 limites planétaires illustre les conséquences de ces dernières :

Les neuf limites planétaires et les six limites déjà dépassées en rouge.

Dès lors, comment y remédier ?

Dans l’idéal, il faudrait réfléchir à ce qui doit être supprimé, limité ou fortement régulé, ce qui doit rester tel quel, ce qui doit évoluer, ce qui doit croître, et ce qui doit être créé. Cela devrait faire l’objet d’un débat démocratique, afin de choisir ce que nous souhaitons garder et jeter.

Selon Arthur Keller, il faudrait également que l’ensemble des pays au niveau mondial décroisse quantitativement, et croisse qualitativement (services publics, éducation, santé, infrastructures essentielles, etc.).

Des solutions existent : agro-écologie, maraîchage sur sol vivant, permaculture, végétalisation vivrière des agglomérations, monnaies et systèmes d’échanges locaux, etc. Plus de détails sur les solutions dans l’article suivant.

3 — La croyance que la technologie permettra de tout résoudre est un mirage

Comme mentionné précédemment avec la métaphore du marteau de Maslow, Arthur Keller nous met sévèrement en garde contre ce qu’il appelle “le solutionnisme”, c’est-à-dire la tendance à croire que tous les problèmes peuvent être résolus avec la technologie.

L’exemple donné qui m’a marqué est celui des énergies dites “renouvelables”, de type éoliennes, panneaux solaires, etc. permettant entre autres de produire des voitures électriques dites “propres”. Le fond du problème se situe dans le processus de fabrication de ces énergies :

  • Premièrement, celles-ci constituent actuellement une part minoritaire du mix énergétique des pays (moins de 20%, en considérant les ordres de grandeur de Pareto).
  • Autre problème : pour les produire, il est nécessaire d’extraire et de consommer une quantité importante d’énergie fossile, ne serait-ce que pour extraire les matériaux nécessaires à leur fabrication, ou pour les transporter.

Dès lors, si les options considérées sont encore plus destructrices de l’environnement, que son problème, pouvons-nous encore parler de “solution” ?

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