ÉTAT DE L’ART DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Léo de Riedmatten
impactIA
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5 min readAug 21, 2020

Interview de Boi Faltings, directeur du laboratoire d’IA, EPFL

Boy Faltings, directeur du laboratoire de l’IA pour l’EPFL, dresse pour nous un état des lieux de l’intelligence artificielle aujourd’hui, de ses champs d’application et de ce qui la définit.

Julien Rapp, journaliste

L’intelligence artificielle, un concept qui évolue

La définition de l’Intelligence Artificielle est variable et basée sur des concepts multiples. Elle a ainsi beaucoup évolué à travers le temps. Auparavant, il y a 20 ou 30 ans, on rattachait à l’IA des éléments surprenants, des situations nouvelles, et des problèmes qu’on ne pouvait résoudre par voie traditionnelle. À l’inverse, on englobe aujourd’hui dans l’Intelligence Artificielle beaucoup d’éléments nouveaux, à l’instar de la reconnaissance des formes et des visages. L’IA n’a pas connu de grande évolution, mais sa définition a changé. Le terme est également aujourd’hui plus populaire.

Objectifs

En fait, aujourd’hui, l’Intelligence Artificielle se définit, à mes yeux, comme suit. Dans l’informatique classique, on transmet à la machine une démarche, une façon de procéder. Le robot ainsi programmé effectue une tâche fixe. Il n’en déviera pas, même si cette tâche n’est pas adaptée à une situation ou à un contexte. Lorsqu’on passe à de l’intelligence artificielle, on ne transmet plus la façon de procéder. L’humain qui conçoit ce système spécifie des buts plutôt que des pas à suivre. L’intelligence artificielle a un objectif, à elle de faire son chemin pour l’atteindre. C’est précisément là que réside la différence.

Gérer des situations complexes

L’intelligence artificielle permet ainsi, à la fois une prise en considération plus large des facteurs de l’environnement, et une prise en considération plus spécifique que ce qu’on en attend. Dans le cas des voitures autonomes, il s’agit, par exemple, d’éviter les piétons, de les laisser passer et d’adapter sa vitesse aux zones qu’on traverse, entre autres. Le système qui en résulte sera beaucoup plus flexible. Il s’adapte à l’environnement. Il cherche les actions qu’il devrait faire, les interactions les plus appropriées, en fonction de celui-ci. Je ne peux pas programmer une voiture automatisée avec une méthode classique, elle ne tiendra pas compte de l’environnement. Donner une prescription n’est pas imaginable pour des programmeurs traditionnels. C’est trop difficile. Passer à cette étape de fixer ce qu’on veut atteindre, permet ainsi de gérer des situations plus complexes. Cela ouvre beaucoup de possibilités.

Maintenance préventive

Les voitures autonomes sont très emblématiques. D’autres cas de figure, plus discrets, sont également révolutionnés par l’IA. La maintenance préventive en est un bon exemple. Si vous avez des machines, vous souhaitez éviter qu’elles ne connaissent des pannes et ainsi anticiper les dégradations de leurs pièces. Cette action permet de régler, de réajuster la machine avant qu’elle ne dévie trop et de lui éviter ainsi un certain nombre d’anomalies. Le remplacement d’une pièce est difficile à prédire, à anticiper. On apprend sur la base du comportement de la machine. Lorsqu’elle tombe en panne, cela fournit des indications pour la suite.

Tester les pièces

Le système peut être de plus en plus précis sur la base de cet apprentissage. Swissair avait lancé un premier projet de ce type en 1993. L’enjeu des avions est crucial, puisqu’il s’agit de changer les pièces du réacteur avant qu’elles n’explosent. Dans le passé, les pièces étaient automatiquement remplacées toutes les 1’000 heures. C’est relativement cher. Il faut ainsi mesurer le comportement du réacteur, car parfois une pièce casse avant, ou tient sur une plus longue durée. Swissair voulait poser des capteurs à cet effet, mais le fabricant le lui a, à l’époque, interdit. Aujourd’hui, les fabricants prennent euxmêmes les mesures. Ils effectuent leurs propres évaluations, c’est tout bénéfice pour eux.

Données

Lorsqu’on est dans la recherche, on travaille sur des choses qui ne sont pas encore industrialisées. Quand on utilise des données, il faut qu’elles soient correctes. Or, nous nous sommes rendu compte que beaucoup de données à destination de l’IA sont fausses au départ. Celle-ci ne peut par conséquent être efficacement ajustée. Reconnaître les données, définir celles qui sont adaptées à des systèmes intelligents, est crucial. Nous avons développé des techniques pour nous assurer de la cohérence de ces données. Dans ce contexte, il s’agit de données de différents clients qui utilisent différentes machines. Nous pourrions rémunérer ceux qui transmettent les données les plus utiles, les plus justes.

Recherche médicale

Dans le domaine de la recherche médicale, nous travaillons aussi autour de la confidentialité des données. Si vous disposez des vraies données, elles vous permettent d’identifier autre chose que votre but. Elles vous fournissent d’autres informations sur un malade, par exemple. Il faut donc garantir l’anonymat des données du patient. Nous développons donc un système d’apprentissage avec données fictives. Cette technique protège les soins et la sphère privée. Les gens ne doivent ainsi donner leur consentement que pour certains buts. On peut aujourd’hui constituer ces données artificielles. Il reste, cependant, une petite probabilité qu’on puisse identifier les personnes. Cela se résoudra un jour. Ces techniques d’apprentissage ont commencé à être développées il y a 20 ans.

Objectifs différenciés

Il y a encore l’enjeu des agents multiples, qui cherchent chacun à optimiser leurs actions. Supposons qu’on développe des taxis autonomes. Si tous cherchent la clientèle la plus profitable, ils se concentreront sur un client, et oublieront les autres. Il faut donc que chacun prenne des passagers avec des caractéristiques spécifiques. Les multi-agents doivent donc avoir des critères qui diffèrent. Le défi est que tout ceci converge et soit complémentaire. Nous travaillons là-dessus.

Systèmes de recommandation

En ce qui concerne le développement de systèmes de recommandation, nous sommes confrontés à une vraie problématique d’apprentissage. Le monde est en évolution perpétuelle, à l’instar des marchés financiers. Le système doit pouvoir s’adapter à ces différents modèles. Nous avons, par exemple, développé un système de recommandations de nouvelles basé sur l’observation de ce que les gens lisent. Le journal Le Point l’a utilisé. Ce système apprend les articles populaires et peut les recommander. Nous avons aussi commercialisé cela en entreprise, pour de la recommandation de produits. Nous devons en recherche aborder des enjeux sur lesquels les industriels ne se penchent pas.

Recherche et applications

Aujourd’hui, il y a en ce domaine beaucoup de succès à court terme, avec des techniques connues depuis longtemps. On s’est focalisé sur les applications, moins sur la recherche. Cette dernière stagne davantage, car peu de moyens sont investis pour la faire avancer. Il y a 20 ans, l’IA était moins populaire. On cherchait en revanche à la faire évoluer, pour qu’elle devienne tangible. Aujourd’hui, elle a plus de succès et connaît parallèlement moins d’avancées. Dans ce domaine, aspirations, évolution, déceptions et nouveaux espoirs se suivent. C’est cyclique.

Cet article provient des cahiers des AI Expert Days et fait suite à la conférence sur l’IA organisé par la fondation impactIA

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At impactIA Foundation, we are developinng ethical, robust and legal artificial intelligence solutions for the workplace.

Léo de Riedmatten
Léo de Riedmatten

Written by Léo de Riedmatten

BSc in Computer Science & Artificial Intelligence with Neuroscience from Sussex University, currently a Machine Learning Intern at impactIA in Geneva (CH).