GENÈVE ET L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Léo de Riedmatten
impactIA
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8 min readAug 21, 2020

Entretien avec le canton de Genève, Michael Kleiner, Gianfranco Moi.
Julien Rapp, journaliste

L’économie fait face à une montée sans précédent de l’Intelligence Artifcielle (IA) dans les processus de production avec un impact direct sur les modèles d’affaires. Comment l’Etat accompagne-t-il les PME dans ce changement de paradigme?

En 2018, l’Etat s’est doté d’une politique numérique. Un certain nombre de valeurs y ont été déterminées auxquelles la technologie doit répondre. La plus essentielle de ces valeurs est de maintenir l’humain au centre du dispositif. Toute technologie peut avoir deux visages, il est du devoir de l’Etat d’essayer d’en limiter les impacts négatifs. L’intelligence artifcielle est ainsi considérée avant tout comme une manière d’augmenter les capacités des personnes et les performances.

La politique numérique de l’Etat se déploie en cinq volets : la facilitation des interactions entre les citoyens et l’administration, la formation qui doit permettre d’anticiper les enjeux en matière d’employabilité, la protection et la sécurité de l’information et des données, la promotion de Genève comme centre de gouvernance des questions numériques et enfn, la régulation qui englobe les questions éthiques.

Cyber sécurité et IA

L’Etat travaille sur les possibilités d’application de l’intelligence artifcielle à la sécurité de l’information. Dans le domaine de la cybercriminalité, les attaques deviennent de plus en plus pointues. Les dispositifs classiques généraux dits de sécurité périphérique ne suffisent plus à se protéger. Des systèmes arrivent désormais à pénétrer à l’intérieur de ces enceintes sécurisées et à porter des attaques ciblées extrêmement précises. Ces attaques sont créées avec des dispositifs d’intelligence artifcielle. Les petites et moyennes entreprises à Genève y sont très vulnérables. Aujourd’hui, une seule attaque peut sufre à faire couler une entreprise, car elle risque d’en impacter le fonctionnement même.

Sécurité des données et IA

La sécurité des données est liée à la question de l’intelligence artifcielle. Avoir des données en masse en rend le traitement difcile, sauf si on dispose de mé-
canismes qui permettent justement de les analyser de manière rapide et d’en tirer de l’information.

Afflux de données

L’afux de données est également un enjeu problématique. Un bon nombre d’entre elles ne servent à rien. Il faut combattre cette entropie qui nous des-
sert. Il est difcile de traiter des données qui arrivent en masse, sauf si on dispose de mécanismes qui permettent de les analyser de manière rapide et d’en tirer de l’information. L’intelligence artifcielle peut, dans ce domaine, nous aider grandement.

Protection

L’intelligence artifcielle peut, à l’inverse, être déployée dans ce type de cas pour se protéger. Des solutions intéressantes existent à Genève pour se
défendre. Basées sur un principe de résilience, elles permettent de maintenir active une partie de l’entreprise, même sous attaque. En contact avec des start-up à la pointe sur ces questions, la DG DERI s’informe constamment sur les systèmes de protection et sensibilise les PME à ces enjeux. Car bien souvent, elles ont l’impression qu’elles sont si petites qu’elles passent sous l’écran radar et qu’elles sont ainsi à l’abri de tout risque. Il est donc essentiel de les informer.

Mutualiser actions et ressources

Les petites et moyennes entreprises ont en efet de la peine à se mobiliser, faute de temps et de moyens. Afn de mutualiser les actions et les ressources au niveau des associations professionnelles, de nombreuses collaborations sont menées avec les organisations faîtières qui partagent les mêmes priorités.

Rendez-vous

Pour ce faire, l’Etat organise des événements avec ses partenaires, tel que le Forum Économie Numérique, dont la cinquième édition se déroulera en novembre. Le Forum permet à ces PME d’appréhender différents enjeux cruciaux : la protection des données, l’intelligence artifcielle, la cybersécurité, et tout ce qui touche à la transition numérique. L’an dernier, une rencontre ciblée uniquement sur la cybersécurité a permis de creuser ce thème avec les PME. Ces rendez-vous ont eu de l’efet, car elles ont aujourd’hui pris conscience de ces enjeux, mais elles doivent encore, pour la plupart, passer à l’action.

Attaques internationales

Cette prise de conscience, certains événements internationaux y ont contribué. Il y a 4 ans, des attaques baptisées Wanna Cry ont pris d’assaut les hôpitaux britanniques. Ces établissements fonctionnaient encore sur des Msdos, d’anciens Microsoft et des vieux ordinateurs. Le virus a réussi à tout paralyser, empêchant les opérations d’avoir lieu.

Se protéger

Comprendre comment procéder n’est pas simple pour les PME. Leurs services informatiques sont souvent externalisés. Elles sont donc dépendantes d’une entreprise qui vient en faire la maintenance. Les nouvelles propositions de celle-ci sont souvent vues comme une approche commerciale. Et les PME n’ont en général pas d’outils adéquats pour évaluer les différentes solutions qui s’ofrent à elles en matière de protection. Il est donc essentiel de les mettre en relation avec d’autres prestataires, de leur faire découvrir la multitude d’acteurs potentiels, de leur montrer l’étendue de ce champ. C’est le rôle de la DG DERI de communiquer sur l’ofre qui est en place à Genève, de la rendre visible, sans orienter forcément vers un choix précis. Les PME sont encouragées à se renseigner, à faire un efort dans ce sens, parce qu’il y a un risque clair pour elles.

Application interne à l’Etat

L’Etat envisage également d’introduire de l’intelligence artifcielle à l’interne. Cela pourrait s’appliquer à de nombreuses fonctions de support, incluant les
helpdesks. Aujourd’hui, aucun essai public n’a encore été fait dans ce domaine, mais des études sont menées, notamment pour le support informatique à l’interne. Ceci, avec un principe simple. Les informa-
tions évidentes devant être disponibles directement sur internet sous forme de FAQ, un chatbot devrait pouvoir répondre à des questions élémentaires, et les fonctionnaires pourraient ainsi amener la valeur ajoutée humaine qui les différencie de ce que peut apporter l’outil.

Partenariats académiques

Les acteurs académiques sont des partenaires clés de l’Etat dans l’évolution de ces conceptions tournant autour de l’intelligence artifcielle. L’Université de Genève a récemment lancé une stratégie numérique, tout comme l’Etat l’a fait. Sa manière de travailler évolue. Un bureau des projets transversaux y a vu le jour. Les HES aussi travaillent désormais beaucoup mieux ensemble. Les étudiants qui ont une bonne idée, et l’envie de la réaliser, mais n’ont pas encore fait le pas de monter leur entreprise, doivent être soutenus. De ce constat est également né un projet, créé au niveau des HES sous forme pré-incubateur. L’Université a d’ailleurs lancé, il y a quelques années de cela, le Festival d’Innovation Ouverte «Open Geneva», qui permet la rencontre de nombreux acteurs du domaine dans tout le canton. L’Etat soutient cette
initiative porteuse et fédératrice partant du principe que c’est avec ces impulsions que l’intelligence collective se met au service de la société.

Employabilité et formation

L’intelligence artifcielle est aujourd’hui clairement liée avec les questions d’employabilité. Les recrutements en matière de développement informatique sont notamment très compliqués. Les écoles d’ingénieurs et de développeurs ne forment pas assez de spécialistes par rapport à la demande actuelle et cela pourrait pousser certaines entreprises à externaliser certaines de leurs activités vers des contrées plus généreuses en la matière. Cela a été récemment le cas avec une multinationale active dans l’alimentaire sur les bords du Léman vaudois. Genève pourrait connaître le même sort.

Cela témoigne, en tout cas, d’une réalité. Des risques existent de voir partir les entreprises qui ont entamé leur transformation numérique, si elles ne trouvent pas les personnes ressources nécessaires à leur transition. Il faut donc aujourd’hui prendre conscience des besoins d’évolution des formations dans de nombreux domaines et pas uniquement en informatique.

Préparer aux mesures de transition

L’évolution des métiers liée à l’arrivée de l’intelligence artifcielle ne touche pas que les étudiants. Les besoins en formation s’adressent également aux personnes déjà actives dans l’économie. Un effort conséquent doit être fait à leur attention. L’Etat étudie aujourd’hui des mesures pour elles. L’idée est de donner un avantage aux entreprises qui pourraient former des gens dans ces domaines, de leur octroyer du temps, ou de payer des cours, par exemple.

Pour cela, il faut que des budgets soient alloués, que les moyens suivent. Ce sera l’une des actions importantes de l’Etat: identifer les domaines dans lesquels il y aura un impact important de l’IA, et mettre en place un dispositif adéquat qui permette de réorienter les gens impactés. Ce projet est mené au sein de la DGDERI.

Entrepreneuriat

Cette évolution est liée au développement d’une autre notion, celle de l’entrepreneuriat. À travers un cours facultatif mis en place en 2018, l’Etat encourage les jeunes à développer leur créativité. Chargés d’élaborer un projet innovant, les élèves de plusieurs cycles ont ensuite dû le défendre devant un jury prestigieux, composé de hauts représentants de l’Univer-
sité, de la BCGE et de l’EPFL, notamment. Se lancer sur la base d’une idée, prendre des risques, sont des composantes essentielles de l’entrepreneuriat.

Ressources financières

Autre enjeu : trouver des ressources fnancières pour soutenir les projets développés à Genève. Les financements ne manquent pas dans la région et pourtant, les jeunes pousses ont souvent des difficultés à les obtenir. Avec les organismes de soutien financés par l’Etat, la volonté est de soutenir les start-ups dans les diférentes phases de leur développement. La Fondation Genevoise pour l’Innovation Technologique (FONGIT) et l’Office de la Promotion Industrielle (OPI) font partie du dispositif. La première est un incubateur, la seconde, un transformateur et accélérateur de projet.

Identité

Les décisions du quotidien sont prises sur la base d’éléments d’information fables. Il faut pour cela disposer de données de qualité. Aujourd’hui, pour détecter qu’une donnée est personnelle, il faut pouvoir déterminer l’identité de la personne à qui elle appartient. Or, la notion d’identifant est foue. Différentes identités peuvent être utilisées par une personne dans divers domaines. Lorsque l’on navigue sur un réseau social, ce n’est pas la même identité qui est utilisée que lors des interactions avec une banque en ligne, par exemple. Cela induit une complexité, mais aussi des risques. Lorsque certains identifants sont mal protégés, l’intelligence artifcielle permet à des entreprises, notamment les GAFA, de recouper les données et de profler les personnes à leur insu. La protection de la donnée passe donc par une gestion plus cohérente de la notion d’identité.

Projets pilotes

Ce sujet est au cœur des préoccupations de l’Etat. Une nouvelle loi sur la gestion de l’identité électronique va entrer en vigueur et des projets pilotes avec des entreprises locales sont actuellement menés. Il s’agit d’amener une certaine rigueur dans la gestion de cette identité, notamment en passant par des dispositifs qui sont déjà en place au niveau de l’Etat.

Identités physique et électronique

L’Etat est en efet capable aujourd’hui de gérer l’identité physique. Pour se munir d’un passeport, d’une carte d’identité ou d’un permis de conduire, c’est à l’Etat que l’on s’adresse. Il a un savoir-faire dans ce domaine, des procédures et des lois existent, des recours sont possibles. L’Etat dispose d’une infor-
mation fable, protégée. L’objectif est de transposer ces mécanismes dans le domaine électronique et d’améliorer la sécurité au niveau des transactions
numériques et de tout ce qui se passe sur internet. Ces questions de big data et de gestion de l’identité touchent à la sécurité de l’information person-
nelle. Elles rejoignent également les enjeux liés à l’intelligence artifcielle. Aujourd’hui, par manque de cohérence dans le domaine, les outils d’intelligence artificielle qui permettent de profler les utilisateurs à leur insu et d’utiliser leurs données sont relativement efficaces. Par son action, l’Etat souhaite insuffler de la cohérence et répondre à ces enjeux.

Michael Kleiner est délégué au développement économique de la Direction Générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation.

Gianfranco Moi est directeur général adjoint de la Direction Générale des Systèmes d’Information.

Cet article provient des cahiers des AI Expert Days et fait suite à la conférence sur l’IA organisé par la fondation impactIA

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Léo de Riedmatten
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BSc in Computer Science & Artificial Intelligence with Neuroscience from Sussex University, currently a Machine Learning Intern at impactIA in Geneva (CH).