Stars intouchables en danger ! L’économie collaborative n’a pas encore gagné : (

Brice Amram
In French Please
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5 min readMar 11, 2015

Alors que les stars d’une économie qui s’auto-proclame nouvelle semblent inarrêtables et continuent de faire l’admiration du public et des marchés, réalisent-elles seulement qu’elles sont guettées par un scénario retors: se faire rattraper par la réalité économique, tapie dans l’ombre de leur succès, et bien campée sur des décades d’économie de marché ?

Aux Airbnb, Uber, Lending Club et Blablacar de ce monde, champions de l’économie collaborative, de l’UX et, dans votre jeunesse, du ‘growth hacking’ et autres ‘pivots’ liés à l’écoute des utilisateurs: soyez plus que vigilants, et ne laissez pas les expériences simples et belles que vous avez matérialisées dans notre économie devenir fades. Car, tout à votre succès, vous suivez la parfaite trajectoire qui amène au destin d’un eBay, par exemple, si soudainement désenchanté il y a quelques années.
Mais est-il seulement possible de se prémunir, quand on est… trop bon ?

Dessin emprunté à André Da Loba, paru dans The New York Times

Je m’explique.

Après 3 ou 4 expériences sans faille avec Airbnb, ma dernière location se déroulait aussi bien de prime abord: un appartement bien placé dans Barcelone, conforme à la description. A une subtile nuance près. En creusant un peu, le couple amoureux en photo sur le profil airbnb se révèle proposer une trentaine d’appartements similaires en ville, et signe ses longs emails très pro par “BeBarcelona”. Ils proposent tout un lot de services supplémentaires. Devoir payer pour faire livrer de la cuisine locale, quoi de plus normal? Mais on vous propose également de pouvoir libérer l’appartement à 12h plutôt que 10h, moyennant 30€ de frais supplémentaires… Et à quelques heures d’intervalle vous réalisez que les frais de ménage sont exagérés et expliquent en partie la perception d’un tarif avantageux pour la nuit elle-même. En prenant possession des lieux la personne qui vous accueille se révèle sympathique, mais n’a jamais vécu dans le logement.
Envolée la salvatrice et très agréable sensation de simplicité et d’authenticité en logeant chez l’habitant.

Vous rappelez-vous de l’époque où vous avez découvert eBay? Fabuleuses ces enchères entre particuliers… Cette valse de divers objets d’occasion trouvés facilement, ces prix parfois extrêmement intéressants! Les professionnels s’intriguaient puis s’effrayaient. Et puis, la plateforme est devenue une telle force sur le marché que, pour beaucoup de commerçants professionnels, il devenait plus intéressant de l’utiliser que de la considérer comme un concurrent. C’est ainsi que tout en affichant une santé éclatante, ce business s’est progressivement mis à tendre vers un comparateur de prix classique — prix par ailleurs de moins en moins différenciés et en moyenne avantageux, au fur et à mesure que les annonces de particuliers, si recherchées, se noyaient progressivement dans le listing de produits neufs proposés en “achat immédiat” par des “powersellers” de plus en plus fins marketeurs.

eBay créait tellement de valeur*, que se fabriquait en même temps un espace suffisant pour que sa propre marge s’intègre dans la structure de coût d’un commerçant.
* (du moins relativement au status quo du moment)

En acceptant de payer pour l’accès à la plateforme, les professionnels ont repris le contrôle de la majorité de l’offre, qui s’est ainsi banalisée et a rejoint la pratique conventionnelle du marché. Laissant la place à LeBonCoin par exemple, venu quelques années plus tard m’afficher en deux clics la petite annonce que je cherchais: celle que mon voisin a expédié en 4 lignes de texte, et qui me propose plus que 3% de rabais par rapport au prix en magasin.
Voici comment on peut être victime de son succès sans même s’en rendre compte.

Source: ensemble de capture d’écrans emprunté à l’édition web du Nouvel Obs

L’intérêt des nouveaux modèles collaboratifs de l’économie de partage réside bien entendu dans le fait même que ce sont des particuliers qui interagissent, s’entraident et commercent. Les individus partagent des intérêts, des besoins, qui ne sont pas ceux d’une entreprise. En entrant dans l’écosystème, un individu n’amène pas les exigences — notamment financières, de son actionnariat, ses enjeux de politique interne ou ses coûts de structure. Si une portion trop importante de l’activité se professionnalise, l’attractivité d’un service de ce type se réduit d’autant par définition.

Résumons :
1) Si, dans un domaine particulier, je parviens à supprimer le besoin d’intermédiaires professionnels grâce à la collaboration de la multitude, c’est autant de valeur redistribuée à cette multitude.
2) Je réalise cet exploit dans une économie de marché, ouverte et libérée, où offre et demande, mais aussi retour sur capital règnent en maîtres.
3) Les professionnels sont donc libres d’utiliser également mon produit qui est gagnant et très vite, le marché B2B pesant toujours plus lourd que le B2C, il devient financièrement intéressant pour moi de l’adapter à leur usage et de les inciter à venir grossir la communauté et le flux d’affaires.
4) Mon offre se banalise et dans l’économie ma « nouveauté » n’a plus que celle des medias utilisés (web, apps smartphone, etc). Son essence est absorbée par le marché traditionnel, implacable.

Uber est déjà au cœur du fonctionnement de beaucoup de sociétés qui possèdent des flottes de véhicules à rentabiliser, et salarient les chauffeurs. A quand la transformation complète d’Uber en une gigantesque centrale de taxis sans grande particularité, servant les intérêts d’une myriade d’actionnariats divers de par le monde ?
A quand la même évolution chez BlablaCar ?
A quand les banques principales prêteuses sur LendingClub ?

Voilà des intuitions partagées, mais sans connaissance intime de chacune de ces stars du web. Pensez-vous que non seulement le risque existe, mais qu’il est intrinsèque, inhérent au système économique dans lequel, tout innovant que nous soyons, nous entreprenons ?

Ou bien qu’il est possible de rompre le cercle vicieux par la vigilance, par la fidélité à une vision, et surtout peut-être par la défiance envers le “toujours plus” en terme de croissance et de résultats financiers?

Pensez-vous qu’Airbnb va devenir une grosse marketplace de location fadasse ?!

Comment préserver l’essence de l’économie collaborative ?

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