RBE : les greffiers des tribunaux de commerce, premiers remparts de la lutte contre la fraude et le blanchiment de capitaux ?
Six mois après les “Panama Papers”, les récentes révélations liées aux “Paradise Papers” ont remis sur le devant de la scène le coût de la fraude fiscale pour les sociétés occidentales. Par chance, l’arsenal mis à la disposition de la justice française pour lutter contre ces mécanismes sophistiqués d’ampleur internationale vient d’être renforcé. Introduit cet été, le Registre des bénéficiaires effectifs (RBE) impose aux entreprises une plus grande transparence vis-à-vis des organisations financières et des sphères d’influence qui les structurent. Pour que le dispositif atteigne son objectif, il est toutefois primordial de doter les acteurs de la justice, en tête desquels interviennent les greffiers des tribunaux de commerce, des moyens d’agir proactivement, afin de resserrer efficacement l’étau contre les auteurs et complices de fraude, de blanchiment de capitaux, et, in fine, de financement du terrorisme.
De nouvelles obligations pour les entreprises, au service d’une plus grande transparence
Prenons le temps d’un court détour par le contexte juridique nécessaire à une complète compréhension des enjeux attachés au RBE. Tout d’abord, nous nous devons de circonscrire la notion de “bénéficiaire effectif”. Selon la définition donnée par le code monétaire et financier (ou CMF)[1],
le bénéficiaire effectif correspond, pour les sociétés, à toute personne physique qui possède, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote, ou qui exerce un pouvoir de contrôle sur ses organes de gestion, d’administration, de direction ou sur l’assemblée générale de ses associés.
Si aucune personne ne correspond à ces critères, le représentant légal de la société endossera la qualité de bénéficiaire effectif.
Conformément à la directive européenne du 20 mai 2015, l’ordonnance du 1er décembre 2016 introduit en droit français l’obligation, pour les sociétés établies sur le territoire, de produire un document relatif à leurs bénéficiaires effectifs, précisant leur identité et lieu de domicile, ainsi que les modalités du contrôle exercé. Ce même document est ensuite enregistré au sein d’un registre central (le registre des bénéficiaires effectifs), lui-même annexé au Registre du commerce et des Sociétés (RCS). Ce dispositif s’applique désormais à l’ensemble des sociétés au moment de leur immatriculation au RCS, étant précisé que celles immatriculées avant le 1er août dernier (date de parution du décret d’application) ont jusqu’au 1er avril 2018 pour s’y conformer.
Un objectif prioritaire de lutte contre la fraude et le blanchiment de capitaux
Cette nouvelle obligation déclarative relève d’une volonté de renforcer le cadre européen de “prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme”[2].
L’objectif de ce nouveau dispositif est de parvenir à révéler les personnes qui tirent réellement parti des activités ou profits générés par une société, et qui cherchent à masquer leur identité au travers, par exemple, de sociétés-écrans.
Les informations contenues au sein du registre des bénéficiaires effectifs seront mobilisées dans le cadre d’enquêtes ou de contrôles menés par les autorités de police ou de renseignement financier. En outre, le RBE pourra être utilisé par l’administration fiscale afin de lutter contre l’opacité volontaire de certaines structures, telles que des trusts étrangers détenteurs de biens sur le territoire français, des sociétés immobilières ou bien encore, des sociétés-écrans.
Pour les sociétés qui refuseraient de s’y conformer et ignoreraient les demandes de régularisation transmises par le greffier, ce dernier saisira le juge commis à la surveillance du registre, qui pourra à son tour décider de condamner le déclarant défaillant (absence de déclaration ou transmission d’informations fausses, incomplètes ou erronées) à 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.
Le nécessaire renforcement des missions de contrôle du greffier de tribunal de commerce
Le rôle du greffier de tribunal de commerce intervient aux fondements de ce nouvel arsenal judiciaire. Premier interlocuteur des sociétés au moment de leur création, c’est à lui que revient la mission de les accompagner dans l’accomplissement de leurs formalités d’inscription au RCS, comprenant désormais la déclaration de leurs bénéficiaires effectifs. Dans ce cadre, le greffier a été chargé par les pouvoirs publics de la gestion du registre, et se doit de vérifier que les documents transmis sont complets et conformes au droit en vigueur.
Acteur de la transparence économique et financière, le greffier de tribunal de commerce assure aujourd’hui à la justice fiscale et aux autorités de police l’accès à une information authentique et fiable sur les bénéficiaires réels des sociétés.
Son expérience dans l’enregistrement et le contrôle des formalités propres au RCS, et dans la diffusion de l’information financière des entreprises avec Infogreffe, font du greffier l’un des premiers remparts de la lutte contre le blanchiment de capitaux, contre la fraude fiscale et le financement du terrorisme.
Toutefois, les modalités de contrôle dévolues au greffier du tribunal de commerce et portant sur la validité des déclarations transmises par les entreprises restent encore fortement restreintes. Il apparaît alors indispensable, en vue de garantir l’efficience de ce nouveau registre, de conférer à celui qui agit aux fondements de sa constitution, un arsenal d’action à la mesure des enjeux, et de lui offrir la capacité d’agir au plus vite dans le cas où une irrégularité serait détectée pour alerter les autorités compétentes.
Par Bernard Bailet
Président d’Infogreffe
[1] Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015
[2] articles R.561–1 et s.