Les Drones : Nouveaux Conquérants du Ciel

Ou l’histoire de jouets se métamorphosant en outils industriels

Antonin Cobolet
Innovation Galaxy
Published in
9 min readFeb 15, 2017

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Depuis quelques années, les drones envahissent notre ciel !

Profitant de l’arrivée massive des smartphones, ils sont sortis de l’usage militaire qui était le leur pour se retrouver entre les mains du grand public. Certes, celui-ci s’amusait déjà avec des voitures et autres hélicoptères télécommandés depuis un certain nombre d’années. Mais le mot drone n’était pas sur toutes les bouches, la hype pour cette technologie n’avait pas encore commencé.

Forts de leurs capacités à réaliser des prises de vue aériennes, à transporter des charges ainsi qu’à mesurer leur environnement et à s’y déplacer de façon autonome, ces appareils semblent avoir un potentiel phénoménal. Sans étonnement, les constructeurs de drones ne cessent donc d’offrir de nouvelles possibilités d’utilisation à mesure que sont repoussées les limites technologiques de ces engins.

À titre informatif, 80% du marché des drones civils est actuellement concentrée entre les mains de l’activité loisir. Toutefois, il se pourrait que le futur de cette innovation s’écrive plutôt du côté du commerce et de l’industrie que de celui du divertissement. Fait suffisamment rare pour être souligné puisque d’ordinaire, c’est plutôt l’inverse qui se produit dans la Tech ! On peut donc se demander pour quelles raisons le secteur des drones civils pourrait bientôt basculer massivement du BtoC vers le BtoB.

Émergence, Grandeur et Décadence

Lancé par Parrot en 2010, l’AR Drone, le premier drone ludique pilotable par smartphone et tablette, a marqué un tournant dans l’univers de l’aéromodélisme. Accueuilli avec ferveur au CES 2011, il a permis au groupe français de générer près de 23 millions d’euros de revenus et de faire décoller le secteur des drones de loisirs. Ainsi, en 2014, les ventes de drones en France ont passé la barre des 100.000 unités et à peine deux ans plus tard, elles ont presque quadruplé. Loin d’être un fait isolé, un mouvement similaire a été observable dans le reste du monde puisque près d’un million de drones furent vendus en 2015.

Pendant près de cinq années, Parrot régna sans partage sur les drones de loisirs grâce à son AR Drone, puis son Bepop et ses MiniDrones. À sa suite ?Seules quelques entreprises comme l’américain 3D Robotics. Mais, à la mi-2015, l’entreprise chinoise DJI commença à faire progressivement son trou avec son modèle phare nommé Phantom. Dans son sillage, d’autres acteurs chinois à l’appétit bien aiguisé comme Xiaomi, Yuneec ou Hover lui emboîtèrent le pas.

Ensemble, ils déclenchèrent une guerre des prix afin de rogner sur les marges des autres constructeurs et les écarter du marché.

Après avoir atteint un record de 37 euros à l’été 2016, le cours de l’action de Parrot a alors chuté en dessous des 9 euros en ce début de février 2017. En effet, à cause de cette terrible concurrence, ses dernières ventes ont été catastrophiques et ont littéralement plombé ses revenus, le forçant ainsi à annoncer en janvier dernier le licenciement d’un tiers de ses effectifs afin de réorganiser son activité.

Quant à 3D Robotics, bien qu’ayant levé plus de 125 millions de dollars, son activité dans les drones de loisirs a pratiquement été tuée dans l’ œuf. L’entreprise a sorti un modèle du nom de Solo qui, grâce à sa plateforme open source, devait permettre à des développeurs externes de créer quantité d’applications et donc d’usages. Mais minée par les retards de production et les composants défectueux, ainsi que dépassée technologiquement par DJI, les ventes de son drone n’ont jamais décollé. Elle a donc été forcée d’abandonner le marché du divertissement pour se recentrer sur le développement de logiciels.

Ainsi, grâce à cette politique tarifaire agressive, DJI a évincé ses concurrents européens et américains et détient à l’heure actuelle environ 70% de parts de marché dans les drones de loisirs.

Les prix plus attractifs de DJI et de ses copycats, ainsi que son impressionnante avance technologique, peuvent expliquer la concentration si brusque de ce jeune marché. Mais, il est aussi possible que l’engouement de Monsieur et Madame Tout-Le-Monde pour les drones de loisirs ait été surestimé par beaucoup de constructeurs. Une caméra volante ou un petit bolide de course, aussi divertissant soient-ils, ne sauraient devenir des objets de masse présents dans tous les foyers. D’autant que transporter des Lego ou prendre des selfies aériens pour Instagram, cela ne saurait être la rupture tant annoncée ?

Un Nouvel Espoir

Si l’on exclut la capture d’images et la production de vidéos pour les médias et les studios de cinéma, l’activité commerciale et industrielle ne compte à l’heure actuelle que pour 10% du chiffre d’affaires généré par les drones civils. Pourtant, c’est bel et bien cette frange du secteur qui devrait connaître une accélération dans les prochaines années. Elle devrait même atteindre une valeur annuelle de plus de 127 milliards de dollars à l’horizon 2020 !

Ainsi, les constructeurs de drones de loisirs, et surtout ceux qui viennent d’essuyer de cuisants revers sur ce marché, commencent à se tourner vers les professionnels.

Pour Parrot, cela représente déjà près de 13% de son chiffre d’affaires puisque le groupe s’est implanté sur plusieurs marchés BtoB à la suite d’investissements dans des startups. Parmi elles, citons Airinov qui aide les agriculteurs dans la fertilisation des cultures, BioCarbon Engineering Ltd., spécialiste dans les services de reforestation, ou encore Planck Aerosystems Inc. qui propose des solutions de surveillance pour les embarquations maritimes.

De son côté, 3D Robotics s’est associé à Autodesk pour proposer aux secteurs du BTP, des assurances et des Télécoms, une plateforme servant à la modélisation de sites en 3D et à l’analyse de données collectées grâce à des drones. Quant à DJI, il semble vouloir étendre sa domination à d’autres marchés puisque le groupe a multiplié les partenariats avec des entreprises renommées comme Lufthansa, Epson, Leica ainsi que Ford.

Autres signes qui ne trompent pas : à l’instar de l’américain Airware, des startups totalement dédiées au BtoB sont également en train de grossir. Grâce à divers rachats comme celui du français Redbird, cette entreprise devrait bientôt proposer des solutions complètes aux professionnels : de la construction à la mise à disposition de drones, en passant par l’analyse et le traitement de données collectées, ainsi que par l’offre de services de cloud dédiés…

D’ailleurs, il n’y a pas que des startups qui sont en train de prendre le virage des drones professionnels, certains poids lourds de la Tech s’y intéressent aussi de très près.

Intel, le géant des semi-conducteurs, a ainsi sorti un drone nommé Falcon 8+ et a investi 60 millions de dollars dans le constructeur chinois Yuneec. Par ces manœuvres, il peut tester à sa guise sa technologie de vol autonome et de détection d’obstacles nommée RealSense. Nul doute donc que le groupe californien soit pressé de voir décoller ce qu’il appelle la “airborne revolution”, afin que son module devienne une référence pour les drones commerciaux et industriels.

Si les drones professionnels attirent autant de constructeurs, c’est parce que nombre d’applications à haute valeur ajoutée leur tendent les bras dans des secteurs très variés. En effet, les drones présentent d’importants avantages en matière de précision, de commodité et de coûts par rapport aux solutions traditionnelles exploitant des satellites ou des hélicoptères.

Nous devrions donc voir les usages commerciaux et industriels de drones se multiplier dans les prochaines années, et ce faisant, les loisirs être réduit à une forme d’utilisation parmi bien d’autres. Du coup, on peut se demander pourquoi tant de constructeurs ont concentré leurs efforts dans ce qui semble n’être qu’une niche, au lieu de cibler dès le départ les professionnels.

Entre Stratégie de Diffusion et Péché Originel

Dans beaucoup de secteurs de la Tech, les startups bénéficient souvent du vide juridique qui entoure leurs activités. Ainsi, elles peuvent souvent itérer à loisir pour améliorer leurs prototypes. Les BlaBlaCar, AirBnB, Kickstarter et autres entreprises de l’économie collaborative en sont d’ailleurs des exemples parfaits. Certes, une fois que leurs services représentent un vrai manque à gagner pour les corporations de l’ancienne économie ou pour le Trésor public, ce vide juridique est rapidement comblé.

Néanmoins, cette possibilité d’expérimenter de nouvelles idées sans avoir besoin de la bénédiction des régulateurs est un immense atout pour qu’une innovation rencontre rapidement son public et soit adoptée.

Dans la plupart des pays du monde, les drones n’ont pas spécialement fait l’objet de ces lois prohibitives qui peuvent parfois venir détruire de jeunes industries. Mais jusqu’à très récemment, ils tombaient quand même sous les régulations qui définissent les usages de l’espace aérien, sans pour autant qu’une place leur soit explicitement attribuée.

D’une part, les drones devaient à priori respecter diverses restrictions en matière de poids, de zones de vol ou d’altitude maximale, ainsi que des obligations comme le maintien de la vision du pilote sur son appareil. D’autre part, les systèmes administratifs étaient insuffisamment préparés à délivrer en nombre conséquent les immatriculations, certificats d’aptitude, formations et autorisations de vols afin que les professionnels puissent passer outre ces réglementations normalement destinées aux particuliers.

Par conséquent, l’utilisation massive de drones commerciaux et industriels ne pouvait se faire tant qu’un cadre réglementaire approprié n’était mis en place.

En revenant sept ans en arrière, force est de constater que les constructeurs de drones avaient donc une marge de manœuvre assez limitée. Il disposait d’une technologie répondant à de vrais problèmes pour les professionnels, mais qui ne pouvait avoir suffisamment de clients à cause de l’inadéquation de la réglementation. De plus, l’incertitude quant à la création de lois favorables à la croissance du secteur, rendait les investissements assez hasardeux. Ainsi, la seule opportunité qui s’ouvrait aux constructeurs était celles des petits drones de loisirs.

Si aujourd’hui, il est aisé de dire que beaucoup d’entreprises ont fait fausse route en se positionnant sur ce marché, on peut cependant leur trouver des circonstances atténuantes.

Tout d’abord, d’un hobby exercé par quelques passionnés, l’aéromodélisme est tout de même devenu un loisir pratiqué par plusieurs millions de personnes en quelques années. Ainsi, le succès initial de Parrot a peut-être été une suprise qui a leurré certaines entreprises, à commencer par Parrot lui-même.

La presse et les médias ont aussi participé à cet intérêt excessif pour les drones de loisirs. En effet, depuis 2011, pas un jour ne passe sans qu’un article ou un reportage ne porte sur les drones. Et comme les premiers drones étaient des drones de loisirs, la presse les a élevés au même niveau que des innovations de ruptures avérées.

Les investisseurs aussi ont probablement joué un rôle dans ce trop grand engouement pour les drones de loisirs. Dans un contexte d’euphorie généralisée vis-à-vis du digital et de la Tech, ils ont probablement injectés des montants trop élevés lors des levées de fonds des jeunes constructeurs. Saisis de peur à l’idée de louper la prochaine startup qui cartonnera ou dans le jargon de “Fear Of Missing Out”, ils ont créé une mini-bulle spéculative.

Aujourd’hui, cette bulle des drones de loisirs est en train de se dégonfler et le marché s’assainit petit à petit, en laissant DJI comme le “winner that took it all”. De plus, un cadre législatif entourant spécifiquement les utilisations des drones est en train de voir le jour dans de nombreux pays, à commencer par la France et les Etats-Unis. L’horizon pour les drones professionnels est donc en train de se dégager. Cependant, il est possible que ce changement des réglementations n’ait été permis si rapidement que grâce à la montée des drones de loisirs. Comparées aux évolutions technologiques des drones, celles des lois peuvent sembler bien lentes, mais, qui sait combien de temps il aurait fallu attendre si les drones dédiés au divertissement n’avaient pas existé ?

Du drone qui a survolé l’Elysée à ceux qui ont illuminé le ciel lors du SuperBowl 2017, tous ces petits engins ont été de grands ambassadeurs pour la prise en considération par les autorités de cette technologie émergente. D’ailleurs, s’il est commun de chercher des “early adopters” afin de promouvoir une innovation, l’exemple des drones peut nous amener une réflexion nouvelle. En effet, il n’est pas nécessaire que les premiers utilisateurs fassent partie d’un marché extrêmement prometteur. Il suffit juste qu’ils soient assez nombreux pour faire parler de l’innovation en question, par l’admiration comme par la transgression !

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