Les Chatbots : Fossoyeurs du Web 3.0

Ou comment les cartes d’Internet vont à nouveau être rebattues

Antonin Cobolet
Innovation Galaxy

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S’il y a bien une innovation qui fait parler d’elle ces derniers temps, c’est bien les chatbots !

Grâce aux progrès réalisés dans le domaine du traitement du langage naturel, ces programmes se sont totalement défaits de l’image “has been” qu’ils véhiculaient. Fini l’époque des réponses stéréotypées de Clippy, le petit trombone assistant de la suite Office du début des années 2000. Les chatbots sont maintenant capables de comprendre des propos complexes, de fournir des réponses appropriées et surtout de s’améliorer au fur et à mesure qu’ils sont utilisés.

Le vrai point fort de ces agents conversationnels, c’est d’être capable de faire feu de tout bois, ou plutôt de toute plateforme dotée d’une interface de commande et d’un système de synthèse du langage. Ainsi, ils tirent brillament parti de la multiplication du nombre d’appareils informatiques, de l’amélioration de l’accès à Internet et de l’émergence de services messageries instantanées connectant plusieurs centaines de millions de personnes.

En avril 2016, Facebook annoncait l’intégration à Messenger d’une API dédiée aux développements de chatbots par des tiers. En novembre de la même année, ils étaient déjà plus de 34.000 à être apparus sur la messagerie. A titre de comparaison, Apple ne pouvait compter que sur un catalogue de 15.000 applications mobile, six mois après le lancement de l’iOS App Store. Devant l’ampleur de cette croissance, on peut donc se demander si les chatbots ne sont pas sur le point de transformer à leur tour le modèle sur lequel repose le Web.

D’un Web à un autre

Souvent confondu avec Internet du fait de son impact déterminant dans l’expansion de cette technologie, le Web n’en est pourtant que l’une de ses composantes. Sa nature, sa structure et son utilisation ont beaucoup évolué depuis son apparition. Transformant les pratiques commerciales et sociales des utilisateurs et faisant émerger et disparaître quantité d’entreprises.

Apparu au début des années 90 sous l’impulsion de Tim Berners Lee et de Robert Cailliau, le Web 1.0 permettait simplement de consulter les pages de sites grâce à un système de liens hypertexte. Ce web peut être qualifié de statique puisqu’il reposait avant tout sur une transmission descendante de l’information. Les sites de cette époque étaient surtout des vitrines avec lesquels les utilisateurs ne pouvaient généralement pas interagir.

Ainsi, les principaux enjeux de ce web résidaient dans le contrôle des logiciels d’accès et dans l’indexation des pages de sites internet.

On vit ainsi s’opposer Netscape Navigator et Internet Explorer sur le terrain des navigateurs web, ainsi que Yahoo, Altavista et Google sur celui des annuaires de sites. Quant aux fournisseurs d’accès comme AOL, ils avaient tendance à vouloir limiter les interactions avec le Web puisqu’ils essayaient de retenir les utilisateurs sur leurs propres portails Internet. En parallèle, le commerce en ligne connaissait ses premiers frémissements avec l’apparition d’Ebay ou encore d’Amazon.

Dans les années 2000, c’est le Web 2.0 qui prit forme petit à petit de par les évolutions qui ont touché les modes d’utilisation des sites et la transmission de l’information. Ce web se voulait résolument social puisqu’il reposait avant tout sur l’échange d’informations et le partage de contenus entre les utilisateurs.

Cette période marqua donc le glas des portails Internet mais aussi l’avénement de réseaux sociaux comme MySpace, Facebook ou Twitter. Une multitude de plateformes vit le jour pour permettre aux particuliers de créer leur propre blog à l’instar de WordPress et Blogger, mais aussi de partager du contenu à l’image de Wikipedia, Youtube ou Dailymotion. Les sites de e-commerce permirent de plus en plus aux clients de commenter et d’évaluer leurs achats et de nombreux comparateurs tels que TripAdvisor ou Yelp firent leur apparition.

Cependant, depuis une dizaine d’années, nous avons assisté à une diversification des supports informatiques, de leurs systèmes d’exploitation et du matériel qu’ils embarquent.

Internet est rentré dans une ère de mobilité et le Web 3.0 a pris place. Ce web est basé sur la sémantique puisque l’information prend désormais de la valeur lorsqu’elle est délivrée au bon endroit, au bon moment. Alors que le contenu des sites change en permanence et que les données générées ne cessent de s’accroitre, les utilisateurs recherchent avant tout une expérience réussie. Ils se sont donc mis à utiliser le web de moins en moins directement, préférant les applications mobiles à la navigation. Ainsi, les stores d’applications d’Apple, de Google et de Microsoft sont devenus les pierres angulaires de ce nouveau web.

L’architecture du web a aussi été bouleversée avec la montée du Cloud orchestrée par les Amazon, IBM, Microsoft et autres OVH. Grâce à cette technologie, ceux sont les SaaS qui se sont développés au détriment des logiciels bureautiques.

Cela a rendu le web ubiquitaire en permettant la connexion des différents supports et applications via des interfaces simplifiées.

En outre, l’augmentation fulgurante du nombre d’internautes a fait connaître un essor sans précédent aux plateformes de mise en relation telles que Blablacar, Airbnb, Meetic ou Kickstarter. Ces entreprises promouvant souvent dans leur sillage les valeurs d’une économie se voulant participative, collaborative et solidaire. Ainsi, elles ont vite gagné le cœur d’utilisateurs souhaitant arrondir leurs fins de mois ou étant en quête de projets porteurs de sens. Mais alors que le Web 3.0 semble maintenant bien ancré, une nouvelle tendance commence à émerger et elle pourrait bientôt le supplanter.

Chronique d’une mort annoncée

Au cours de ces presque trente ans d’existence, le Web a su apporter des réponses à chacun des problèmes auxquels il a été confronté. La lenteur du Web 1.0, son manque d’interaction avec les utilisateurs et sa faible rentabilité pour les sites et programmes dédiés ont progressivement été résorbés grâce à l’amélioration du débit Internet. L’infobésité et la contextualisation restreinte du Web 2.0 ont quant à elles trouvé leur salut dans l’arrivée des appareils mobiles, ainsi que dans les pratiques de curation, d’organisation et de simplification des contenus.

Le Web 3.0 qui lui a succédé, s’est heurté à son tour à de nombreuses difficultés notamment en matière de combinaison de faits rationnels et vérifiables, avec des éléments émotionnels ou sujets à appréciation. En atteste, les nombreuses fake news qui ont récemment été considérées comme du contenu pertinent par les algorithmes de certaines plateformes phares. En outre, ce Web peine toujours à délivrer avec rapidité des informations dépendantes de multiples critères et qui soient vraiment pertinentes par rapport aux besoins des utilisateurs.

C’est donc ici que les chatbots viennent à sa rescousse.

En étant créé pour ne pas posséder de biais, ils peuvent lutter efficacement contre des rumeurs ou des incompréhensions. Ils peuvent ainsi clarifier des faits, en indiquer leurs sources et leur fiabilité, ou bien apporter des compléments d’informations pour replacer un propos dans son véritable contexte. En effet, les chatbots peuvent parcourir automatiquement le web et reconnaître des patterns dans le corps d’un texte.

Par ailleurs, les chatbots sont sensiblement plus rapides que les sites web et les applications mobiles. Pour charger un site, cela prend souvent plusieurs secondes, voire même quelques minutes. Quant aux applications mobiles, elles nécessitent un téléchargement ainsi que des mises à jours, ce qui requiert encore une fois du temps et occupe de la place sur les appareils. Et dans les deux cas, les utilisateurs doivent souvent s’inscrire puis se connecter avant de pouvoir accéder au service. A contrario, les chatbots sont disponibles instantanément et élimine ces frictions.

Pour obtenir une information issue d’un diagnostic ou bien d’un raisonnement complexe, c’est souvent la croix et la bannière pour les utilisateurs. Ils doivent parcourir plusieurs sites en espérant que leur question ait déjà été posée, que quelqu’un y ait répondu et que cette réponse soit fiable. Et lorsque ce n’est pas le cas, ils doivent poser cette question eux-mêmes en espérant obtenir une réponse appropriée à leur problème dans un délai raisonnable. Alors qu’en adressant une requête à un chatbot spécialisé, l’information arrive de façon personnalisée en l’espace de quelques secondes.

Certes, les chatbots ont encore des progrès à faire pour répondre efficacement aux questions qui leur sont posées. De plus, certains sites web et applications vont certainement survivre car ils possèdent une excellente ergonomie et apportent une expérience difficilement transposable dans un chatbot. Néanmoins, tant d’autres ne sont jamais utilisés à moins qu’ils n’apparaissent sur un écran d’accueuil, une barre de favoris ou bien la première page d’un moteur de recherche. La faute à une organisation en silo qui est imposée aux utilisateurs et qui restreint la fluidité des interactions.

Or, s’il y a bien une leçon à retenir de l’évolution du Web, c’est bien que le contenu est roi, pas le contenant. Ainsi, les chatbots étant plus pratiques et plus simples pour les utilisateurs, il y a fort à parier qu’ils deviennent le contenant phare du Web 4.0 et que les entreprises qui sont à la tête des plateformes qui permettent d’y accéder deviennent les nouveaux maîtres d’Internet. Est-ce que cela sera Facebook avec Messenger ? Amazon avec son Amazon Echo et sa Alexa ? Google avec son Google Home et son Assistant ? Ou bien le chinois Tencent et sa messagerie WeChat ? A moins que Microsoft soit de retour avec Cortana et Skype ? Seul l’avenir nous le dira…

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