Les Robots : Accomplissement de la Révolution Industrielle

Ou comment une technologie orientée-tâches doit devenir un instrument créateur d’expériences

Antonin Cobolet
Innovation Galaxy

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Après soixante années passées dans les usines, les robots sont enfin sur le point de conquérir le monde !

Profitant de l’amélioration phénoménale et de la chute des prix des capteurs et des microprocesseurs, leurs capacités à traiter des informations et à reconnaître l’environnement qui les entoure se sont fortement développées. Ils cessent progressivement d’être des automates “simples” et deviennent des robots “intelligents”. Ce changement n’est pas anodin, il traduit le fait qu’ils sont dorénavant capables d’évoluer au contact des humains et donc de collaborer avec nous.

Ces nouveaux robots appelés “cobots”, possèdent un formidable potentiel. En plus de pouvoir partager en toute sécurité un espace avec des humains, ils s’adaptent très habilement aux personnes qu’ils assistent. Leur ergonomie est donc mûrement réfléchie en fonction des tâches auxquelles ils sont destinés, ce qui fait qu’ils ont les moyens d’être radicalement centré-utilisateur.

A l’horizon 2019, notre monde pourrait compter près de 2 millions de robots industriels, 31 millions de robots ménagers et 11 millions de robots sociaux. Cette technologie semble donc promise à un véritable décollage et les transformations qui seront amenées par sa diffusion seront innombrables. Compte tenu du caractère éminemment disruptif que pourraient revêtir ces changements, on peut s’interroger sur les éléments qui font que les robots sont les dignes héritiers de la Révolution Industrielle et pourraient ainsi être la clé de voûte de l’une de ses nouvelles vagues.

Essor des Machines et Automatisation du Travail

Dès le XVIe siècle, on peut retrouver les traces en Europe d’une organisation du travail visant au développement d’une production manufacturée intensive. Dans cette période proto-industrielle, diverses machines étaient déjà utilisées dans les ateliers de production. Toutefois, elles nécessitaient une intervention humaine pour fonctionner, aussi, la division du travail se limitait aux agriculteurs et artisans. Les premiers se chargeaient de récolter les matières premières nécessaires aux activités de confection et les seconds avaient une maîtrise totale du reste du processus. Pour filer de la laine, un artisan du textile pouvaient par exemple se servir d’un rouet, mais cette machine ne demeurait qu’une extension inerte de ce travailleur.

Lui seul avait donc le savoir et l’habilité requise pour confectionner un produit de A à Z.

L’invention de la machine à vapeur et les évolutions successives qu’elle a connues sont à l’origine de la Révolution Industrielle et de l’amorçage de l’automatisation du travail. Alors que filer un ballot de laine pouvait prendre une demi-journée à un artisan, les machines pouvaient dorénavant le faire bien plus rapidement et sans intervention humaine. Elles avaient donc le potentiel d’augmenter considérablement les quantités produites, à condition que les tâches ne leur étant pas déléguées gagnent autant en productivité. Un artisan seul ne pouvant tirer parti efficacement de ces améliorations, le processus de production s’est ouvert à la segmentation et à la spécialisation.

Autrefois sous le contrôle d’une seule et même personne, le travail s’est divisé entre de multiples travailleurs et machines, répartis entre plusieurs usines.

Aux XIXe et XXe siècles, de nouvelles machines furent mises au point et des méthodes d’organisation du travail assurant de meilleurs rendements furent également développées. Les humains devinrent des outils au sein de systèmes dépassant largement leur propre travail. Les activités de production ayant gagné en complexité, les managers firent leur apparition afin de s’assurer de leur bon déroulement et de s’occuper de la coordination entre les différents agents. Par la suite, le développement de l’électronique et de l’informatique renforça l’importance de ce métier. Mais dans le même temps, il cantonna les autres travailleurs à ne réaliser que des tâches contextuelles et non-répétitives, ou bien à n’être que des techniciens prévenant et réparant les problèmes. Cela contribua donc à réduire une fois encore l’utilisation de travailleurs dans la production de biens et provoqua ainsi leur déplacement vers la production de services.

Requiem pour les Entreprises Technologiques

En 2001, Serge Tchuruk, le PDG d’Alcatel déclarait : “nous souhaitons être une entreprise sans usine”. Un propos pour le moins étrange pour une entreprise industrielle produisant des biens technologiques. Six ans plus tard, c’est Apple Computer, Inc. qui supprimait de son nom la particule “Computer” pour devenir Apple Inc. Alors que l’ancien fleuron français est aujourd’hui passé sous la houlette du finlandais Nokia, le géant californien a justement évincé ce même Nokia du marché des téléphones portables et est assis sur un trésor à faire pâlir d’envie plus d’un gouvernement. Ces deux entreprises technologiques ont connu des fortunes diamétralement opposées, toutefois, l’esprit de leurs stratégies à l’aube du XXIe siècle était pourtant similaire.

S’appuyer sur la technologie pour conjuguer produits et services afin de proposer des expériences aux utilisateurs.

La production industrielle étant de plus en plus automatisée, la technologie devient progressivement une affaire d’usage plutôt que de produit. A moins d’accepter de figurer en amont de la chaîne de valeur, donc de réaliser de lourds investissement et de faibles marges, la maîtrise des contenus et de l’expérience utilisateur est devenu indispensable pour prospérer. Si la stratégie du fabless d’Alcatel était rétrospectivement une erreur, celle du hub numérique d’Apple a été un succès sur tous les plans. Les diverses plateformes de l’entreprise augmentaient l’attractivité des appareils informatiques vendus, et inversement.

En abaissant les coûts de production, les machines ont donc transformé la technologie en commodité. Toujours indispensable quand il s’agit de générer des innovations de rupture ou de s’en protéger, mais inutile si elle se retrouve isolée.

Kodak et Blackberry ont d’ailleurs appris cette leçon à leurs dépens. La culture de ces deux entreprises technologiques était trop centrée sur leurs produits. Elles se concentraient sur leur amélioration pour les rendre plus perfomants ou les doter de nouvelles fonctionnalités afin de satisfaire leurs clients les plus expérimentés. Mais ce faisant, elles ont négligé la mission que ces produits servaient auprès des autres utilisateurs, pourtant plus nombreux. Ces derniers ne cherchaient pas à faire les meilleurs films possibles, ni à posséder un appareil au système d’exploitation ultra sécurisé. Ils souhaitaient juste capturer les meilleurs moments de leur vie, ainsi que téléphoner et naviguer sur Internet via une interface simple et intuitive. Pour survivre et se développer, les entreprises technologiques doivent se positionner sur des secteurs qui permettent de transformer leurs technologies en vecteur d’expérience.

La Robotique face à son Destin

Avec l’arrivée des robots, la Révolution industrielle est sur le point de compléter la boucle qu’elle a initiée il y a plus de deux cent cinquante ans. Elle a d’abord retiré aux artisans la maîtrise complète des processus de production en répartissant le travail entre des machines et des ouvriers spécialisés mais moins qualifiés. Avec le temps, les machines sont devenus si efficaces qu’elles ont été capables de produire des biens standardisés toutes seules, avec juste quelques travailleurs humains pour les superviser à distance. Et aujourd’hui, l’avènement des cobots va permettre aux machines de retourner entre les mains des humains pour effectuer les tâches sur-mesure auxquelles elles étaient encore écartées.

Elles vont donc reprendre leur statut initial d’extension du travailleur, mais cette fois-ci, elles ne seront plus inanimées et surtout elles détiendront à terme l’entière maîtrise de la production.

Toutefois, il est difficile de dire qu’elles seront les entreprises qui surferont le mieux sur cette nouvelle vague d’industrialisation. En effet, le secteur de la robotique a la particularité d’être essentiellement composé de firmes technologiques dont les produits sont dédiés à des tâches. On en trouve certaines qui produisent des bras articulés destinés à jouer le rôle d’assistants dans l’industrie, l’artisanat ou le monde médical. D’autres développent des robots à roulettes opérant pour réaliser des corvées comme le nettoyage ou le transport de charges. Tandis que d’autres mettent au point des robots sociaux ayant une apparence humanoïde et étant conçus pour rentrer en contact avec des humains.

Les robots actuels sont donc intrinsèquement porteurs de valeur, mais pas d’expérience.

Ainsi, ces machines au combien performantes ne sont qu’à moitié pensées pour des usages. Elles ne sont pas intégrées dès l’origine à un système qui les combine à des services pour offrir une solution globale. Dans le cas du milieu hospitalier, on trouve des robots servant aux opérations chirurgicales, d’autres qui portent des médicaments et d’autres encore qui servent à accueillir les visiteurs. Diverses synergies sont envisageables entre ces robots et ils servent tous dans un même objectif : délivrer la meilleure expérience de soin possible. Il est donc clair que cette technologie intègre le cœur de métier de la médecine hospitalière. Pourtant, ces différents robots sont tous produits par des entreprises différentes et les systèmes qui leur permettent d’opérer sont aussi le fruit d’autres entreprises. C’est donc peut être cela qui manque aux robots pour devenir la rupture tant attendue. Qu’ils ne soient plus en tant que technologie la raison d’être des entreprises de ce secteur, mais deviennent un moyen au sein d’une vision de ce que serait un monde de robots.

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