L’Intelligence Artificielle : Futur Paradigme des Organisations

Ou comment management et stratégie vont devoir se réinventer

Antonin Cobolet
Innovation Galaxy

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Autrefois simple objet de recherche fondamentale ou de science-fiction, l’intelligence artificielle devrait bientôt se mettre à réfléchir à nos côtés.

L’augmentation continue de la puissance de calcul des appareils informatiques, et la croissance exponentielle des données générées par l’ensemble de l’humanité, ont donné à cette technologie le moteur et le carburant nécessaire à son décollage. En effet, ces deux tendances ont remis au goût du jour le Deep Learning, une approche permettant à un système d’apprendre par lui-même des tâches complexes et donc difficilement programmables de bout en bout. Ainsi, en s’appuyant sur cette méthode, les chercheurs ont finalement doté les machines de fonctions cognitives similaires à celles du cerveau humain.

En réussissant à imiter nos capacités de perception et de raisonnement, l’intelligence artificielle va permettre aux voitures, aux drones et aux robots de reconnaître l’environnement qui les entoure, de comprendre les relations entre les éléments qui le composent, et même d’anticiper leurs mouvements avant qu’ils ne se produisent. C’est elle aussi qui va rendre les chatbots capables de comprendre le langage naturel et de réagir de façon contextuelle en répondant précisément à une requête ou en effectuant avec exactitude une opération.

Avec cette déferlante d’innovations, il est certain que l’intelligence artificielle va impacter chacune des strates hiérarchiques de l’entreprise moderne, de l’opérationnel jusqu’à la gouvernance. Mais pour faire face à l’émergence de ce nouveau paradigme, on peut se demander comment les organisations vont-elles repenser leur fonctionnement et faire évoluer leurs modes de conduite d’actions collectives.

Histoire de la Gestion des Organisations

Dès l’apparition des premières civilisations, les hommes ont cherché à organiser leurs activités de production et de commerce pour en accroître la rentabilité. Mais ce n’est qu’après le début de la Révolution Industrielle, avec la complexification de ces activités, que la gestion est devenue une science à part entière. Le travail s’étant divisé entre humains et machines au sein de systèmes vastes et complexes, l’amélioration de la productivité devint une priorité pour les entreprises. Au début du XXe siècle, Frederick Taylor mit ainsi au point une méthode qui devint une référence : l’organisation scientifique du travail. Elle reposait sur la décomposition des tâches en gestes élémentaires, sur leur chronométrage et sur leur organisation de façon rationnelle afin de former une chaîne de production efficace.

A la division horizontale du travail en tâches spécifiques, s’ajouta ainsi une division verticale entre exécutants, managers et dirigeants.

Quelques années plus tard, en s’appuyant sur cette nouvelle forme de répartition du travail, c’est Henri Fayol qui bâtit une doctrine globale quant à la façon dont les entreprises devaient s’organiser pour prospérer. Selon lui, elles devaient s’articuler autour de six fonctions essentielles : la technique, le commercial, le financier, la comptabilité, la sécurité et surtout l’administration. Cette dernière avait pour Fayol un caractère transverse et devait incomber exclusivement aux cadres et à la direction. Il avançait notamment que la qualité de cette fonction comptait tout autant dans la réussite d’une société que les quantités produites.

Ainsi, il formalisa des concepts clés du management tels que la prévision, l’organisation, la coordination, le contrôle et le commandement.

Au cours des Trente Glorieuses, c’est Peter Drucker qui, entre autres, développa la pensée managériale en s’intéressant notamment à l’aspect stratégique. Il prôna ainsi le développement de façon systématique du marketing et de l’innovation, sources uniques selon lui de revenus pour les entreprises. En outre, il amena l’idée que les compétences des travailleurs sont les ressources les plus importantes des entreprises et qu’il convient de les mobiliser et de les stimuler de façon adéquate afin d’en saisir tout le potentiel. Par conséquent, il ventait les vertus de la direction par objectifs plutôt que par assignation de tâches, ceci afin de motiver les collaborateurs à s’investir dans leur travail et à exprimer leur créativité.

Surtout, il insista sur la nécessité d’anticiper le changement et d’adopter une organisation décentralisée, afin de concevoir les bouleversements comme des opportunités et d’être capable d’en tirer parti efficacement.

A partir des années 80, le management stratégique s’enrichit grâce à une plus grande prise en compte de l’environnement des entreprises dans la construction de leur organisation. Henry Mintzberg, l’un des principaux penseurs de ce courant, affirma ainsi qu’il n’existe pas de structure universelle s’adaptant à n’importe quelle situation. Pour lui, c’était aux stratèges de définir le système interne de l’entreprise selon des éléments externes, et de le faire évoluer en conséquence. Michael Porter modélisa de son côté le positionnement de l’entreprise sur son marché, à travers l’influence de cinq facteurs liés aux concurrents, aux clients, aux fournisseurs, aux barrières à l’entrée, ainsi qu’à la propension de ses produits à être substitués.

La réponse à ces différentes forces de pression passant par le déploiement et la maîtrise d’une chaîne valeur et d’un business model propre à l’entreprise.

Dans le même esprit de prise en compte de l’environnement extérieur, Clayton Christensen soutint que pour survivre, une entreprise doit savoir jongler entre innovations de rupture, innovations incrémentales et innovations d’efficience. En somme, trouver un équilibre entre la recherche de nouveaux relais de croissance, le développement d’améliorations permettant de se différencier et la mise en place de structures réduisant les coûts et libérant des ressources afin de pouvoir redémarrer un nouveau cycle. Pour Christensen, il revient donc aux dirigeants et aux managers d’interpréter les tendances technologiques et l’environnement concurrentiel de l’entreprise, afin de distinguer les disruptions potentielles et d’élaborer des stratégies d’offensive ou de riposte.

Ainsi, ces différents théoriciens de la gestion ont mis en avant une certaine approche de l’organisation, ainsi que différentes visions de l’homme au sein de l’entreprise. Mais avec l’avènement de l’intelligence artificielle, les travailleurs humains vont progressivement être augmentés ou bien remplacés, aussi, un nouveau schéma organisationnel devrait de nouveau émerger.

De la transformation numérique à la métamorphose intelligente

Depuis le début du XXIe siècle, les économies des pays développés ont progressivement basculé dans l’ère numérique. La pénétration croissante des technologies liés à Internet a entraîné l’apparition de services plus personnalisés, plus collaboratifs ou simplement plus pratiques. Cela a donné naissance à de nouveaux modèles économiques qui ont bouleversé la plupart des secteurs d’activité. En effet, de nouveaux acteurs proposant des produits résolument numériques se sont placés en amont des chaînes de valeur et ont ainsi capté des parts conséquentes de la demande de nombreux marchés.

Les entreprises traditionnelles qui ne se sont pas faites complétement disruptées ont donc compris que le numérique était devenu un enjeu stratégique crucial. Elles sont donc nombreuses à avoir saisi la nécessité de l’utiliser pour faciliter leurs interactions, optimiser leurs processus de production et soutenir leur prise de décision. Elles se sont donc fixées comme objectif de transformer leur organisation et leurs produits, avant qu’un nouvel entrant s’empare de la valeur de leur secteur et donc qu’il soit trop tard pour ne pas disparaître.

Aujourd’hui, le modèle de l’organisation flexible, réactive, agile, développant des produits de qualité et étant à l’écoute de ses utilisateurs fait donc consensus.

Mais avec l’intelligence artificielle une nouvelle phase de bouleversements va s’amorcer. Si le numérique a réorienté les flux et les relations entre les acteurs qui gravitent autour des organisations, l’intelligence artificielle, elle, va les restructurer en profondeur. Comme nous l’avons expliqué, le traitement de masses de données en temps réel et la réalisation de millions d’opérations en simultané vont permettre l’essor de la Robotique et du Big Data. Ces deux ensembles d’applications vont être la source d’un accroissement exponentiel des ruptures, ce qui va changer encore plus la vision des entreprises de leur environnement interne et externe.

Concernant l’environnement externe, il est probable que le niveau d’exigence des clients va continuer de s’accroître et de s’attacher à des valeurs différentes de celles d’autrefois. De nouveaux entrants n’hésiteront sans doute pas à tester la résilience ou la léthargie d’anciens acteurs afin de devenir les leaders de demain à leur place. Sur le plan de l’environnement interne, le niveau général de compétence des collaborateurs s’élèvera, les silos disparaîtront pour laisser place à des projets plus transverses et les équipes deviendront plus multiculturelles et évolueront plus régulièrement à distance. De nouveaux métiers émergeront pour inventer, développer et diffuser les produits et services liés à l’intelligence artificielle. Ils seront donc extrêmement prisés par les entreprises, de même que les personnes créatives, dôtées d’un bon esprit critique et d’un sens aigu de la collaboration.

Les organisations devront donc encore plus chercher à comprendre les besoins et les attentes de leurs clients, mais aussi de leurs collaborateurs, ainsi que des talents qu’elles souhaiteront attirer.

Se mettre à la place du client en considérant ses problèmes et ses envies pour développer un produit ou un service, c’est peu ou prou la logique sous-jacente du Design Thinking. Hors, cette méthode est devenue particulièrement populaire ces dernières années chez les entreprises traditionnelles en pleine transformation numérique. Grâce à cette adoption, les cultures de “push product” et de “market pull” qui prédominaient sont en train de laisser place petit à petit à une culture de l’expérience et de la co-construction.

En revanche, en matière de considération des employés actuels et potentiels, les entreprises traditionnelles accusent encore du retard. Néanmoins, elles pourraient adapter le Design Thinking à ce domaine en appliquant la notion qui est au cœur de cette démarche : l’empathie. En tant que déclinaison relationnelle de l’intelligence, elle pourrait devenir la clé de voûte du management et de la stratégie des entreprises. Et oui, l’intelligence n’est pas simplement une affaire de connaissance ou de découverte des bonnes solutions d’un problème.

C’est aussi savoir se poser les bonnes questions et se mettre à la place des autres pour comprendre leurs souffrances, leurs intérêts, leur fonctionnement ou leurs valeurs.

Les entreprises pourraient ainsi chercher à cerner les problèmes ou les intérêts de leurs collaborateurs et des talents qu’ils convoitent. Puis, mettre en place des process pour générer et développer des idées visant à améliorer les situations sous-optimales identifiées. Pour enfin prototyper et tester les solutions sélectionnées, en recueillant du feed-back auprès de ces personnes. En somme, à l’heure de l’intelligence artificielle, les organisations pourraient donner plus de sens au travail humain à travers un management basé sur l’écoute, la considération et la remise en question.

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