La Transformation Digitale doit-elle mourir ?

Nicolas ANDRE
InTech / Innovation & Development
16 min readApr 11, 2018

Ou l’épitaphe d’une tendance surévaluée

Ecrire sur la transformation digitale, cela peut sembler d’une remarquable banalité. Tout le monde, de près ou de loin, en observe les symptômes depuis déjà bien longtemps. Nul ne saurait remettre en question son existence. Que celui qui n’a jamais envoyé un mail me jette la première pierre.

La transformation digitale est là, parmi nous, et nombreux sont ceux à l’avoir déjà décrite sous toutes ses formes.

Pourtant, vouloir déchiffrer, analyser, interpréter ou comprendre l’évolution du monde de l’entreprise en se cantonnant à cette seule grille de lecture, à la seule lumière du concept de transformation digitale, c’est faire preuve, sinon de naïveté, d’un peu de mauvaise foi.

Alors pourquoi s’y risquer, pourquoi vouloir l’expliciter, la disséquer une fois de plus ? Disons-le une fois pour toutes, pour l’enterrer, et en identifier les successeurs.

L’homme n’est pas aventureux par nature.

L’homme commun se complait dans la reconnaissance de ses pairs, il aime les chemins balisés, il y voit le visage rassurant de la conformité.

C’est ce qu’est la « transformation digitale ».

Elle est un nom donné à une tendance devenue si vague, si fédératrice, qu’elle accepte d’être vidée de son sens.

Si elle a pu le faire croire un jour, elle n’est plus aujourd’hui la représentante d’un quelconque renouveau. Se revendiquer de la « transformation digitale », c’est assumer son âge, comme cet oncle qui pour paraître jeune, use d’un langage qu’il ne maîtrise pas et fait l’aveux honteux de son vocabulaire daté.

Soyons rigoureux et décomposons l’expression consacrée.

La « transformation », par définition, se doit être la description d’un état transitoire, le passage d’un système dans un état donné à quelque chose de différent, de nouveaux, et de préférence, de mieux. En d’autres termes, par nature, elle est temporaire, vouée à disparaître.

Cette transformation se veut par ailleurs « digitale ». Synonyme de « numérique ». On parle donc de l’utilisation d’outils numériques.

Qui donc pourrait croire encore qu’il s’agit là de la nouvelle tendance ? Qui n’aura pas compris aujourd’hui que le numérique est partout ?

Pourquoi alors a-t-on usé et abusé de cette formule dédiée ?

Tout le monde peut se revendiquer de la « transformation digitale », et tout le monde comprend de quoi il s’agit. Son bienfondé ne peut-être questionné tant elle s’est banalisée dans le langage commun.

Les années 2000 ont marqué l’avènement des technologies du numérique, leur démocratisation, ainsi que leur émancipation au travers d’internet.

Tout ceci commence à dater, alors pourquoi continuer de parler de « transformation digitale » aujourd’hui ? Pourquoi la tendance perdure t’elle ?

Probablement parce que l’on a compris que bien plus tard que ces outils pouvaient être mis à disposition de toutes les couches, tous les domaines, tous les métiers de l’entreprise, sans exception ou presque.

Les technologies du numérique ont été pendant longtemps la chasse gardée des entreprises du numérique, celles qui utilisent et conçoivent le numérique. Une ségrégation qui n’est tombée que bien plus tard, quand le monde a compris que toutes les entreprises avaient à gagner à se revêtir de cette parure digitale.

Il est finalement assez récent d’observer que cette transformation s’exprime partout, et de toutes les manières. Aucun métier n’est épargné. Aucun domaine. De l’optimisation d’une chaine de production, de votre voiture bardée d’électronique, au paiement sans fil chez votre boulanger… Impossible d’être exhaustif, impossible d’énumérer la totalité des services concernés, des moyens mis en œuvre… c’est là, partout.

Pour en parler simplement, la décrire dans ses expressions, prenons-en un exemple, l’archétype : la banque. Elle se désigne d’elle-même, revendique qu’elle est au cœur de la transformation digitale.

Comment la met-elle en œuvre ?

Chronologie approximative des faits.

Passons l’âge préinformatique où la banque a installé ses premiers ordinateurs, ses premiers outils en police verte sur fond noir puis sa première boîte mail…

Elle s’est dotée il y a bien longtemps d’un outil de CRM (Customer Relationship Management) pour améliorer et suivre la relation qu’elle entretient avec son client, vous.

Elle a parfois investi dans un système d’information global, un ERP ou Progiciel, pour gérer sa comptabilité, ses finances, son marketing dans un seul et même outil modulaire.

Elle a continué il y a quelques années en développant une application mobile qui vous suit partout, depuis laquelle vous pouvez consulter vos comptes et voir comment se décomposent vos dépenses. Elle a ce site web, qui fait la même chose et que votre père utilise parce que les caractères sont plus gros.

Elle a des tonnes (et des tonnes) d’outils internes, de messageries pour optimiser la communication entre les équipes, des outils de suivi, de monitoring, de ticketing, de reporting, de tracking de « n’importe quoi en »-ing et qui facilitent l’extraction, la présentation, la synthèse de l’information, la réactivité face à tous les évènements qu’elle peut envisager.

Elle a ce logiciel RH pour optimiser ses processus administratifs, gérer son personnel, les congés, les évaluations, les plannings, les recrutements.

Elle évalue rapidement et plus précisément que jamais, grâce à l’informatique, l’accueil de ses différents produits par le marché. Elle les modifie en fonction, les ajuste pour optimiser leur rendement.

Elle fait du micro-trading sur les marchés pour acheter et revendre des millions d’actions plus vite que quiconque. Elle réagit en une fraction de seconde aux micro-fluctuations des titres.

Elle a ouvert des interfaces (des APIs) pour faciliter la communication avec des partenaires prêts à créer de nouveaux usages qu’elle n’aurait pas anticipé, en s’inscrivant dans la mouvance Fintech et en résistant comme elle le peut à la concurrence des startups qu’elle ne peut ignorer.

Aujourd’hui elle développe des algorithmes d’intelligence artificielle pour exploiter au mieux les données qu’elle a sur vous. Elle veut déterminer quand vous allez la quitter, pourquoi, et surtout vous empêcher de le faire, ou encore vous proposer les produits qui vous correspondent avant même que vous en ayez conscience.

Que fera-t-elle demain ?

Bien malin celui qui le prévoira. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’elle continuera de le faire, et que de nouveaux moyens techniques émergeront pour lui permettre de le faire toujours plus efficacement.

Pourquoi fait-elle tout ça ?

Pas par philanthropie.

Elle le fait parce que tout le monde le fait, parce qu’elle appartient à un système qui agit de concert. Si elle ne le fait pas, elle disparaitra. Ce n’est pas une transformation de confort, c’est une opération de survie.

Elle ne change pas profondément sa nature, elle optimise ce qu’elle est, elle évolue, parce que l’évolution est une condition à la pérennisation de son activité. Merci Darwin.

La concurrence s’affute, les acteurs se multiplient, elle n’a d’autre choix que de suivre le mouvement et d’aiguiser ses armes.

La banque a-t-elle pour autant fait évoluer son rôle, ses objectifs, ses clients… ? Pas vraiment, ou tout du moins, pas par essence. Son cœur de métier, son identité n’ont pas été profondément marqués par ces bouleversements techniques. La banque est restée la banque, et elle continue de faire ce qu’elle a toujours fait, mais plus efficacement.

La digitalisation n’est qu’un moyen, un outil technique dont elle se dote pour atteindre ses objectifs (évidents).

En réduisant ses coûts, en accélérant ses processus, en améliorant sa capacité de recrutement, sa fidélisation clients…, mais aussi en optimisant l’expérience client, les outils numériques ont envahi tout son espace. Ils sont autant destinés à son utilisation interne qu’à ses clients particuliers ou professionnels. Aucune strate de son organisation n’est épargnée.

A quel rythme ?

Principalement au rythme des évolutions technologiques et des tendances du marché. Difficile de dater le début de ce phénomène. S’agit-il de l’arrivée des premiers ordinateurs ? S’agit-il de l’apparition de la première application mobile ? Aucune idée, et qui s’en soucie.

Tout au plus pouvons-nous constater que le phénomène ne semble souffrir d’aucun signe d’essoufflement. Merci pour lui.

Il a évolué bien sûr, dans ses expressions, dans ses formes. Tantôt par cycles courts, tantôt par vagues majeures, mais depuis qu’il est apparu, il ne s’est jamais tari.

On ne peut pourtant pas parler d’évolutions rigoureusement motivées par la technologie mais plutôt d’évolutions des usages que la technologie a permises.

La technologie n’est qu’un outil que la banque utilise pour accéder à ces nouveaux usages.

Le MainFrame a en son temps (non révolu me souffle-t-on à l’oreille) permis de débloquer une puissance de calcul inaccessible avant lui, et avec elle, la banque a pu accéder à des volumes de données et de traitements bien plus importants.

De la même manière et tout au long de son histoire, la digitalisation et l’évolution des outils et des technologies ont permis de décrire de nouveaux usages.

Le développement du smartphone ? La banque vous suit partout.

Développement du NFC ? Développement du paiement sans contact.

Blockchain ? Décentralisation de la gestion de fonds.

IA ? Création d’une banque sur mesure capable de satisfaire au mieux ses clients, création d’assistants personnels intelligents.

Et tant d’autres.

Quand ce processus arrivera-t-il à son terme ?

« Ça y est, notre transformation digitale est finie ! Champagne ! ».

Cela. N’arrivera. Jamais. Point. Cette phrase ne sera jamais prononcée.

La transformation digitale n’a ni début clairement identifiable, ni fin évidente (je prends le risque de l’affirmer). Elle est là, elle existe, c’est tout. Continuer de parler de transformation digitale n’a plus aucun sens.

Nous sommes dans une ère digitale, c’est désormais inscrit dans l’ADN de toute entreprise, de toute chose, c’est l’air que nous respirons. Le nier serait absurde, et le rappeler sans cesse, aussi passionnant que ce collègue qui vous raconte ses dernières vacances.

Se considérer encore aujourd’hui comme un acteur de la transformation digitale, c’est être rétrograde. La nouveauté serait de prétendre être en capacité de l’ignorer.

Mais alors c’est bien ou c’est mal ?

Ni l’un ni l’autre, ou plutôt, pas plus l’un que l’autre, c’est nécessaire, inévitable, vital. C’est « la loi du marché » (ou « vaste chaos »). Si l’opportunité existe, il faut la saisir. Point de discussion, point de morale.

Dans un monde libéralisé à outrance, tout ce qui est légalement possible (voire ce qui ne l’est pas) doit être mis en œuvre pour résister à la concurrence, améliorer ses profits, et à ce titre, le digital, aussi polymorphe et aiguisé soit-il, ne demeure qu’un outil.

Pourtant, la question du bienfondé de l’utilisation du numérique revient sans cesse. Amazon ouvre le premier supermarché sans aucune caissière et tout le monde s’interroge sur le caractère éthique de la démarche : faire disparaître le métier de caissière, est-ce souhaitable ? D’avis de caissière, non. Jeff Bezos lui ne s’en plaindra pas.

Aucun domaine n’est épargné. Même l’agriculture, pour laquelle le lien avec le numérique ne semble pas évident de prime abord, se voit aujourd’hui chamboulée. L’agriculture numérique, c’est la somme de tous les moyens digitaux mis en œuvre pour optimiser, contrôler la production. Produire plus et mieux en somme. Un bien noble dessein.

Pourtant, cette initiative fait grandement débat aujourd’hui. Les engins agricoles sont devenus connectés, ils collectent la donnée. Savoir quand labourer, à quelle vitesse, comment, ou encore, où la récolte a-t-elle été la meilleure… tout est agrégé, stocké, analysé…

Le problème ? Toutes ces données sont envoyées au fabricant de l’engin agricole. C’est lui qui détient la propriété et bénéficie de ses informations, les exploite… et les vend au plus offrant. Discutable non ?

On le voit dès lors, la frontière est parfois ténue entre la bienveillante intention et les ambitions inavouables qu’elle dissimule, et il n’est pas toujours simple de mesurer le bénéfice de l’apport du numérique sous un angle moral.

Le numérique peut vous permettre de travailler depuis chez vous et vous éviter des trajets fastidieux tout comme il peut vous mettre au chômage. Il peut tout et son contraire.

La question essentielle n’est plus tant de savoir si le numérique en soit est intrinsèquement bon, ce qui reviendrait à condamner l’arme du crime avant le coupable, mais de savoir si les intérêts qu’il sert sont louables.

A qui cela se destine-t-il ?

Comprenez-bien qu’il s’agît là, avec la banque, d’un exemple que nous choisissons parce qu’il couvre nombre des aspects de ce que l’on qualifie de transformation digitale. Toutes les entreprises ne cochent pas bien sûr toutes les cases.

En fonction de leur taille, de leur domaine métier, elles sont plus ou moins promptes à accéder à ces outils du numérique.

Si la banque ou le domaine de la finance se veulent particulièrement avides des nouvelles tendances technologiques et s’y essayent ou investissent dans la recherche de nouveaux usages dès lors qu’elles apparaissent, certaines entreprises, notamment dans le domaine de l’industrie, à titre d’exemple, y sont pratiquement hermétiques.

De nombreux facteurs peuvent l’expliquer. Si l’on admet la nature purement utilitaire du numérique, alors son recours doit être justifié par sa capacité à optimiser un ou plusieurs versants de l’entreprise. Or, l’accession aux technologies du numérique a un coût, elle nécessite un investissement qui se doit d’être rentabilisé.

Si la rentabilité et le retour sur investissement se mesurent très souvent selon des métriques purement économiques, il convient de rappeler que la technologie peut améliorer et optimiser absolument tous les aspects de l’entreprise. Mentionnons la sécurité, l’hygiène, la satisfaction du personnel… qui sont autant d’indicateurs dont une entreprise doit se soucier.

Parfois cependant, les investissements nécessités par le numérique, qui ont, eux, un coût économique incompressible bien réel, ne peuvent être justifiés d’aucune manière et risqueraient même de mettre en péril la compétitivité de l’entreprise.

Citons l’exemple (réel) d’une entreprise de manufacture de rails. Elle dispose d’une informatique industrielle qui n’a pas évolué depuis une trentaine d’années. Les machines, les logiciels sont datés, mais ils suffisent au maintien d’une activité pérenne. Investir dans le renouvellement de tout le parc de machines, dans le développement d’un nouveau programme d’orchestration des machines-outils, de contrôle de chaîne, tout ceci aurait un coût injustifiable au vu des éventuels bénéfices. Elle fabrique des rails, le fait bien, c’est tout.

Peut-être aurait-elle gagné à faire évoluer dans le temps, dans la continuité, ses machines et les logiciels associés. Peut-être aurait-elle amélioré son rendement, réduit le nombre de ses incidents… C’est possible, discutable, mais toutefois difficilement vérifiable. Toujours est-il qu’aujourd’hui elle accuse une lourde dette technique, matérielle et logicielle, et qu’envisager le remplacement de cet ensemble n’est plus économiquement rationnel, qu’importe les bénéfices éventuels.

La notion de « transformation digitale » et ce qu’elle induit de bornage, de délimitation temporelle, n’a pas de sens pour elle. Son existence digitale, si tant est qu’elle ait pu se maintenir, n’aurait eu de sens que dans la continuité, dans l’investissement permanent, régulier, et non dans la disruption qui lui est devenue économiquement non-viable et donc, de fait, interdite.

La transformation digitale est un terme qui lui demeurera étranger tant que le coût de sa mise en œuvre n’aura pas diminué au point qu’elle lui soit accessible, ou qu’elle ne disparaisse, dévorée par la concurrence.

A noter que le digital peut résulter d’une contrainte légale. Le RGPD notamment (Règlement Général sur la Protection des Données), par l’obligation légale qu’il inscrit pour chaque entreprise d’être en mesure de restituer à son sujet la totalité des données qui le concernent et que l’entreprise a en sa possession, peut, dans le cas de certaines structures, imposer la numérisation de documents qui n’étaient jusqu’alors pas stockés informatiquement… et donc contraindre une forme de digitalisation.

A l’autre extrémité de ce spectre de la transformation digitale, les entreprises du numérique les plus récentes, les startups de l’IT, qui par nature ne subiront pas de transformation digitale mais en sont, par leur nombre, les indicateurs du terme, de l’achèvement.

Comment parler de transformation digitale, de numérisation, pour une entreprise issue du numérique, conçue par et pour le numérique ?

La multiplication de ces entreprises parachève ce qui a pu exister de « transformation digitale » et marque l’avènement de l’ère digitale, un âge caractérisé par l’omniprésence et la continuité du numérique dans nos manières de faire et de penser.

Nous dans tout ça.

Chez InTech, nous aimons dire que nous sommes des artisans du digital. Le digital est notre outil, notre matière première, ce que nous façonnons.

Cela sonne bien, certes, mais ce n’est pourtant pas là notre identité. L’identité, autrement dit ce à quoi nous nous attachons, c’est ce que nous choisissons d’en faire.

Nous accompagnons, depuis la création de l’entreprise en 1995, les clients dans leurs projets numériques. La question que nous nous posons au quotidien n’est pas de savoir ce qu’est la transformation digitale, ou de quelle manière elle s’exerce, mais plutôt, quels intérêts elle doit servir, et de quelle manière cela doit être mis en œuvre.

Notre conviction profonde, c’est que tout le monde peut gagner à rencontrer le numérique, et que notre rôle, c’est d’aider les acteurs qui nous ressemblent et qui partagent nos valeurs à accéder à ce potentiel.

Evidemment, par nature, nous avons été et sommes toujours des acteurs du digital, mais notre métier, c’est de penser ses évolutions, pas de les subir.

Le marché évolue, tout évolue, les outils, les attentes, les projets, les gens, le monde et bien sûr le Luxembourg avec lui. Tout. Prétendre que nous faisons le même métier aujourd’hui qu’il y a 5 ans serait une aberration. Faire du digital hier, c’était bien autre chose que de le faire aujourd’hui, parce que les technologies ont évolué bien sûr, mais surtout parce que la société a évolué, les acteurs et les enjeux ont changé.

Le domaine de la finance a porté le Luxembourg au cours de son histoire récente. Il représente évidemment aujourd’hui encore une grande partie de l’activité du pays, et nul ne souhaite en débattre ou remettre en question cet état de fait.

Toujours est-il que la fin du secret bancaire a rebattu les cartes, et le Luxembourg trouve aujourd’hui un second souffle dans ce qu’il appelle « le Digital Luxembourg », autrement dit, la volonté affirmée du gouvernement de promouvoir les initiatives digitales innovantes. Cela passe par la promotion des infrastructures, condition sine qua non au développement de la tech, et par la création d’un contexte légal et politique adapté. Passons.

Dans cet ensemble, chacun doit prendre le rôle qui lui revient, et au sein d’InTech, nous avons par exemple choisi de développer notre capacité à réfléchir ce que nous voulons faire, notamment par la création d’un pôle Innovation et Développement à qui cette responsabilité incombe. Le paradigme de toutes les actions que nous entreprenons, c’est la conviction que l’innovation technologique seule n’est rien sans le sens, les intentions que l’on souhaite y placer.

Les mentalités ont évolué. Rares sont les nouveaux arrivants sur le marché du travail qui se projettent sur le long terme, qui réfléchissent à leur carrière comme à un ensemble homogène, beaucoup pensent projet, recherchent avant tout à s’investir dans des actions qui portent du sens.

C’est avec cette conviction que nous pensons à notre rôle. Avec l’idée que le digital doit être avant tout porteur de sens. Ce que nous entendons par là, et ce que nous avons d’ores et déjà mis en œuvre dans nos actions, c’est que nous voulons autant que possible soutenir les domaines que nous jugeons impactants.

La mesure de la portée d’une action, c’est ce qu’est l’impact, ou la capacité d’une entreprise, d’un groupe, d’une association et de leurs initiatives à avoir une aura positive.

Notre positionnement, c’est de penser que travailler avec les domaines à fort impact, autrement dit devenir acteur de ce qui est appelé aujourd’hui l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), c’est essentiel pour développer notre capacité à voir émerger de nouvelles idées, à innover, tout en expérimentant de nouvelles technologies.

La technologie répond aujourd’hui à des cycles extrêmement courts, pour rester à la pointe, il faut créer, se réinventer sans arrêt, expérimenter… et pour cela, il faut un terrain de jeu prospère, en ébullition… et c’est ce qu’est l’ESS ; si en plus de cela, nos actions peuvent avoir un impact positif sur l’environnement et les enjeux sociétaux, alors nous considérons que nous faisons notre travail comme il se doit.

C’est la lecture que nous faisons de l’évolution de la transformation digitale, c’est la mission à laquelle nous nous affairons aujourd’hui, et demain, qu’importe que nous ayons eu raison ou tort, nous aurons tiré les leçons de tout ceci, nous aurons évolué en respectant notre identité.

Le digital reste et restera notre cœur de métier, notre matière d’œuvre. Pourtant, la véritable transformation que nous opérons concerne notre manière d’agir et les engagements que nous prenons, au travers de nouveaux partenariats, au travers de la complémentarité que nous développons avec de nouveaux acteurs, au travers des valeurs que nous choisissons de véhiculer.

Pour illustrer nos convictions, nous nous sommes rapprochés de ShareIT, un incubateur Tech for Good installé à Paris. Il a été créé dans l’objectif de rendre accessible à des projets sociétaux, impactants, le potentiel du numérique au travers d’un programme d’accélération sur 10 mois.

Le numérique, sur les projets retenus, est un levier, un moyen privilégié de passer à l’échelle et de rendre accessible au plus grand nombre des projets à la portée jusqu’alors confidentielle.

Au travers de nos activités de conseil, de mentoring et d’accompagnement, nous avons pu notamment nous rapprocher de la jeune pousse We Are Not Weapons of War (WoWW) qui lutte contre le viol comme arme de guerre.

En établissant des dossiers judiciaires, l’équipe de WWoW, et notamment Celine Bardet, juriste spécialisée dans ce combat, met tout en œuvre pour lutter contre le viol dans les pays où sévit cette arme de guerre redoutable. Processus d’humiliation, de soumission, destiné à museler et à condamner au silence, le viol comme arme de guerre reste encore largement méconnu, et plus encore se trouve-t-il éloigné des considérations qui animaient classiquement nos missions jusqu’à il y a peu.

Un des enjeux essentiels de ce projet est d’être en mesure de rassembler et conserver pendant parfois des années (durée nécessaire à la constitution et à l’aboutissement d’un dossier) un ensemble de preuves, tout en respectant des contraintes d’anonymat absolument nécessaires à la survie des victimes. Dans les pays qui en sont le théâtre, le viol de guerre est généralement orchestré par des entités étatiques ou paramilitaires omnipotentes. Compromettre l’identité des victimes, c’est les exposer à des risques bien réels de représailles, jusqu’à mettre leur vie en péril.

D’autre part, les pays concernés sont très divers, de cultures, de langues, de lettrismes très variés. La nécessité de communiquer avec ces profils si différents, tout en étant capable de maintenir une forme de modèle, d’homogénéité dans les témoignages, nécessaire au contrôle de la complexité d’un dossier juridique, fait également figure de challenge.

Si la réponse à cette problématique complexe était jusqu’alors apportée par Celine Bardet et son équipe au travers d’une prise en charge au cas par cas, la volonté de traiter un plus grand volume de témoignages et de porter devant les tribunaux plus de criminels de guerre nécessitait à l’évidence la création d’outils du numérique.

C’est avec ces paradigmes nouveaux et les challenges techniques qui en découlent, que nous avons développé une application mobile destinée à recueillir les témoignages de viol de guerre sur le terrain, ainsi qu’une plateforme (application de back-office) pour le suivi de ces derniers.

A la question de savoir comment stocker durablement et anonymement, tout en apportant la preuve de l’immuabilité et de l’inaltération des témoignages au cours du temps, nous avons répondu en utilisant une blockchain, et au travers de cette expérience, nous avons développé et approfondi notre expertise du domaine.

A la question de savoir comment laisser aussi peu de traces que possible sur un téléphone, nous avons répondu en développant une application web responsive accessible en ligne.

A la question de savoir comment être en mesure de communiquer avec des gens qui peut-être ne sauraient pas lire, ou tout du moins s’exprimeraient dans des langues diverses, nous avons répondu en n’hésitant pas à faire appel aux services d’un graphiste, Geoffrey Dorne, ayant déjà eu à travailler sur le sujet de la représentation en pictogrammes.

A la question de savoir comment héberger l’ensemble de cette solution, nous avons répondu en sollicitant des partenaires, notamment eBRC et CleverCloud, dont nous savions qu’ils répondraient présents.

En usant de nos compétences techniques, en les affutant au travers de ces expériences, tout en nous entourant de ceux qui nous soutiennent et nous complètent, nous sommes fiers de devenir acteurs d’une bataille qu’il nous semble juste de mener. La première d’une longue liste, nous en sommes convaincus.

Ce sont ces projets qui nous animent, et le sens qu’ils portent en eux.

Penser « transformation digitale », c’est se limiter à décrire nos outils.

La transformation digitale est loin derrière nous, il nous faut accepter le potentiel digital, le prendre pour acquis, et réfléchir aux actions que nous voulons promouvoir grâce à lui. C’est là le véritable enjeu de l’ère dans laquelle nous vivons.

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