Comment aligner gouvernance et croissance rapide

Inovia Capital
Conversations avec inovia
10 min readApr 5, 2019

par Hugues Lalancette

Source: Benjamin Heath

« C’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui se baignent nus. » — Warren Buffett

Les entreprises en démarrage doivent faire preuve de résilience pour résister aux fortes secousses qu’elles subiront et être en mesure de rebondir après avoir frôlé la catastrophe. Il n’existe malheureusement pas de consensus fort sur la façon de distinguer les jeunes entreprises qui réussiront de celles qui échoueront.

De nombreux investisseurs en capital de risque soutiennent que de bons marchés peuvent littéralement aller chercher le produit d’une start-up pour le placer dans les mains des clients — et que ce serait donc le marché, et non l’équipe, qui créerait le succès.

En tant qu’entrepreneurs, nous avons été témoins de la réussite de fondateurs exceptionnels qui ont compris les rouages de leur entreprise et mis en place des processus, des équipes et des cultures qui leur ont permis de gérer une forte croissance et de conquérir des marchés. En d’autres mots, nous croyons que la résilience se construit de l’intérieur et que c’est elle qui fait le succès de l’entreprise.

Bâtir des organisations résilientes

Après avoir observé des dizaines d’entreprises technologiques, nous avons constaté qu’il existe un lien étroit entre la qualité de la gouvernance et la résilience, et que les bases d’une saine gouvernance se posent dans les réunions du conseil d’administration. En effet, au-delà de ses responsabilités juridiques, le c.a. peut servir de mécanisme de rétroaction positive dans le processus d’expérimentation du fondateur.

Pour tirer un maximum de valeur des réunions du conseil, les fondateurs peuvent les optimiser au même titre que les autres fonctions de leur entreprise. Voici quelques principes à suivre pour y arriver.

Conseils pour des réunions de conseil efficaces

1. Parlez de ce qui vous préoccupe.

Vous n’avez pas à vendre quoi que ce soit lorsque vous faites une présentation devant votre conseil. Les membres doivent savoir ce qui ne va pas comme vous le souhaitez. Au lieu de faire de la vente, essayez plutôt d’aborder ces réunions comme une occasion de délaisser votre rôle pour poser sur l’entreprise un regard impartial.

2. Ne faites pas simplement une présentation, impliquez-vous.

Les membres du conseil sont des personnes que vous ne pouvez pas forcément embaucher mais qui peuvent s’avérer de précieux atouts hors du cours normal des affaires. Déterminez avec précision leur valeur et faites-les participer; ne vous contentez pas de présenter votre dossier en faisant défiler des diapos. Envoyez les documents préparatoires au moins 48 heures avant la réunion du conseil et envisagez la possibilité d’organiser à l’avance des rencontres individuelles pour mettre tout le monde sur la même longueur d’onde et solliciter de l’aide au besoin.

3. Abordez les mauvaises nouvelles dès le début.

Commencer par discuter des mauvaises nouvelles est un bon moyen d’instaurer la confiance. Chacune des personnes autour de la table sait que le chemin menant à la gloire éternelle est parsemé d’occasions ratées et de départs d’employés clés — c’est la façon dont on communique et gère les situations difficiles qui distingue les organisations résilientes de celles qui faibliront en route.

4. Créez de la continuité dans vos rapports.

Instaurez une fréquence trimestrielle de production de rapports avec des objectifs définis et mesurables pour chaque fonction (ventes, marketing, ingénierie, produit, etc.), en assurant un maximum de cohérence d’une période à l’autre. En préparant la prochaine réunion du conseil, demandez-vous s’il est facile de comparer les résultats du trimestre aux objectifs fixés à la réunion précédente (les tableaux sont utiles à cette fin). Présentez les résultats trimestriels dans le contexte de vos prévisions pour l’année complète afin de les mettre en perspective (un graphique en cascade est idéal).

5. Appuyez vos hypothèses sur les comportements observés chez les utilisateurs.

Déterminer la valeur à vie du client au moyen d’une quelconque formule relève de l’illusion. De la même manière, se servir de formules pour tirer des conclusions peut être dangereux et trompeur. Il est de loin préférable d’appuyer ses décisions sur des comportements et données observées (sur les employés, clients, utilisateurs, etc.). Essayez autant que possible d’étayer votre hypothèse par des données empiriques. Exemple : « Nous devrions cibler davantage les grandes entreprises ». Êtes-vous en mesure de prouver l’adéquation produit-marché pour vous attaquer à ce segment? Comment saurez-vous si ça fonctionne? À quoi ressemble le succès?

6. Mettez par écrit la définition des paramètres importants.

Ce principe peut sembler simple, mais définir en annexe tous les paramètres présentés au conseil (ou à toute partie prenante) vous mettra en position de force, car vous en ferez ainsi des éléments tangibles, ce qui fait disparaître la crainte de ne pas comprendre à quoi réfèrent les valeurs présentées. Encore plus important peut-être, un glossaire reflète aussi votre façon d’envisager l’évolution de l’entreprise puisque la définition des paramètres changera elle aussi avec le temps.

7. Invitez vos dirigeants à faire une présentation devant le conseil.

Comme l’un de nos coachs de PDG le dit si bien : « Vous ne devriez faire que ce que vous pouvez faire — et faire en sorte que votre équipe puisse faire le reste. » Inviter vos cadres à s’exprimer devant les membres du conseil est une excellente manière de leur donner du pouvoir et de les responsabiliser à l’égard de leurs objectifs trimestriels.

8. Demandez « pourquoi? » jusqu’à ce que vous remontiez à la cause première.

Le paradigme de l’entreprise en démarrage moderne se base sur l’expérimentation, la mesure des résultats et l’itération rapide. Bien que cette façon de faire soit en général utile, elle peut parfois occulter la cause profonde d’un problème plus sérieux. Lorsqu’un quota n’est pas atteint ou que le taux de conversion paraît trop faible, vous pouvez ajuster les paramètres et améliorer les processus, ou tout simplement demander pourquoi des gens brillants ont du mal à vendre votre produit. Une séance du conseil est un excellent moment pour poser des questions délicates et obtenir une rétroaction précieuse.

9. Soumettez des solutions au conseil, pas des problèmes.

C’est une chose d’identifier des problèmes et une autre que d’y trouver des solutions. Même si vous n’avez que le temps d’esquisser quelques idées pour remédier à un problème, elles méritent d’être soumises à votre conseil. Présenter une série de solutions crée un climat de confiance qui rend les échanges plus productifs. Cela vous permettra aussi de ratifier des décisions, plutôt que de perdre plus de temps à en discuter.

10. Ayez toujours une feuille de route vers un bilan positif.

Appuyer sur l’accélérateur (stratégie offensive) va généralement plus de soi que d’utiliser le frein de secours (stratégie défensive) en raison des engagements émotifs que vous avez pris envers vos diverses parties prenantes (employés, investisseurs, etc.). Reconnaître qu’on a fait une erreur est extrêmement difficile. Il est important d’avoir un plan de rechange pour atteindre le seuil de rentabilité. Le simple fait de se prêter à cet exercice permet d’atteindre un niveau de clarté qui vient réduire le risque d’avoir à vous rabattre sur ce plan.

Convertir les données en connaissances

Une réunion du conseil est aussi une excellente occasion pour les fondateurs de déterminer où ils en sont dans leur parcours analytique. Plus précisément, lorsque vous préparez la réunion, tâchez de déterminer s’il est facile d’obtenir des données pertinentes de toutes les fonctions. Le diagramme ci-dessous présente les grandes étapes de votre démarche visant à convertir vos données en connaissances.

Source: Reforge

1. Analyse descriptive (généralement de la série de lancement à la série B)

Les équipes peuvent-elles voir clairement, en temps réel, ce qui se passe? Passent-elles leur temps à parcourir des feuilles de calcul sans en retirer quoi que ce soit de concret? Quel est le nombre exact de comptes créés, renouvelés et annulés au cours de la dernière semaine? Combien de personnes ont visité votre site Web, combien se sont inscrites, etc.? D’où provenaient ces visiteurs? C’est à cette étape que vous mettez à l’épreuve votre système pour voir si vous avez facilement accès à des données actuelles.

2. Analyse diagnostique (généralement de la série B à la série D)

Une fois que vous avez mis en place des canaux de données et que vous pouvez « voir ce qui se passe », vous passez au second niveau d’abstraction : « définir ce qui importe vraiment ». Quel est le modèle de fluctuation normal des affaires? Pourquoi seulement 1 % des 1 000 pistes deviennent-elles des clients? Qu’est-ce qui fait qu’une vente se conclut? C’est l’étape à laquelle vous pouvez commencer à raccourcir votre cycle d’expérimentation pour le faire passer de trimestriel à mensuel/hebdomadaire.

3. Analyse prédictive (généralement de la série D à pré-PAPE)

Si nous faisons X, quel Y obtiendrons-nous? Quel est le prix de vente escompté pour le produit X? Comment prioriser les investissements en vente et marketing pour en maximiser le rendement? Quel marché devrions-nous cibler en prochain? À ce niveau de maturité, le processus décisionnel s’appuie sur une quantité considérable de données empiriques et des capacités en science des données. Fait intéressant, nous remarquons que de plus en plus d’entreprises développent ces capacités à un stade plus précoce de leur cycle de vie.

Calibrer à l’aide de données empiriques

L’une des fonctions essentielles du conseil est de faire la lumière sur l’adéquation produit-marché atteinte par l’entreprise et son efficience en termes de capital. Nous avons constaté que cinq questions relativement universelles permettent de dresser un portrait de la situation et vous recommandons de voir à ce que vos rapports au conseil permettent d’y répondre.

1. Acquisition : À quoi ressemble votre entonnoir d’acquisition de clientèle?

La réponse à cette question variera selon le modèle d’affaires (SaaS, marketplace, etc.) et le type d’entonnoir (MQL, SQL, CSQL, PQL, etc.). Par exemple, une entreprise dont la croissance provient principalement des ventes externes (entonnoir SQL) et qui souhaite apprécier la performance de sa machine de vente aura intérêt à évaluer avec précision chaque représentant et à quantifier ses nouvelles ventes par rapport à ses quotas trimestriels. Dans le cas d’un entonnoir de type MQL, il est utile de comprendre d’où proviennent les pistes, de déterminer le coût par canal et de suivre l’évolution du taux de conversion sur un diagramme. Essayez de prendre du recul lorsque vous réfléchissez à votre entonnoir et de comprendre de quelle manière vous pouvez rendre compte de son rendement.

2. Engagement : Vos utilisateurs sont-ils attachés à vos produits?

Il s’agit d’un aspect propre à chaque entreprise. Le principe est qu’il n’y a pas forcément une corrélation parfaite entre le prix et la valeur. Pour bien évaluer les résultats de vos expérimentations, vous avez intérêt à trouver le paramètre qui reflète le mieux le niveau d’engagement — MAU, DAU, nombre de messages envoyés, etc. — c’est-à-dire la mesure qui vous permettra de suivre de près la valeur qu’obtiennent les utilisateurs. Une fois que vous aurez trouvé cette mesure, déterminez les seuils d’un engagement fort. Vous pourriez par exemple décider qu’il vous faut X % d’utilisateurs actifs mensuels (MAU) plus de sept jours par mois, ou que ces utilisateurs font un nombre Y d’actions dans la semaine suivant leur inscription, et ainsi de suite.

3. Rétention : Avec le temps, vos clients dépensent-ils davantage pour vos produits?

C’est sans doute la chose la plus importante à comprendre pour une entreprise en démarrage. Le but recherché ici est de définir des cohortes de clients et de suivre l’évolution de leurs dépenses. Il faut en arriver à comprendre comment fluctue dans le temps la valeur du dollar dépensé par une cohorte donnée — puis trouver les moyens de faire augmenter la valeur de cette dépense initiale. Plus nous étudions les jeunes entreprises, plus la rétention semble s’avérer le meilleur indicateur de l’adéquation produit-marché et du potentiel de croissance, et ce, quel que soit le modèle d’affaires.

4. Seuil de rentabilité : En combien de temps un client devient-il rentable?

Le meilleur moyen de calculer le temps requis pour récupérer le coût d’acquisition de clients est de vous baser sur les données empiriques sur les cohortes. Évitez de recourir à des formules courantes, elles vous mettront sur de fausses pistes.

5. Création de valeur : Combien de valeur génère chaque dollar que vous dépensez?

Pour connaître la valeur que vous créez par rapport à l’argent que vous dépensez, vous devez mesurer trois choses : (i) le taux de croissance de vos revenus (définit le multiple servant à établir la valeur de l’entreprise); (ii) la somme de votre taux de croissance et de la marge de trésorerie disponible (associe croissance et dépense); (iii) le temps dont vous disposez avant l’épuisement de vos liquidités selon trois scénarios, soit (1) plan actuel avec croissance; (2) pas de croissance; (3) pas de revenus.

Autres excellentes ressources pour vous aider à tirer profit de vos réunions de c.a. (en anglais seulement)

1. Preparing a Board Deck — Sequoia

2. How to manage your board, even when you miss a quarter — Sequoia

3. High Growth Handbook, chapitre 2: Managing Your Board — Elad Gil

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