Pourquoi les fonds de continuité sont-ils d’actualité pour le capital de risque ?

Inovia Capital
Conversations avec inovia
12 min readFeb 10, 2022

L’année 2021 a été extraordinaire, le financement de capital de risque à l’échelle mondiale atteignant près de 300 milliards de dollars, un sommet sans précédent. Nous avons l’impression d’être entrés dans une nouvelle ère où le capital de risque est considéré comme une catégorie d’actifs qui se compare avantageusement à d’autres catégories d’actifs plus matures à l’échelle mondiale.

Au Canada, il y a plus d’entreprises de technologie à l’étape de pré-introduction en bourse aujourd’hui qu’il y en a eu au cours des dix dernières années combinées. De la phase de démarrage à l’introduction en bourse, il y a toujours des opportunités d’investissements pour les nouveaux investisseurs ce qui permet aux investisseurs de longue date, aux chefs de la direction et aux employés des entreprises concernées d’obtenir des liquidités.

Comme certaines entreprises fusionnent, deviennent des sociétés publiques ou encore des chefs de file mondiaux, de nombreux investisseurs en capital de risque ne veulent pas nécessairement vendre leur position. Ce phénomçne requiert une certaine créativité en termes de financement de continuité.

Au cours de cet épisode des Sessions Inovia, Karam Nijjar, associé chez Inovia, s’est entretenu avec Veena Isaac, associée-directrice de l’équipe Secondary & Liquidity Solutions chez BlackRock, et Daniel Saks, co-fondateur et président d’AppDirect, pour discuter de la croissance des fonds secondaires et de continuité ainsi que de leurs avantages pour les investisseurs, les firmes de capital de risque et les entrepreneurs.

Karam : Veena, vous êtes dans l’espace des fonds secondaires depuis 2009. Pouvez-vous nous donner un peu de contexte sur ce concept et sur l’explosion des activités autour de ce type de transactions ?

Veena : Les transactions secondaires procurent de la liquidité aux actionnaires d’entreprises privées ou détenant des actifs non-liquides du marché privé. Contrairement aux capitaux publics, où il est possible d’effectuer des opérations de façon très efficace, lorsqu’un investisseur s’engage dans un véhicule d’investissement privé, il s’engage souvent pendant 10 à 12 ans. Donc, dans la mesure où il désire vendre avant cette date, les transactions secondaires sont la principale façon de le faire.

Les secondaires traditionnels consistent en l’acquisition d’une participation d’un investisseur dans un fonds de capital-investissement et constituent le plus gros des transactions secondaires. C’est ainsi que l’industrie a évolué et que les investisseurs peuvent gérer plus activement leur portefeuille de capital-investissement et de marchés privés, comme ils le font déjà avec leur portefeuille de marchés public.

La deuxième catégorie comprend les véhicules de continuité dirigés par des firmes de capital de risque, comme celui auquel nous nous sommes associés avec Inovia. Ceux-ci ont gagné en popularité en tant qu’outils de gestion de la durée de vie des actifs. Les firmes de capital de risque sont de plus en plus au fait des nombreuses façons d’utiliser les secondaires. Auparavant, il s’agissait davantage d’une façon de gérer les actifs en fin de cycle. Maintenant, nous constatons que les firmes de capital de risque utilisent également des véhicules de continuité pour amasser des capitaux afin de réinvestir dans les mêmes actifs et bâtir leurs portefeuilles.

Il y a eu un changement de perception important au sujet des secondaires. Au départ, ils avaient une connotation contraignante, car ils sous-entendaient que les investisseurs qui y avaient accès vendaient pour des raisons de liquidité. Cette perception a évolué au cours des 20 dernières années. Maintenant, les transactions secondaires sont de plus en plus reconnues comme un outil simple de constitution d’un portefeuille pour les investisseurs. Et pour les firmes de capital de risque, c’est devenu un outil très efficace de gestion des actifs.

Karam : Un autre aspect d’un fonds de continuité est qu’il offre la possibilité de transférer l’actif existant et d’investir potentiellement du capital supplémentaire au cours des prochaines années pour exécuter un plan d’action, qu’il s’agisse d’une fusion-acquisition ou d’une stratégie de déploiement.

Dan, à quel point est-il important pour vous d’avoir des investisseurs qui ont la flexibilité de continuer à vous soutenir dans vos projets d’entreprise, comparativement à une situation où le cycle de vie d’un fonds en dicterait votre sortie ?

Dan : Chez AppDirect, nous avons examiné différentes possibilités, qu’il s’agisse d’une introduction en bourse ou de demeurer privé pour un peu plus longtemps. La flexibilité du fonds de continuité nous permet de continuer à croître en tant qu’entreprise privée, ce que nous considérons comme très bénéfique.

AppDirect a une vision à très long terme depuis le premier jour. Nous voulons être le chef de file des commerçants de technologie et aider les entreprises à trouver, acheter et utiliser les technologies numériques dont elles ont besoin. Nous visons à bâtir une très grande entreprise. Le fonds de continuité nous permet de nous associer à Inovia sur le long terme pour nous assurer d’être bien positionnés lorsque nous aurons l’opportunité d’entrer en bourse.

L’une de nos stratégies est d’avoir une base concentrée d’investisseurs qui nous connaissent bien, qui comprennent notre stratégie et, surtout, qui veulent minimiser la dilution de notre entreprise. Ce qui est formidable dans la proposition de valeur d’Inovia, c’est qu’au fur et à mesure que nous avons pris de l’expansion, vous avez trouvé des façons créatives d’accroître votre position ou de nous présenter certaines de vos relations d’affaires pour nous permettre de continuer. Cela nous permet d’être beaucoup plus agiles.

Lorsque nous voyons une opportunité, au lieu de nous lancer dans une autre ronde de financement, nous évaluons la possibilité de lever rapidement des fonds, grâce à l’appui des membres de notre CA. Plusieurs d’entre-eux nous ont dit que notre entreprise peut croître beaucoup plus efficacement avec une faible dilution de ses actifs, ce qui fût jusqu’ici une façon efficace de croître. C’est aussi un excellent exemple qui démontre qu’au sein de notre CA, quelle que soit la stratégie que nous adopterons, nous ne nous sentirons jamais obligés d’accélérer notre processus d’introduction en bourse pour financer notre croissance.

Karam : Veena, vous parlez d’idées fausses sur les transactions secondaires. L’une d’elles est qu’il s’agit d’une perspective court terme, alors qu’ici, Dan nous parle d’AppDirect et de la façon dont l’entreprise continue à développer ses activités commerciales. Dans le contexte des secondaires, comment percevez-vous votre besoin de liquidités versus l’horizon temporel d’investissement, et comment cela s’aligne-t-il avec les besoins des entrepreneurs comme Dan qui ont objectifs très ambitieux ?

Veena : Habituellement, avec les secondaires, nous entrons dans un fonds à mi-parcours. Dans le cas d’Inovia, certains des actifs font déjà partie du portefeuille depuis plusieurs années. La façon dont nous envisageons les véhicules de continuité est qu’ils permettent aux firmes de capital de risque de détenir des actifs pendant encore quatre, cinq ou six ans et de continuer à travailler avec les équipes de direction pour amener les entreprises à un niveau supérieur plutôt que de forcer leur vente ou leur introduction en bourse.

Pour les véhicules de continuité, nous considérons qu’une durée de quatre à cinq ans est idéale, tant du point de vue de l’équipe de direction des entreprises du fonds, que du point de vue de la firme de capital de risque,. C’est particulièrement le cas lorsqu’un actif fait déjà partie de ce portefeuille depuis environ dix ans.

Karam : L’un des autres aspects intéressants de votre investissement était la vérification diligente. BlackRock a beaucoup travaillé avec AppDirect et certains des autres actifs du portefeuille. Pouvez-vous nous parler un peu de ce processus ? Quelles sont les caractéristiques que vous recherchez dans les entreprises sous-jacentes, leurs équipes de direction et les marchés sur lesquels elles évoluent, qui rendent un fonds comme celui-ci attrayant ?

Veena : D’un point de vue macro, nous examinons la composition globale du portefeuille. Dans ce cas-ci, nous avons trouvé très intéressant que le portefeuille soit bien diversifié. AppDirect était un actif plus important, mais l’entreprise ne représentait pas la majorité de la valeur; il y avait une diversité suffisante grâce à d’autres entreprises du portefeuille.

De plus, les segments de marchés étaient également très diversifiés. Il s’agissait d’un portefeuille axé sur la technologie, mais qui servait des segments de marchés assez larges. Dans le cas de chaque entreprise, nous aimions qu’elles soient généralement des chefs de file de leur catégorie, mais qu’elles aient tout de même un Marché Total Disponible (TAM) important et qu’elles aient l’ambition de croître au moyen de fusions et acquisitions ou de croissance organique.

Avec la COVID au cours de la dernière année, notre approche de vérification diligente a évolué. L’une des choses sur lesquelles nous nous concentrons beaucoup est l’achat de titres d’entreprises de haute qualité qui peuvent être résistantes au cours des différents cycles économiques et pour lesquelles nous pensons obtenir de bonnes valeurs d’entrée par rapport aux possibilités de croissance. Nous avons également passé beaucoup de temps à faire connaissance avec l’équipe d’Inovia. Il est évident que l’équipe est enthousiaste à l’égard des entreprises du fonds et qu’elle est déterminée à soutenir leurs équipes de direction à mesure qu’elles progressent dans leur parcours. Cet alignement est essentiel, car nous travaillons en partenariat avec les firmes de capital de risque et les équipes de direction pour aller de l’avant.

Karam : Quels critères les fonds de capital de risque devraient-ils examiner pour évaluer si les entreprises sont prêtes pour l’introduction en bourse ou si elles devraient plutôt lever des capitaux pour un fonds de continuité ou autres ?

Que pensez-vous des introductions en bourse dans le contexte de la stratégie d’un portefeuille — représentent-elles la fin d’un processus ou une étape qui permet de continuer à augmenter la valeur d’une entreprise après son introduction en bourse ?

Dan : Nous croyons qu’il existe divers mécanismes qui peuvent vous préparer à l’introduction en bourse. En effet, il y a la direction de l’entreprise et le fait de s’assurer d’avoir un chef des finances ayant de bons mécanismes de contrôle financier, et une solide expérience en matière d’audit. Il y a aussi les facteurs commerciaux, de même que la séniorité de l’équipe de leadership. Il faut penser à la marque que vous voulez mettre en marché et à son niveau de maturité.

Notre ambition pour AppDirect est grande. Nous continuons d’ajouter et de mettre en marché de nouveaux produits qui, selon nous, seront vraiment profitables, alors nous pensons qu’il serait préférable d’entrer en bourse une fois que notre nouvelle marque sera bien établie. Bien que nous ayons les revenus et le profil financier pour aller en bourse, attendre nous permettra de maximiser la puissance d’un tel événement en termes de relations publiques.

Nous considérons donc l’introduction en bourse non pas comme un but ultime, mais comme une autre étape importante de notre parcours. Par conséquent, il est très utile d’avoir du temps. Bien que nous ayons envisagé l’introduction en bourse à divers moments et que nous en ayons évalué les avantages et les inconvénients, nous nous sommes rendus compte qu’il existe encore des façons de naviguer aussi efficacement sur le marché des capitaux privés, sans effet dilutif, en tirant parti d’outils comme la dette pour financer notre croissance. Nous pensons donc que de rester privé un peu plus longtemps finira par être super bénéfique pour notre valeur globale, et donnera un excellent retour aux investisseurs comme Inovia et BlackRock.

Veena : Nous avons déjà investi dans des véhicules de continuité qui avaient des actifs qui ont été introduits en bourse très rapidement après la conclusion de la transaction, et cela faisait partie de notre thèse. Il y avait plusieurs avantages à entrer en bourse, et la façon dont nous avons souscrit était très semblable aux entreprises privées en termes de croissance. Dans certains cas, selon l’investisseur, les équipes de direction et ce que tous jugent approprié, il peut être logique de générer des liquidités à court terme après une introduction en bourse. Toutefois, dans d’autres cas, nous considérons qu’il s’agit davantage d’une étape marquante dans la vie d’une entreprise et nous prévoyons continuer à la soutenir.

Karam : Avec plus d’entreprises qui restent privées plus longtemps et avec le nombre d’entreprises publiques qui est de 50 % inférieur à ce qu’il était auparavant, ça laisse moins de place à la croissance de la valorisation de l’entreprise une fois sur les marchés publics. Pensons-nous que la tendance consistera à se tourner vers des fonds plus importants, comme BlackRock, qui trouvent des moyens d’investir dans des entreprises privées via des fonds de continuité ? Si c’est le cas, qu’est-ce que cela signifie pour les marchés publics à long terme ?

Dan : Chaque entreprise est différente et aura de bonnes raisons de chercher à obtenir des liquidités ou encore à entrer en bourse plus rapidement. Je crois que cette optionalité s’avère efficace pour de nombreuses entreprises. Les entrepreneurs de notre génération, ceux ayant créé des entreprises de 2007 à 2011–2012, ont plus d’appréhension à entrer en bourse. Ils ont été témoins des fluctuations et des défis du marché public.

Pour les entreprises de la génération d’AppDirect, l’introduction en bourse se fait en moyenne dix ans après la création de l’entreprise, et nous étions dans cette période. Je pense que beaucoup de jeunes entreprises peuvent entrer en bourse plus rapidement de nos jours. Ainsi, les jeunes entrepreneurs qui ont fondé leur entreprise plus récemment pourraient chercher de la liquidité plus rapidement. Je ne pense pas que le fait de rester privé plus longtemps soit nécessairement la meilleure option pour tout le monde. Néanmoins, je crois que le fait d’avoir des options sur la table est sain pour les entrepreneurs, les investisseurs et l’écosystème.

Veena : Je pense que Dan l’a très bien couvert. Il ne fait aucun doute que le nombre d’entreprises en bourse a diminué — baisse de 45 % entre 1996 et 2018. Du point de vue de l’investisseur, les alternatives sont de moins en moins vues comme des alternatives et constituent un élément essentiel de la répartition des actifs et de la construction d’un portefeuille. BlackRock a d’ailleurs déclaré publiquement que le marché des secondaires est un secteur qui nous servira de moteur de croissance. Par contre, ça dépend de l’entreprise, je ne pense pas que ce soit une solution universelle.

Karam : En ce qui concerne les multiples sur le capital investi, les attentes diffèrent entre les investissements dans les fonds traditionnels et les fonds de continuité. Les attentes des fonds de continuité sont-elles plus proches des attentes du marché public que des attentes de rendement généré par les fonds capital de risque ?

Veena : Je dirais que c’est probablement quelque part entre les deux. Les attentes ne sont pas les mêmes qu’un fonds de capital de risque, car nous achetons des titres plus tard dans la vie du fonds, et les entreprises ont tendance à être beaucoup plus matures, mais nous achetons toujours des actifs non liquides. Supposons que nous achetions deux actifs dont l’un représente 90 % de la valeur; ce type d’opération présenterait un profil risque-rendement précis. Nous chercherions à obtenir un rendement proportionnel aux risques que nous prenons, ce serait différent de ce que nous rechercherions dans un portefeuille plus diversifié offrant une meilleure protection contre les retours négatifs. Donc, ça dépend. C’est une approche très “cas par cas” par rapport aux risques que nous prenons dans une situation donnée.

Karam : Si nous avons cette conversation dans un an ou deux, le sujet sera peut-être plus commun. Existe-t-il d’autres structures, zones géographiques, ou d’autres éléments qui vous semblent dignes de mention ?

Veena : L’un des aspects les plus intéressants du marché secondaire est que la sensibilisation au marché a continué de croître. Il s’agit d’un marché plutôt méconnu depuis de nombreuses années, dont le rôle principal est de fournir des liquidités. Au cours des cinq dernières années, et plus particulièrement au cours des deux dernières, nous avons constaté que les firmes de capital de risque étaient soudainement plus au fait de cette stratégie de marché. Nous avons donc l’impression d’être au tout début d’un cycle d’innovation engendré par ces firmes.

Nous pensons que d’ici cinq ou dix ans, il y aura une opporutnité importante pour les firmes de capital de risque qui découvriront de plus en plus de façons de s’associer à des acheteurs de secondaires. De même, les secondaires vont vraiment représenter une stratégie gagnante pour toutes les parties prenantes.

Nous constatons des tendances de croissance similaires du côté des investisseurs. Pour les raisons que nous avons mentionnées, ceux-ci sont de plus en plus intéressées à investir dans des véhicules alternatifs. Ils cherchent à gérer activement leur portefeuille de marchés privés, tout comme leurs portefeuilles de marchés publics, et les secondaires leur permettent de faire cela.

L’opportunité est présente pour tous, puisque ce marché est encore jeune. Il s’agit d’un vaste marché qui présente plusieurs possibilités et les acheteurs auront la chance de choisir la direction qu’ils veulent prendre, ce qui est très excitant.

J’ajouterais que les transactions secondaires seront probablement plus axées sur les solutions et les partenariats au fil du temps, les acheteurs de secondaires travaillant en partenariat avec les équipes de direction des entreprises et les firmes de capital de risque pour obtenir un rendement optimal

Dan : Je pense que la clé ici est effectivement le partenariat à long terme. C’est incroyable de voir l’évolution de notre partenariat avec Inovia et les opportunités de rencontrer de formidables contacts comme Veena et d’autres.

Je pense que la puissance du réseau d’Inovia en dit long sur la force de ses différents partenariats, de la loyauté à son égard et de sa croissance.

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