Comment Deligreens redéfinit le travail avec Holacracy

Laura Jalbert
Deligreens
Published in
8 min readMay 2, 2018

Hola quoi ? La Fête du Travail célébrée le 1er mai nous donne un excellent prétexte pour vous parler de notre système d’organisation un peu particulier. Si on vous dit : pas de manager, pas de hiérarchie pyramidale, pas de fiche de poste… Je commence à vous intriguer ? On vous explique tout aujourd’hui, avec l’aide d’Anys.

Une vision de notre Cercle Général sur Holaspirit, avec ses différents sous-cercles et rôles.

Microscopique introduction à l’Holacracy

Qu’est-ce qui empêche les gens de travailler ensemble de la façon la plus efficace possible ? C’est la question qui a donné naissance aux prémices d’Holacracy, dont la première Constitution fut rédigée en 2009. Il s’agit d’une technologie organisationnelle qui met à profit l’intelligence collective des individus qui composent l’organisation dans le but de servir sa raison d’être.

C’est du Chinois ? 🤔 On reprend, doucement.

L’organisation de Deligreens a une raison d’être, qui guide toutes les décisions prises par chaque associé (un associé = un membre de l’organisation) dans chacun de ses rôles. La raison d’être de Deligreens a été réfléchie et définie il y a quelques mois par les associés qui souhaitaient y participer, et la voici :

Simplifier l’accès à une nourriture locale, biologique et humaine, au moyen d’un service de livraison urbain, et d’une organisation durable, exemplaire et inspirante pour son écosystème.

Pas mal, non?

Ça c’est nous en train de réfléchir intensément à la définition de notre raison d’être cet été… Vous voyez les neurones qui chauffent là ?

La structure de l’organisation est composée de :

  • Cercles : un cercle regroupe plusieurs rôles. Un sous-cercle est considéré comme un rôle. Par exemple, Le Cercle Général comprend le sous-cercle “Les Créatifs”, qui comprend lui-même différents rôles comme “Burlat” (photos), “Jim Jarmusch” (vidéos), “Mère Brazier” (recettes), etc.
  • Rôles : chaque rôle peut disposer d’une raison d’être (quelle est la vocation de ce rôle) : par exemple, la raison d’être du rôle “Blog Master” est “animer le blog de Deligreens en publiant des contenus éditoriaux riches et inspirants”.
    Chaque rôle peut disposer d’un ou plusieurs domaines, qu’aucun autre rôle dans l’organisation ne peut utiliser sans son autorisation. Par exemple, “Blog Master” dispose du domaine “Blog Medium Deligreens”, ce qui signifie qu’aucun autre rôle ne peut publier sur le blog sans son autorisation.
    Chaque rôle peut disposer de redevabilités, qui désignent les activités que le rôle va mettre en œuvre. Ainsi, “Blog Master” a les redevabilités de :
    - “Créer, recueillir et publier des contenus éditoriaux sur le blog de Deligreens”
    - et “Analyser les données du blog”.

Un rôle ne correspond pas à une personne, les deux sont dissociés en Holacracy. Une personne peut avoir plusieurs rôles, et un rôle peut être “énergisé” par une ou plusieurs personnes.

(Si je suis en train de vous perdre, sauter directement à l’interview d’Anys quelques paragraphes plus loin, vous allez comprendre)

  • Chaque cercle a également quatre rôles “structurels”, qui permettent la gestion du cercle. Ces rôles sont élus lors d’une réunion de Gouvernance (voir plus tard) :
    - Le Premier Lien qui porte la raison d’être pour l’ensemble du cercle
    - Le Second Lien qui fait le lien avec le cercle supérieur
    - Le Facilitateur qui fait respecter la Constitution au sein du cercle et facilite le processus des réunions
    - Le Secrétaire qui organise les réunions et tient les registres du cercle
  • Les réunions doivent être le plus courtes possibles, respecter un processus bien précis et doivent faciliter le bon fonctionnement de l’organisation.
    Il existe deux types de réunions :
    - Les réunions de Triage ont pour but de faciliter les opérations du cercle. On partage des informations, on processe nos tensions, on demande de l’aide sur certains projets, on demande des projets à d’autres rôles…
    - Les réunions de Gouvernance ont pour but de travailler sur la “gouvernance” du cercle. Par exemple, on peut supprimer, créer ou modifier un rôle, ajouter une politique, élire les membres structurels, etc.

Si vous voulez en savoir plus, voici de quoi potasser la Constitution d’Holacracy, ainsi qu’une BD pour les plus visuels d’entre vous.

Pour essayer d’expliciter un peu mieux comment se passe l’Holacracy chez Deligreens, j’ai discuté avec Anys, qui énergise (avec Thibaut, Vincent et Jérémy) le rôle “Holacracy Guru” dont la raison d’être est de “diffuser les bonnes pratiques de l’Holacracy et de former l’ensemble des associés aux processus holacratiques”.

Laura: Si tu devais résumer ce qu’est Holacracy en une phrase, ce serait ?

Anys: Un système d’organisation qui s’inspire du vivant, de la nature.

L: Et en un peu plus développé ?

A: D’avoir des organisations qui soient agiles, facilement réagir aux changements extérieurs, organisations résiliantes, elles peuvent s’adapter rapidement sans trop en souffrir, où les personnes peuvent être complètement elles-mêmes. C’est-à-dire qu’il y a des rôles, et chaque personne peut avoir des rôles différents, ce qui permet d’utiliser le plein potentiel des gens.
Ensuite il y a tout un fonctionnement, qui permet d’exprimer tout ça, notamment un fonctionnement sans hiérarchie de personnes.

On peut comparer l’Holacracy à un système cellulaire : chaque rôle, comme chaque cellule, a une fonction propre. Tous les rôles ensemble forment quelque chose de plus important, un cercle ou un organe, qui eux-mêmes forment une organisation ou un être vivant. Le tout forme plus que la somme des parties : c’est le pouvoir de l’intelligence collective.

Holacracy vient du terme “holon” qui pourrait être défini comme à la fois un tout et une partie de ce tout. À méditer !

L: Concrètement, comment cela se traduit au quotidien chez Deligreens ?

A: Pour faire simple, tu as des rôles, il faut que tu connaisses tes rôles et ses raisons d’être, quelles sont tes redevabilités dans tes rôles (c’est-à-dire ce que tu dois faire pour que ta raison d’être soit appliquée), et tout les rôles avec lesquels tu es en interaction. Nous nous servons du logiciel Holaspirit pour enregistrer tout ça.
L’Holacracy exige de savoir communiquer sur ce que tu fais, savoir demander du feedback, savoir définir des priorités… Il y a également un langage spécifique : par exemple quand on parle de “tension”, c’est un écart entre la réalité et ce qu’on voudrait voir pour l’organisation.

L’exemple le plus parlant, ce sont sans doute les restructurations :
- Dans une entreprise classique, ça demande un plan de restructuration, il y a des DRH qui vont bosser dessus, on organise plein de réunions à plusieurs niveaux pour remplacer des gens et refaire des équipes...
- En Holacracy, en une seule proposition de gouvernance tu peux changer la structure de l’organisation pour s’adapter à la réalité. Etant donné que les rôles ne correspondent pas aux personnes, tu ne laisses personne sur le carreau. Par exemple, si quelqu’un part de l’entreprise, on va d’abord essayer de voir si des personnes souhaitent énergiser ses rôles au sein de l’entreprise avant de lancer un processus de recrutement.

Pour prendre un autre exemple de l’application de l’Holacracy, pour ma part j’ai commencé à travailler chez Deligreens pour m’occuper du site web, mais je m’occupe aussi du recrutement, des relations avec les écoles et universités pour des projets, ce rôle d’Holacracy Guru… Parce que j’ai des appétences pour ces sujets-là, je peux utiliser l’ensemble du spectre de mes compétences pour aider l’organisation. Dans une organisation classique, ç’aurait été plus compliqué.

Revue des indicateurs et des projets à chaque début de réunion, que tout le monde suit sur Holaspirit

L: Comment l’Holacracy a été mise en place chez Deligreens ?

A: Thibaut, Vincent et Jérémy ont entendu parler d’Holacracy pour la première fois dans la vidéo d’une conférence de Frédéric Laloux. Ils se sont beaucoup renseignés sur le sujet, et ont commencé à la mettre en place dès les premières embauches, en décembre 2016.
Au début, on essayait d’appliquer les règles de base avec notre degré de compréhension. Les trois fondateurs ont ensuite suivi une formation chez IGI Partners, et sont revenus en disant qu’on n’avait rien compris depuis le début ! Régulièrement, on fait des sauts de compréhension de ce qu’est l’Holacracy et on s’approprie des nouveaux concepts. On n’est pas encore matures, ça prend beaucoup de temps puisque ça t’oblige à changer d’état d’esprit, à bousculer tes conceptions. L’Holacracy passe par la pratique, et forcément par des erreurs, puisque l’on n’est pas accompagnés.

L: Quels sont les avantages d’un tel modèle ?

A: Être agile, pouvoir s’adapter rapidement, laisser le moins de place possible à l’implicite, à tout ce qui n’est pas clair : ce qui est de l’ordre du sous-entendu en théorie n’a pas sa place en Holacracy. Permettre aux membres de l’organisation d’avoir un maximum de libertés dans leurs rôles, de leur redonner l’autorité. Permettre aux gens d’être “entiers”, de pouvoir faire des choses différentes.

Pour vous donner une idée, voici quelques-uns des rôles que j’énergise aujourd’hui, seule ou avec d’autres personnes… Et ça peut changer demain !

L: Quelles sont les principales difficultés avec Holacracy ?

A: Remettre en question ses habitudes, changer de façon de penser. Par exemple, penser en rôles et non plus en poste, penser de manière schizophrène, réussir à exprimer ses tensions. Lâcher prise aussi parce que ça demande de faire confiance aux personnes qui énergisent leurs rôles et de mettre de côté un peu l’envie de tout contrôler. La plus grosse difficulté c’est aussi d’accompagner les gens, de faire en sorte que chaque personne comprenne, pratique, et fasse ce travail sur soi.

L: Penses-tu que l’Holacracy puisse s’appliquer dans toutes les entreprises ?

A: Non je ne pense pas que ce soit possible : déjà il faut une volonté de la part des dirigeants de remettre leur pouvoir dans les mains de l’organisation, ce qui n’est pas forcément évident. Ensuite il faut absolument avoir des membres de l’organisation qui soient volontaires, qui aient envie de prendre des initiatives, de mener des projets, et surtout qu’ils soient alignés avec la raison d’être de l’organisation. Ça veut dire que si tu es dans une boîte où la raison n’est pas évidente, où elle n’est pas forte, “d’utilité publique”, ça ne peut pas marcher.

L: Penses-tu qu’Holacracy pourrait être le système d’organisation des entreprises de demain ?

A: Oui, si elles ont toutes une raison d’être forte. De plus en plus, on se rend compte que les gens veulent travailler dans des entreprises de ce genre, donc forcément les entreprises vont suivre.

L: Chercher un modèle économique (startup) et travailler selon un nouveau modèle d’organisation (Holacracy) comme chez Deligreens, faisable ou complètement fou ?

A: C’est assez taré, mais c’est ça qui est cool ! Du coup on est cohérents, parce qu’on utilise un modèle qui correspond à nos valeurs, à notre raison d’être, qui nous permet d’être agile et de réagir au plus vite à chaque situation.

Et vous, vous connaissiez l’Holacracy ? Est-ce que c’est un modèle qui pourrait vous correspondre ? Posez-nous vos questions en commentaire, on y répondre avec plaisir !

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