Économie collaborative : la matrice des enjeux législatifs

Emmanuel Arnaud
Inside HomeExchange
4 min readDec 16, 2016

Toute entreprise de l’économie collaborative peut être placée sur une matrice très simple, qui permet de décrypter quels sont les enjeux complexes de réglementation qui s’appliquent à elle.

Alors que les taxis sont en train de manifester une nouvelle fois leur opposition farouche aux VTC, la tentation sera sans doute grande de résumer l’économie collaborative aux entreprises comme Uber. Ce serait une véritable occasion manquée, car la plupart des entreprises de l’économie collaboratives sont très différentes du géant américain…. et c’est d’ailleurs le problème. La diversité des entreprises collaboratives est tellement grande qu’il est très difficile d’en cerner leurs enjeux communs. C’est justement en sortant d’une réunion avec Pascal Terrasse, député de l’Ardèche, qui a rendu son rapport sur l’économie collaborative au Premier Ministre, que j’ai concocté la matrice ci-dessous. Elle regroupe les entreprises selon les deux dimensions qui conditionnent pour moi l’ensemble de leurs enjeux légaux et fiscaux. Je vais bien sûr l’envoyer à Pascal Terrasse, mais j’adorerais avoir vos feedbacks : pensez-vous que cette matrice aide à y voir plus clair ?

La matrice des enjeux législatifs de l’économie collaborative

Les entreprises de l’économie collaboratives sont extrêmement nombreuses : celles citées ici le sont uniquement pour illustrer le propos, en tant que représentantes les plus connues

Est-ce que ça n’est que pour l’argent ?

Sur la ligne du haut on retrouve les sites qui mettent en contact des gens qui ont un besoin avec des gens qui cherchent à faire du profit, comme les chauffeurs d’Uber ou les personnels d’entretien de Zaarly. Sur la ligne du bas on retrouve les sites qui mettent en contact des gens qui ne cherchent pas la rentabilité : les membres de GuesttoGuest, qui échangent gratuitement leurs maisons, ceux de Blablacar qui cherchent à partager les frais de trajets en voiture, ou les bénévoles de TimeRepublik. Entre les deux, j’ai mis des entreprises comme AirBnB et Drivy, dont certains membres cherchent à amortir leur appartement ou leur voiture, et dont d’autres membres cherchent à s’enrichir en finançant la constitution d’un patrimoine en appartements ou en voitures grâce au site.

Si une entreprise est dans la partie du bas, les membres sont par définition pas des acteurs amateurs, puisqu’ils ne peuvent pas gagner leur vie (et ils ne cherchent pas à le faire) grâce au site. Du coup, celà permet de s’éviter une grande partie des questions sur (1) la protection du consommateur, puisque celui-ci ne traite pas avec un pro et (2) la fiscalité des revenus, puisque ceux-ci sont soient inexistants (sites sans transaction financière), soit faibles, car servant uniquement à amortir un bien, pas à financer son acquisition. On est nécessairement dans du C2C. En revanche, dans la partie haute, les règles de protection du consommateur et les règles fiscales devraient s’imposer aux membres de ces plates-formes comme elles s’imposent déjà aux autres acteurs professionnels du secteur.

Toute la difficulté bien sûr se situe au niveau des entreprises à cheval entre le haut et le bas. Elles ont des membres qui devraient tomber dans la catégorie “des pros” et d’autres dans celle des “particuliers” : espérons que la puissance publique trouvera des critères simples et pertinents pour les distinguer.

Des perceuses et des hommes

Sur la gauche de la matrice, vous retrouvez les entreprises qui ne s’occupent que de biens matériels, comme voiture, maison, la perceuse ou des objets fabriqués par des membres (Etsy/A little Market). A droite vous retrouvez les sites où ce sont des personnes qui peuvent proposer leurs services. Entre les deux, on retrouve sans surprise Uber d’une part et Blablacar d’autre part, car à chaque fois il y a à la fois une voiture et une personne derrière le volant de celle-ci.

Si une entreprise est dans la partie gauche, on peut déjà évacuer les questions qui ont le plus agité les médias : celles autour du droit du travail. En effet, il n’y a pas d’enjeux de surexploitation des perceuses louées entre voisins ou des maisons échangées.

En revanche, si une entreprise est dans la partie de droite, la puissance publique a bien raison de se poser des questions sur la cohabitation entre droit du travail et prestations offertes sur de tels sites de l’économie collaborative. Pour les entreprises “à cheval” entre la gauche et la droite, il me semblerait pertinent de se concentrer sur celles du haut, comme Uber car la personne peut en faire son activité à plein temps, et non celles du bas, comme Blablacar dont les membres sont par nature des amateurs et n’ont pas une pratique du site leur permettant d’en vivre.

Alors, vous pensez que cette matrice peut aider Pascal Terrasse ?

Article initialement publié sur LinkedIn le 1er février 2016.

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