Médiation culturelle, accessibilité et archéologie : quels enjeux ?

Fanny Duverger
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7 min readApr 26, 2018

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En prévision de la MuseumWeek et plus particulièrement de la journée placée sous le hashtag #ProfessionsMW, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Yann Emery, médiateur culturel au musée de Préhistoire d’Île-de-France depuis 2004. Il m’a présenté son métier, ses missions et quelques-unes des nombreuses initiatives mises en place par le musée pour aller à la rencontre du jeune public et des visiteurs en situation de handicap.

Voici un petit compte-rendu de notre échange ; bonne lecture ! 😊

Quelles sont les missions d’un médiateur culturel ?

Au musée de Préhistoire d’Île-de-France, le service médiation est un petit service constitué de trois personnes. Elles sont chargées de l’accueil physique du public et participent à la conception des expositions temporaires et à la réflexion sur la présentation des collections permanentes.

Lors de ces concertations, le service médiation apporte au reste de l’équipe sa connaissance des publics et de leurs spécificités. Son rôle : sensibiliser aux besoins et contraintes des différents types de publics, notamment le jeune public et les visiteurs en situation de handicap. Dans ce cadre, les médiateurs produisent également les supports de médiation disponibles au musée, tant d’un point de vue éditorial que graphique. Ils sont donc les garants de l’accessibilité de tous les publics au propos de l’exposition, du parcours.

Pour les expositions temporaires, le service médiation conçoit notamment des livrets-jeux et, quand le thème s’y prête, des dispositifs ludiques à destination du jeune public. Les médiateurs ont fait le choix, en revanche, de ne pas proposer de texte s’adressant spécifiquement aux enfants : une façon de les intégrer au propos général de l’exposition.

Outre ces missions, communes à l’ensemble des médiateurs, Yann Emery est en charge des projets numériques : c’est lui qui alimente le site internet du musée et a veillé à la bonne réalisation de son application « guide de visite ».

Un petit aperçu de l’application “guide de visite” du musée de Préhistoire.

Quelles sont les spécificités de la médiation dans le cadre d’un musée traitant de la Préhistoire ? Quelles sont les difficultés majeures à surmonter ?

Au musée de Préhistoire d’Île-de-France, tous les médiateurs sont également des archéologues de formation et n’ont donc aucune difficulté technique à présenter cette discipline.

Les médiateurs ont la chance de s’adresser à des enfants, un public naturellement curieux. Qui plus est, certains enfants — les élèves de CM1 et 6ème notamment, aux programmes desquels est inscrite la Préhistoire — sont déjà sensibilisés à ce sujet et donc d’autant plus réceptifs et enclins à participer. Cependant, cet enseignement renforce parfois les stéréotypes véhiculés sur cette période. C’est le rôle du médiateur de les déconstruire.

L’un des principaux défis que doivent relever les médiateurs consiste à faire saisir aux jeunes visiteurs — et même aux plus âgés — la durée qui nous sépare de cette période. Un autre défi consiste à apprendre aux enfants à distinguer les connaissances qui s’appuient sur des découvertes archéologiques des hypothèses formulées à partir de ces découvertes mais qu’aucune « preuve » ne vient formellement confirmer.

Atelier de bronzier et forgeron gaulois © G. Tosello

Dans le cadre d’une médiation adressée au jeune public, l’image — qu’il s’agisse d’une peinture, d’une maquette ou autre — joue un rôle prépondérant. Ces représentations aident les enfants à visualiser le mode de vie de ces lointains ancêtres. Les médiateurs invitent en outre les enfants à en faire l’analyse critique, afin de leur apprendre à distinguer ce qui relève de la reconstitution historique de ce qui relève de l’extrapolation.

Qui sont les principaux visiteurs du musée de Préhistoire d’Île-de-France ?

On l’aura compris, le musée de Préhistoire accueille de très nombreux scolaires, de la primaire au lycée, en particulier des élèves de CM1 et de 6ème qui étudient cette période en classe.

Pour entretenir et développer ces relations avec les établissements scolaires, le musée de Préhistoire met en place une politique de partenariats. L’équipe de médiation propose à chaque classe, chaque âge, une série d’activités adaptées pour découvrir cette période. Cette démarche de partenariat est particulièrement développée avec les collèges — dans une moindre mesure avec les écoles primaires et lycées.

Ainsi, dans le cadre de leur cours de technologie, les élèves de 5ème du collège Arthur Rimbaud de Nemours ont réalisé des fouilles sur le thème de l’habitat afin d’émettre des hypothèses et, enfin, de construire — sous forme de maquette puis en grandeur nature — « leur » habitat préhistorique.

Habitat préhistorique. © G. Tosello

Quant aux lycéens, ils ont la possibilité de passer une matinée au musée autour du thème « Origines de l’homme ». Dans ce cadre, on leur confie le moulage d’un crâne d’hominidé à partir de l’étude duquel ils tentent d’établir les caractéristiques de l’espèce à laquelle il appartient.

Le musée accueille également un public familial nombreux. Les familles visitent l’établissement plus librement que les scolaires mais, pour elles aussi, le musée se met à hauteur d’enfant. Le parcours permanent est ainsi ponctué de représentations de la vie quotidienne à l’époque de la Préhistoire qui captent l’attention des plus jeunes et les aident à comprendre les objets exposés et leur contexte d’usage.

Comment les attentes de ces visiteurs ont-elles évoluées ces dernières années ?

Depuis 2001, date à laquelle Yann Emery est devenu médiateur culturel, les attentes des visiteurs ont bien changé. Les visiteurs sont désormais à l’aise avec le numérique, qu’ils utilisent abondamment dans leur vie quotidienne.

Habitués à accéder à l’information via leur ordinateur, leur portable ou leur tablette, ces visiteurs ne s’attendent pas à faire autrement au musée. Le musée doit respecter leurs pratiques à l’extérieur et s’y adapter pour rendre leur accès à l’information le plus naturel et évident possible.

Est-ce pour répondre à ce besoin que le musée a lancé son application « guide de visite » ?

En partie, oui : peu d’éléments informatifs sont disposés au sein même du parcours permanent du musée. Sans support de médiation complémentaire, son discours se révèle donc difficile à saisir. Jusqu’à présent, les visiteurs recevaient un guide papier mais ce dernier s’est peu à peu révélé incomplet et surtout désuet. L’application « guide de visite » au contraire correspond mieux aux pratiques des visiteurs et peut être régulièrement mise à jour et complétée.

L’application du musée présente tant ses collections que son bâtiment, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et labellisé “Patrimoine du 20ème siècle”.

Quels sont les autres projets numériques du musée pour l’avenir ?

Yann Emery aimerait intégrer un parcours « enfants » à l’application du musée. Il espère également bénéficier du projet numérique élaboré par le département de Seine-et-Marne et qui sera mis en œuvre dans les années à venir.

Ce projet doit permettre d’équiper l’ensemble des musées du département en dispositifs numériques. Des tables multi-touch permettraient ainsi de faire découvrir aux visiteurs du musée de Préhistoire d’Île-de-France différentes techniques archéologiques, comme la fouille.

Ce projet départemental comprendrait également une campagne de numérisation qui permettrait de modéliser en 3D certains objets conservés par le musée, afin de pouvoir les découvrir sous toutes leurs faces et, du moins virtuellement, les manipuler.

Enfin, ce serait l’occasion d’équiper l’espace « détente » d’une borne afin de donner accès aux sites internet des établissements partenaires du musée, comme l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, et de valoriser ces partenariats.

Enfin, le musée s’engage beaucoup pour l’accessibilité des publics en situation de handicap. Quels sont les dispositifs de médiation proposés à ces visiteurs ?

Le musée de Préhistoire a notamment réalisé, en concertation avec des visiteurs malvoyants et une association, une série de boîtes tactiles. Ces boîtes permettent de découvrir par le toucher la technique de la taille de la pierre, le travail de l’os et du bois, la poterie et la métallurgie. Conçues à l’origine à destination du public non-voyant ou malvoyant, ces cinq boîtes rencontrent un grand succès auprès du jeune public, friand de ce genre de manipulation.

Les boîtes tactiles du musée de Préhistoire. © MPIF/Département77

Par ailleurs, une vidéo en LSF est disponible sur le site internet du musée et le spectacle présenté in situ est également sous-titré afin d’être accessibles à tous.

Depuis le 1er janvier, le musée est fermé pour travaux et ne rouvrira que mi-septembre 2018. Comment faire vivre les collections et l’établissement pendant cette période ?

En ligne tout d’abord, où le musée soigne sa présence : outre les ressources documentaires mises à disposition sur son site internet et son application mobile, il alimente régulièrement sa page Facebook.

Par ailleurs, fermer ses portes n’est pas un obstacle à la mise en place d’une programmation culturelle. Ainsi, le musée de Préhistoire met en place une série de conférences hors les murs. Il organise également l’itinérance de son exposition « Mémoire rupestre » dans le secteur du massif de Fontainebleau. Enfin, l’un des objets emblématiques de sa collection, la pierre gravée du site paléolithique d’Etiolles, sera exposé à Evry, en Essonne puis au musée d’archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye.

Merci encore à Yann Emery d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. 😊

Si vous avez des questions sur la médiation numérique et la façon dont elle peut vous aider à valoriser vos collections, n’hésitez pas à nous contacter. 😊

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Fanny Duverger
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Responsable de la communication chez #smArtapps. Passionnée par les musées et la quête du mot juste.