WWDC 2019, Apple réaffirme sa différence
Quelques semaines après la conférence Google I/O placée sous le signe de la “privacy”, c’est au tour d’Apple de présenter ses innovations aux développeurs. Dans une keynote d’ouverture dense et avec une volonté de s’adresser au plus grand nombre, Apple a égrainé les annonces fortes en allant puiser dans son ADN, afin d’affirmer encore et toujours sa différence vis-à-vis de ses concurrents sur le terrain de la vie privée, de l’expérience utilisateur et de la qualité de ses services.
La vie privée comme un mantra
Face à une société et des utilisateurs de plus en plus soucieux de la protection de leurs données et suite aux scandales et poursuites en justice ayant écorné l’image de Facebook ou de Google sur les derniers mois, la firme à la pomme n’a pas lésiné sur les effets.
Sur l’écran géant du McEnery Convention Center de San José se sont succédées des phrases simples sur la sécurité et la vie privée, assénées comme des mantras afin de mieux frapper les esprits tout en visant à demi-mot la concurrence : “You control your data”, “Apple doesn’t record or save your audio”, “Private and secure”, etc.
Pour Tim Cook, le respect de la vie privée est un “droit humain fondamental”. Associant les actions aux mots, plusieurs avancées technologiques sont venues agrémenter cette stratégie qui n’est pas uniquement un discours, mais un véritable positionnement. La firme de Cupertino ne se rémunérant pas sur la publicité mais sur la vente de hardware et de service, les données privées lui sont moins essentielles dans la croissance de son activité que ses concurrents.
Preuve en est avec la mise en avant du “Sign In with Apple”. Celui-ci, à l’instar du “Sign in with Facebook” ou “Sign In with Google” permettra aux utilisateurs de s’inscrire ou de se connecter à un service de manière aisée mais, contrairement aux deux premiers, aucune donnée personnelle ne sera alors partagée aux applications tierces. Il sera même possible d’utiliser une adresse électronique privée, générée aléatoirement en lieu et place de son adresse personnelle. Toutes les applications iOS disposant du “Sign In”, Google/Facebook devront obligatoirement proposer le “Sign in with Apple”.
Sur le plan de la géolocalisation, il ne sera plus possible, pour les applications tierces, de tracer les signaux Wifi et Bluetooth des utilisateurs, et ceux-ci auront désormais la possibilité de n’accepter d’être localisé par une application qu’une seule fois et de ne re-demander l’autorisation que lorsque cela sera de nouveau nécessaire.
En parallèle de la conférence, Apple a mis à jour ses guidelines dans le but d’interdire les librairies de publicité, d’analyse et de collecte de données dans les applications de la catégorie Kids de l’App Store.
Autre exemple, HomeKit, qui permet de gérer les objets connectés de son domicile, proposera deux services incluant une logique forte de privacy. Le HomeKit Secure Video, pour lequel les données des vidéos de surveillance récoltées sont encryptées et stockées de manière sécurisée sur le cloud Apple, et le HomeKit Enabled Routers, qui permet de protéger l’écosystème d’objets Apple connectés des utilisateurs contre les attaques extérieures.
Accélérer la personnalisation des supports…
Face au recul des ventes de mobiles par rapport aux années précédentes et sur un marché saturé où Apple se voit dépassé par Huawei, la firme à la pomme réagit en se renforçant un peu plus sur les autres segments. Leader incontesté sur la vente de tablettes et des “wearables”, grâce notamment à l’Apple Watch et aux Airpods, il n’est donc pas étonnant que la firme de Cupertino continue à investir sur ces supports. Après des années de vie commune, l’iPad et l’Apple Watch vont pouvoir s’émanciper du mobile.
Les applications Apple Watch deviennent, à l’aide de watchOS 6, totalement indépendantes du mobile. Ainsi, il sera possible de développer une application exclusivement dédiée à l’Apple Watch sans avoir besoin de développer une application mobile, l’objectif étant de dynamiser le développement de services tiers sur ce support. Dans cette même logique la montre connectée d’Apple se voit agrémentée d’un App Store autonome consultable directement sur celle-ci.
L’iPad, quant à lui, se voit désormais doté d’un OS dédié, l’iPadOS. Derrière cet effet d’annonce (iPadOS reposant pour cette année sur iOS 13), Apple souhaite démontrer sa volonté de fournir une expérience spécifiquement pensée pour les utilisateurs de tablette avec l’ambition de faire de son iPad un véritable desktop killer.
Nombreuses sont les nouveautés qui donnent plus de consistance et d’ouverture à l’écosystème de la tablette d’Apple : nouvel écran d’accueil, amélioration du multitâche, possibilité d’utiliser son iPad comme l’écran secondaire d’un Mac, compatibilité avec l’USB et les disques externes, amélioration de la navigation web, nouveaux gestes intuitifs pour copier/coller, etc. Il sera même possible, dans une volonté d’accessibilité, de contrôler l’iPad avec une souris !
…tout en garantissant la transversalité de leurs développements
Si l’iPad prend un peu de distance avec iOS, c’est aussi pour mieux se rapprocher du Mac et de son nouvel OS Catalina. Apple a, dans cette perspective, présenté le projet Catalyst. Autrement connu sous le nom de Marzipan, son ambition est de pouvoir porter les applications iPad sur Mac avec un minimum d’effort. Il suffira en effet de cocher une case dans Xcode (le logiciel de développement d’Apple) pour qu’une application iPad soit compatible avec MacOS.
Moyennant quelques ajustements au niveau du design, cela devrait donc permettre d’enrichir de manière conséquente la bibliothèque d’applications du Mac, tout en garantissant une adoption plus conséquente des nouveaux paradigmes de navigation apportés par l’iPadOS. Cela permettra également de lisser les coûts de production des applications iPad et de leur ouvrir une nouvelle audience et un nouveau marché. Il existe en effet plus de 100 millions d’utilisateurs Mac actifs dans le monde.
Aussi, dans cette optique de « transversalisation » des développements, Apple a agréablement surpris les développeurs en présentant SwiftUI, un framework de programmation déclarative dédié à la création d’interface sur tous les supports Apple (mobile, desktop, tablette, watch, tv).
Grâce à ce framework et à son interface de développement intégrée à Xcode, il suffira de quelques lignes de code (contre des centaines auparavant) pour construire un écran. Il est également possible, grâce au “hot reload”, de visualiser instantanément les changements effectués sur le code dans le simulateur d’application ou sur un téléphone, ce qui facilite le débogage. Le drag & drop des éléments d’interface permettra de générer automatiquement le code associé.
Si l’idée n’est pas nouvelle et est fortement inspirée de ce que peut proposer Flutter, l’outil de développement d’application cross-platform de Google, cela devrait apporter aux développeurs un gain de temps conséquent. Cela préfigure le futur du développement d’applications dans l’écosystème Apple. Un écosystème personnifié pour l’utilisateur mais unifié pour les développeurs.
iOS et la mode du Dark
Le système d’exploitation de l’iPhone a également eu droit à son lot d’améliorations avec la présentation d’iOS 13. Contrairement à son concurrent Android, les différentes versions d’iOS bénéficient toujours d’un fort taux d’adoption de la part des utilisateurs. iOS 12 est aujourd’hui utilisé par 85% des possesseurs d’iPhone et d’iPad. Cependant, si iOS 12 était exécutable par la même flotte d’appareils qu’iOS 11, iOS 13, lui, délaisse les iPhone SE, 6 et 6+.
Dans une démarche d’amélioration continue, l’accent a de nouveau été mis sur les performances afin de réduire un maximum les points de friction. À l’ère des PWA, il est essentiel de pouvoir rendre le parcours de l’utilisateur le plus fluide et transparent possible. Ainsi, le déverrouillage du téléphone via Face ID sera 30% plus rapide, les applications se lanceront deux fois plus vite, la taille des applications sur le store sera divisée par deux, et les mises à jour seront 60% plus rapides. Pour la première fois, les utilisateurs auront également la possibilité de désactiver la limitation sur le téléchargement sur réseau cellulaire des applications ayant une taille supérieure à 200 Mo.
Le Dark Mode sur mobile était attendu par la communauté des utilisateurs. Suivant Google, qui a annoncé un Dark Mode sur Android Q, Apple a donc décidé de donner une touche de sombre à iOS 13 afin de renouveler l’interface graphique de l’iPhone sans complètement la remanier. Ce mode sombre n’est pas qu’un gadget, puisqu’il devrait permettre de diminuer la consommation d’énergie sur les écrans de type OLED. L’usure prématurée des batteries étant un problème souvent pointé du doigt sur iPhone, iOS 13 bénéficiera également d’une option d’optimisation permettant de ne charger son téléphone qu’à 80%.
iOS 13 améliore également cette année un grand nombre de ses applications afin de les remettre au goût du jour. Plans rattrape doucement son retard sur Google Maps, en proposant une modélisation plus détaillée, uniquement disponible aux États-Unis pour le moment, et pas avant la fin d’année, et un mode de visualisation et de parcours de rues nommé “Look Around”, similaire à Google Street View. Un raccourci permettra également d’accéder plus facilement à ses favoris. Photos a également droit à un relifting de son interface et de l’organisation des fichiers, l’intelligence artificielle s’occupera de supprimer les doublons et il sera possible d’ajouter des filtres sur les vidéos. Les applications Rappels et Notes ont été également repensées. Les Memojis seront encore plus personnalisables et pourront être envoyés sous forme de stickers dans Messages.
Ainsi, la marque démontre qu’elle est à l’écoute des clients et des tendances et qu’elle avance pas à pas pour fournir une expérience optimale à ses utilisateurs mobile.
Un regard tourné vers le futur avec la réalité augmentée
Ce n’est plus vraiment un secret : Apple travaille d’arrache-pied sur des lunettes de réalité augmentée. Tim Cook est convaincu qu’à terme, ce dispositif deviendra aussi populaire que les smartphones. Si d’autres constructeurs, tels que Microsoft avec l’Hololens, proposent déjà des dispositifs de réalités augmentées, ceux-ci sont actuellement onéreux et réservés à un public professionnel. La firme de Cupertino voit plus loin et pourrait être, comme pour le smartphone, celle qui montrera la voie en créant le produit qui permettra de révolutionner le marché. Une annonce pourrait même potentiellement intervenir durant la keynote de septembre 2019, pour une release en 2020 ! Le redesign de l’application Plans n’est en ce sens pas anodin et pourrait avoir été pensé pour ce type de dispositif.
En attendant, Apple continue son effort de démocratisation de la réalité augmentée sur ses smartphones et des outils permettant de lui donner vie. Ces lunettes pourraient en effet s’appuyer initialement sur une connexion avec l’iPhone et sur les mêmes frameworks. Fournir dès maintenant les outils aux développeurs permettrait de les familiariser et de pouvoir proposer des applications de qualité rapidement. Les avancées présentées lors de la WWDC vont dans ce sens et sont une nouvelle fois conséquentes.
ARKit 3 place les utilisateurs au cœur de la réalité augmentée grâce à l’ajout de la motion capture, qui permet de suivre les mouvements du corps et de les reproduire, et grâce à l’ajout de la “people occlusion”, qui permet de voir une personne se déplacer autour des objets en réalité augmentée tout en les masquant ou en étant masqué. L’objectif est de créer des expériences plus immersives. Dans cette logique, ARKit prend en compte la caméra avant et arrière du téléphone, ce qui permet de partager l’expérience à plusieurs. La caméra pourra suivre jusqu’à trois visages simultanément.
Si ARKit passe en version 3, ce n’est désormais plus le seul outil à disposition des développeurs pour créer des expériences de réalité augmentée. Il est désormais accompagné de Reality Kit, qui permet de créer des univers de réalité augmentée avec un rendu photo réaliste, des effets de flou et de caméra, d’ajouter des sons spatialisés. Un troisième outil, l’application Reality Composer permet, lui, de créer très facilement des prototypes ou des séquences en réalité augmentée pour iOS, iPadOS et MacOS via drag&drop et pouvant être intégrée à une app Xcode ou exportée vers l’application Quick Look.
Le machine learning au cœur des applications
Avec CoreML 3, les modèles de machine learning (embarqués directement sur le smartphone) s’intègrent encore plus au cœur des usages, en offrant la possibilité d’être mis à jour en temps réel avec les données de l’utilisateur. Cela permet ainsi de personnaliser le modèle en fonction de ses habitudes, tout en préservant la confidentialité des données récoltées. Core ML supporte désormais les modèles de machine learning les plus sophistiqués.
La voix de l’accessibilité
Sur le plan du vocal, Apple est en retrait par rapport à Amazon et à Google. Pour essayer de rattraper ce retard, des modifications ont été apportées à SIRI, notamment sur sa voix, qui devient plus naturelle et se rapproche d’un rendu humain. Shortcuts, l’application qui permet d’associer une commande vocale à un ensemble d’action (par exemple, “commander un taxi”) devient plus simple d’utilisation puisqu’il n’est plus nécessaire de réenregistrer vocalement les commandes proposées par défaut par les applications avant de pouvoir les utiliser. De plus, les Shortcuts pourront être lancés de manière automatisés à des moments précis de la journée.
Enfin dans une logique d’accessibilité, mais qui pourrait préfigurer de nouveaux usages vocaux, il sera possible de commander son Mac entièrement à la voix, avec le Voice Control.
Le changement dans la continuité
Initialement dédié au téléchargement et à la vente de musique, iTunes est devenu au fil des années le logiciel à tout faire du Mac. Apple, dans le sillage de Netflix et Spotify, souhaite renforcer son positionnement d’acteur fort sur la création de services. L’annonce de l’abandon d’iTunes au profit de trois applications dédiées à la musique (telle que l’était initialement iTunes), aux podcasts et aux contenus télévisuels, suit cette logique.
L’un des moments remarquables de cette keynote aura également été la présentation du nouveau Mac Pro dédié, comme son nom l’indique, à un public professionnel. L’attente était forte dans la communauté, le Mac Pro n’ayant pas reçu de mise à jour majeure depuis quelques temps. Apple a voulu frapper fort aussi bien aux niveaux des spécifications impressionnantes (processeur Intel Xeon W de 28 cœurs, 1,5 TB de RAM, 4To de stockage SSD et jusqu’à 4 cartes graphiques AMD Radeon Pro Vega II Duo) qu’au niveau du prix très élevé. Le nouveau Mac Pro se veut modulaire et reconfigurable à souhait : le modèle de base sans écran coûtera cependant 6 000$ et le pied d’écran 999$, ce qui n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux.
Cela n’est pas étonnant et suit totalement la philosophie d’Apple qui, plus que de la technologie, vend des concepts, un design et des idées qui font sa singularité sur le marché et également son succès.
Cette WWDC 2019 aura, de ce point de vue, rempli les attentes et permis à Apple de réaffirmer son positionnement et ses valeurs.
AURÉLIEN FERRY, RESPONSABLE TECHNIQUE MOBILE