Les Social Impact Bonds : pour une collaboration (enfin) vertueuse entre le privé et le public

Institut de l'Entreprise
Institut de l'Entreprise
6 min readMar 14, 2016

--

Confrontée à des contraintes budgétaires croissantes et à des difficultés sociales grandissantes, la France doit trouver comment financer l’action sociale. Aujourd’hui, partout dans le monde, le secteur social se tourne vers un nouveau modèle innovant : les Social Impact Bonds, ou contrat à impact social.

Les chiffres sont implacables : la France est championne du monde de la dépense publique, le chômage de longue durée n’a jamais été aussi élevé, la grande pauvreté a augmenté de 30% de 2002 à 2011, le nombre de foyers allocataires du RSA est passé de 1,8 million fin 2010 à 2,4 millions fin 2014…

Tout n’a pas été essayé

Il est temps de reconnaître que les modèles traditionnels de financement de l’action sociale touchent leurs limites. Aujourd’hui, ils relèvent encore tous de la « philanthropie », qu’elle soit publique ou privée. D’un côté, les subventions publiques continuent de soutenir l’action sociale, et ce en dépit d’une efficacité qui reste à démontrer. De l’autre, l’argent privé finance des fondations à vocation caritative dont l’action ne fait pas l’objet d’évaluation par le public.

L’action sociale se retrouve ainsi dans un cercle vicieux, entre contraintes budgétaires, désengagement de l’Etat et concurrence d’un secteur privé qui, sans contrôle ni encouragement, ne cherche pas de lui-même à jouer un rôle social.

Comprendre à quoi pourrait ressembler un contrat à impact social

La France est-elle pour autant dans une impasse ? Non, car tout n’a pas encore été essayé. Il existe une solution, expérimentée partout dans le monde et qui arrive en France sous le nom de « Contrat à Impact social ».

Ce 15 mars, Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Economie sociale et solidaire, a officiellement lancé l’appel à projets interministériel.

Le Contrat à Impact social est la déclinaison française des Social Impact Bonds (SIB). Le principe ? Le SIB est un montage financier qui permet de lever des fonds privés pour financer des actions sociales innovantes et souvent préventives.

L’Etat ne paie que si les résultats sont bons

L’autorité publique confie à une organisation, par exemple une association, une mission précise avec des objectifs identifiés (faire baisser le taux de récidive, lutter contre l’illettrisme, etc.). Le privé finance l’action et assume le risque financier dans l’espoir d’un gain en cas de succès du programme. Si l’initiative réussit, l’autorité publique rembourse le privé (avec des intérêts en cas de dépassement des objectifs). En cas d’échec, elle ne doit rien et n’a engagé aucune dépense.

Le Washington Post résume bien la philosophie du mécanisme, qualifié d’« étonnante nouvelle approche des questions sociales » : le gouvernement ne paie que pour des résultats.

Il ne s’agit donc en aucun cas d’une privatisation de l’action sociale ou d’un « chèque en blanc » fait aux entreprises, mais au contraire d’une collaboration vertueuse entre le public et le privé qui s’appuie sur le « métier » de chacun :

  • L’autorité publique fixe les objectifs, et conserve donc la maîtrise des orientations de l’action sociale.
  • Le privé fait ce qu’il sait faire : prendre des risques (il peut perdre sa mise en cas d’échec) et rechercher l’efficacité de l’action pour que son investissement rapporte.
  • Le tissu associatif amène son expérience, son savoir-faire dans la mise en œuvre de l’action.

Un tiers indépendant (cabinet d’audit) contrôle que le privé a bien atteint les objectifs fixés par le public.

Ce dispositif n’est pas miraculeux. Toutefois, parce qu’il permet de prévenir et d’aligner les intérêts, il constitue une innovation sociale majeure. Avec les SIB apparaît une nouvelle philosophie de l’action publique : l’expérimentation et la collaboration, autour de l’efficacité mesurée grâce aux données. La recherche de l’impact plutôt que les moyens donnés à l’aveugle.

Passer de la dépense sociale à l’investissement social

Le SIB le plus célèbre, et l’un des premiers menés en Grande-Bretagne, est sûrement l’expérimentation conduite à la prison de St Peterborough pour diminuer en cinq ans de 7,5% le taux de récidive d’un groupe de 2000 détenus. Les premiers résultats, très encourageants, montrent que la récidive a diminué de 8,4%. Néanmoins, le gouvernement britannique a stoppé le programme en 2015, trois ans avant la date prévue. Un des défauts du programme résidait dans le fait que les détenus étaient volontaires, alors que la sélection aurait dû être aléatoire.

Cet exemple illustre deux rouages majeurs des SIB :

  • L’évaluation est primordiale. À partir de quand peut-on considérer que le SIB est un succès ? Quels indicateurs permettront de les vérifier ? Comment les construire ? La recherche progresse en la matière. Grâce à l’appui de nouvelles techniques (comme les essais « randomisés », issus entre autres des travaux d’Esther Duflo), il devient possible de construire des indicateurs dont la fiabilité s’améliore substantiellement.
  • Même un SIB qui n’est pas un succès peut bénéficier à l’action publique. Le gouvernement britannique a décidé de mettre en place un programme de réinsertion des prisonniers à l’échelle nationale, en s’appuyant sur les enseignements du dispositif du SIB de Peterborough et les données collectées pendant l’expérimentation.

Les champs d’action possibles sont très larges : l’enfance, l’exclusion sociale (notamment la réinsertion des SDF), le chômage…

Que peut-on faire en France ?

Le scénario développé dans la vidéo en début d’article est totalement envisageable : en mettant en place des cours de gymnastique douce pour les personnes âgées à faibles revenus financés par un investisseur privé, on peut agir pour repousser l’âge d’entrée moyen dans la dépendance forte des seniors, notamment en limitant les risques de fracture osseuse. En cas de succès, ce SIB permettrait de retarder le versement d’allocations comme l’aide sociale à l’hébergement (ASH) ou l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) ainsi que les dépenses liées à la prise en charge par les familles.

On peut imaginer également d’œuvrer pour l’insertion dans l’emploi de bénéficiaires du RSA grâce à une formation contre l’illettrisme.

On compte actuellement une cinquantaine de SIB en cours ou en projet à travers le monde… Il est temps que la France s’y mette, que l’ensemble des acteurs — publics et privés, investisseurs et associations — prennent toute leur place dans la mise en œuvre et la diffusion de cette innovation au service du progrès social en se saisissant des contrats à impact social.

Un avis ? Un projet ? Parlons-en sur @inst_entreprise ou sur Facebook

Pour en savoir plus :

La note de l’Institut de l’entreprise, par Benjamin Le Pendeven, Yoann Nico et Baptiste Gachet :

Social Impact Bonds : un nouvel outil pour le financement de l’innovation sociale

--

--

Institut de l'Entreprise
Institut de l'Entreprise

L'Institut de l'Entreprise : Travaux & réflexions sur l'#entreprise et son environnement.