Emmanuelle Barbara : “Réécrire le droit du travail, en remplaçant le lien de subordination par un lien de coopération.”

Institut de l'Entreprise
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7 min readDec 6, 2016

Mercredi 30 novembre, à l’invitation de l’Institut de l’entreprise, 12 intervenants de la société civile se sont rêvés l’espace d’un instant dans la peau du prochain Président de la République. Emmanuelle Barbara, avocate spécialiste en droit social et Associé-Gérant du cabinet d’avocats August Debouzy, a profité de sa tribune pour porter un projet ambitieux : refonder le droit du travail, non sur la subordination, mais autour du concept de collaboration. Nous retranscrivons son discours ci-dessous.

Quand on pense « travail », on pense contrat-de-travail-à-durée-indéterminée. C’est comme ça. Le « plein emploi » est synonyme de salariat pour tous.

Le travail n’a pas la cote. Il est vu comme délétère, déshumanisé, parfois pénible, et souvent source de souffrance…

Pire, il est mis à mal par l’automatisation qui prédit la disparition de millions d’emplois. Quant à la robotisation et l’intelligence artificielle, elles imposeraient la création d’un rapport de travail entre la machine et l’homme, totalement inédit.

Enfin on observe déjà l’émergence d’une nouvelle économie qui tire parti de la plateforme numérique et vient chambouler toutes nos certitudes définitivement.

Dans ce contexte, on voit bien que cette conception du travail ne colle plus. Elle est devenue anachronique et réductrice.

Regardons de plus près ces plateformes.

Elles n’ont rien de commun :

  • Les unes créent un marché où les producteurs trouvent leurs consommateurs pour des services rendus à titre onéreux,
  • Les autres proposent à chacun d’être tour à tour producteur ou consommateur d’un service, à titre onéreux ou non,
  • D’autres enfin proposent de contribuer à l’amélioration de biens, de services, de savoirs, plutôt à titre gratuit, éventuellement à titre onéreux, en argent ou en nature.

Aucun doute que ces nouvelles activités sont créatrices de valeur. Pourtant ces activités ne sont pas pour la plupart reconnues ni qualifiées de « travail ».

On sent bien pourtant que cette nouvelle économie qui foisonne définit de nouvelles règles du jeu et que chaque jour de nouvelles start-ups se créent en recourant à des règles et des ressorts d’un genre nouveau.

Les entreprises traditionnelles ne s’y trompent pas. Elles empruntent à la nouvelle économie non seulement le vocabulaire mais aussi et surtout de nouveaux modes d’organisation :

  • On se réfère au travail collaboratif exaltant la confiance plutôt que le contrôle en créant l’univers des « co- » : coopération, coordination, communication, cohésion,
  • On supprime ici et là le management intermédiaire, comme chez Chrysler
  • On instaure le coaching plutôt que la hiérarchie, Orange venant d’instaurer le « manager collaboratif »
  • On supprime les évaluations annuelles ailleurs, comme l’a fait General Electrics,
  • On mélange les genres : on crée des pépinières « d’intrapreneurs » comme chez Publicis, où les salariés sont également entrepreneurs au sein de l’entreprise…

Fini le modèle stable et pérenne inscrit dans le temps long. Place au temps court, cadencé par les hackathons de toutes sortes, place aux espaces innovation, à l’agilité de l’entreprise mais aussi du salarié.

Les caractéristiques du travail salarié au XXIème siècle s’organisent dans une horizontalité amplifiée par les technologies qui vient en contradiction avec l’organisation verticale de l’entreprise à l’ancienne.

Mais nous en sommes encore au stade de la sidération, disons du scepticisme caustique quant à la réelle horizontalité de ces modes d’organisation qui s’accommodent assez mal de notre goût pour le chef, pour le pouvoir hiérarchique et centralisateur qui nous va ou qui nous allait si bien.

Il n’empêche. Ce mouvement d’organisation horizontale qui touche l’entreprise traditionnelle et qui est consubstantielle à la nouvelle économie est irréversible. Il est temps que le discours politique et juridique s’accorde pour dire que cette vision du contrat de travail à durée indéterminée enfermée dans un lien de subordination et une ancienneté appréciée sur le temps long n’est plus adapté pour servir de véhicule utile à l’expansion de la société qui en résulte.

Quelques indices :

  • Il y a moins de CDI : 90% des embauches s’effectuent en CDD courts
  • Il dure moins longtemps : 1/3 des CDI ne franchissent pas une année
  • Une majorité de salariés n’envisage pas d’occuper le même emploi jusqu’à la retraite
  • Il rebute les 18/34 ans qui rêvent d’autonomie et d’épanouissement personnel.

A l’inverse, si l’on admet que la nouvelle économie s’appuie sur du « travail » qui mérite d’être considéré comme tel, alors on doit admettre :

  • qu’il est plus facile d’accès,
  • qu’il se cumule facilement avec d’autres activités plus classiques,
  • qu’il est en un mot infini à l’heure où l’on prédit une baisse de travail humain traditionnel.

Faut-il l’interdire ? Bien sûr que non.

Faut-il alors annoncer la fin du salariat ? Bien sûr que non. Ce serait ajouter à l’anxiété qui plombe notre société pour les 88% des actifs travaillant en CDI de nos jours.

Faut-il multiplier les statuts applicables à ces travailleurs d’un nouveau genre ? Bien sûr que non, on aurait toujours un train de retard par rapport à l’évolution du moment.

En fait la solution nous crève les yeux. C’est en repensant le contrat de travail que l’on peut à la fois agir sur le contenu de la promesse à consentir au salarié d’aujourd’hui et sur l’accès aux avantages sociaux des travailleurs du nouveau type.

Si j’étais Président, je mettrais un terme à ce qui est devenu une illusion, celle du contrat de travail protecteur parce que s’inscrivant dans temps long en contrepartie d’une subordination à laquelle le salarié consent. Je modifierais drastiquement les modalités d’attribution des droits pour leur conférer une réelle fonction de protection compatible avec notre époque.

Je supprimerais le lien de subordination qui ne correspond à aucune exigence contemporaine pour le remplacer par un lien de coopération dans une organisation définie par l’employeur. Le salarié devient par conséquent majeur, libéré d’un devoir d’obéissance, ce qui est en soi une bonne nouvelle. Mais surtout, on lui rend officiellement le droit d’exprimer son intelligence au travail pour pouvoir s’investir à nouveau dans la recherche de sens et d’un accomplissement de soi en vue d’un bien être professionnel qui semble avoir fait défaut ces dernières années.

L’objet du contrat de travail sera clarifié ; il consistera à accumuler des compétences et des expériences que le salarié pourra valoriser ailleurs, avec la sécurité d’un compte personnel de droits dûment abondé par l’employeur. Plus les expériences se multiplieront et se succèderont au sein d’une ou de plusieurs entreprises, plus les droits portables seront conséquents.

Le compte personnel de droits sera le siège des nouvelles protections promises, énoncées en points, en unité ou en argent. Les capacités du salarié, c’est à dire son empowerment (encore un mot sans traduction en français, comme leadership…) contribueront à promouvoir son autonomie correspondant à ses aspirations. L’accomplissement d’une trajectoire professionnelle, certes moins linéaire que celle de ses aînés, sera néanmoins assorti de garanties plus fortes et immédiatement inscrites au compte personnel de droits. En contrepartie, l’indemnisation du salarié en fonction de l’ancienneté acquise sera limitée.

En rendant impossible la requalification du travail indépendant en contrat de travail, faute de critère du lien de subordination, cette circonstance favorisera mécaniquement la revalorisation et la cohabitation, voire la superposition paisible de deux univers : celui des salariés d’un côté, celui les travailleurs indépendants de l’autre, que leur activité soit conduite à titre onéreux ou gratuit.

Ils seront traités à égalité de droits, bénéficieront de la même considération sociale et des mêmes possibilités de réalisation professionnelle et personnelle grâce au compte personnel de droits servant de pont aux passages ou au cumul d’un statut à l’autre.

Une telle communauté de travail ainsi reconnue et nouvellement définie de manière inclusive permettra la refondation du modèle social tant dans son mode de financement que dans ses critères d’attribution des droits, du chômage à l’accès au crédit.

C’est en se réconciliant avec le travail sous toutes ses formes que notre société, tiraillée entre ses souvenirs et sa crainte de l’avenir, peut trouver un nouveau souffle et offrir une perspective à sa jeunesse.

Avocate au Barreau de Paris depuis 1993 et Associé-Gérant du cabinet d’avocats August Debouzy depuis 2001, Emmanuelle Barbara, spécialiste en droit social, a créé le pôle Social d’August Debouzy. Son équipe compte aujourd’hui 30 avocats et intervient auprès d’entreprises nationales et internationales dans tous les domaines du droit du travail et dans l’élaboration de leur stratégie RH. Elle enseigne à l’Ecole du Droit de Sciences Po Paris et à l’Université Paris-I, participe activement aux débats et réflexions sur l’évolution du droit social en France et de ses enjeux pour les entreprises auprès du MEDEF et s’implique au sein de nombreux Think Tanks dont Le Club des Juristes et l’Institut de l’Entreprise. Emmanuelle Barbara est membre du Comité Directeur de l’Institut Montaigne, et depuis 2007, membre du conseil d’administration de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) en qualité de personnalité qualifiée.

Discours prononcé le 30 novembre 2016 dans le cadre de la soirée “Si j’étais Président” organisée par l’Institut de l’entreprise.

Retrouvez la tribune d’Emmanuelle Barbara sur Le Cercle des Echos http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-163499-repensons-le-contrat-de-travail-2048700.php

Votre avis sur les propositions d’Emmanuelle Barbara nous intéresse !
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