Olivier Delabroy : “Créer un modèle alternatif à la Silicon Valley”
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Mercredi 30 novembre, à l’invitation de l’Institut de l’entreprise, 12 intervenants de la société civile se sont rêvés l’espace d’un instant dans la peau du prochain Président de la République. Olivier Delabroy, Directeur de la Transformation Numérique chez Air Liquide, était l’un d’eux. Son projet engage l’avenir de notre pays : concurrencer les lieux d’excellence mondiaux et faire de la France, et de l’Europe, des places fortes de l’innovation. Nous vous proposons de revivre son discours.
Il y a quelques semaines, j’ai fait un cauchemar glaçant, je me suis réveillé en sueur au moment où le président des États-Unis et Poutine jouaient à qui déclencherait le premier le feu nucléaire.
Poutine avait financé massivement les mouvements nationalistes pro-russes dans les États Baltes. La Russie avait envahi puis annexé une partie de la Lettonie qui s’était soulevée contre ces mouvements.
L’OTAN, affaibli par le départ des États-Unis, ne réagit pas.
L’Europe, fracturée comme jamais, ne réagit pas.
Poutine pousse son avantage, envahit l’Estonie, la Lituanie, qui en retour déclare la guerre à la Russie… les jeux d’alliances se mettent en place automatiquement.
Trois attentats revendiqués par Daesh, tuent des dizaines de citoyens américains dans les ambassades américaines des pays baltes…
C’est à ce moment que je me réveille en sursaut ;
Je reconnais ma chambre… ça va mieux.
J’allume la radio… La voix des journalistes est atone, comme sidérée, solennelle et étonnamment triste. Nous sommes le 9 novembre…
Et ma fille Sohane, 5 ans, débarque dans la chambre, et me dit, Papa, c’est qui Donald ? Trump ? C’est un méchant ?
Et là, comme une évidence. Le cauchemar… Cela a commencé.
Une urgence s’impose : il faut agir, tous ensemble, pour en changer la fin.
Prendre le temps de comprendre
Agir, c’est d’abord prendre le temps comprendre ; comprendre ce qui se passe, comprendre comment on en est arrivé là.
Trump, Brexit, Le Pen. La montée des extrêmes n’a rien de surprenant. Depuis 1870, on observe à chaque fois dans le monde occidental, une augmentation de 30 à 35% de l’extrême droite dans les 5 ans qui suivent une récession majeure, une crise financière. Crise de 2008, + 5 ans, faites le calcul, c’est imparable. L’Histoire se répète, tout simplement.
En revanche, oui, le numérique, les algorithmes, les plateformes changent profondément et à toute vitesse le monde dans lequel nous vivons.
- Le 1er portable ? Il y a moins de 20 ans.
- Le 1er iPhone ? moins de 10 ans.
Et en 2016, les GAFA occupent les 1ères places de capitalisation boursière.
Les GAFA occupent surtout la première place dans notre quotidien. Leurs algorithmes gouvernent nos vies : nous leur avons laissé prendre le pouvoir sur notre capacité à lire le monde.
J’adore quand Facebook me remonte les vidéos de surfs postées par mes amis, car il a finement compris que j’adorais le Pays Basque et passais ma vie à Biarritz.
Mais je m’inquiète des algorithmes qui nous indiquent à minuit que le Remain va passer en Angleterre, et qui nous refont le coup 4 mois après en prédisant — voir l’exemple du New York Times — jusque 2h du matin qu’Hillary Clinton serait présidente. Sans parler, 15 jours après, des primaires de la Droite.
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de brûler les algorithmes sur la place publique. Il s’agit de comprendre leur logique, comprendre qu’ils nous remontent ce que nous avons envie de voir, ce que nous avons liké. Les réseaux sociaux, ce n’est pas le journal de 20h.
Et ça, les politiques, les médias ne l’ont pas compris.
Les élites ne comprennent pas… qu’elles ne comprennent plus les transformations du monde.
C’est maintenant que l’Europe et la France doivent réagir
Pouvons nous sérieusement accepter ce monde qui se dessine ? Rester sans rien faire ?
La transformation numérique orchestrée aujourd’hui par la Silicon Valley et ses plateformes a provoqué un véritable chaos. Résultat, les citoyens se replient sur eux-mêmes, sur la nation, sur leurs croyances. Et se déconnectent les uns les autres.
Ce chaos sépare et exclut. L’explosion des inégalités économiques et territoriales est phénoménale. J’étais à Philadelphie juste après l’élection. Hillary Clinton avait 600.000 voix d’avance sur la grande agglomération de Philadelphie. Du jamais vu. Et pourtant elle a perdu la Pennsylvanie. Car Trump a fait des scores lunaires dans les comtés ruraux, qui ont atteint jusqu’à 82%.
Il faut agir maintenant. La France et l’Europe doivent prendre le lead pour proposer une vision du monde humaniste et optimiste, qui remet l’humain au cœur des interactions.
Un modèle inclusif, équitable, que nous serons fier de léguer aux générations futures.
La fenêtre de tir est courte et se refermera très vite. Si la France et l’Europe ne le font pas, d’autres le feront à notre place. Plusieurs trains sont déjà partis. La Chine est devenu la 1ere puissance économique mondiale devant les États-Unis il y a quelques semaines.
La France et l’Europe ont perdu la première manche de la guerre des plateformes digitales.
Si j’étais Président, voici mes 3 propositions
Je veux vous convaincre que nous pouvons “transformer les risques en opportunités.”
Je vous vous convaincre que nous devons piloter la transformation Digitale pour construire ce monde humaniste.
Piloter plutôt que de subir, craindre ou refuser.
Piloter pour se reconnecter entre nous, pour développer de nouvelles compétences, créer de nouveaux emplois sur tout le territoire.
Parce que le numérique n’est pas réservé aux grandes villes, aux élites ou au monde virtuel.
Parce que le numérique a aussi la capacité de nous reconnecter au monde réel.
Imaginons un lieu où nous pouvons
- Fabriquer, réparer
- Avoir entre nos mains toute sorte d’outils, imprimantes 3D, de quoi découper et travailler l’acier, le bois, le plastique, de quoi souder
- Vendre notre production dans le monde entier, sans bouger de notre quartier, de notre village
Ce lieu existe, il s’agit d’un makerspace.
Si j’étais Président, je ferais de la France le pays pionnier des makerspaces en Europe en créant un réseau dense et distribué de makerspaces.
Ce réseau sera au cœur de nouveaux modèles productifs compétitifs d’une industrie, numérique, partagée, relocalisée qui permettra la création d’emplois qualifiés sur tout le territoire, dans nos banlieues, nos communautés, nos zones rurales.
Si j’étais Président, je lancerais un programme “e”-Rasmus
Je rendrais obligatoire pour tous nos jeunes un temps long à l’étranger, dans plusieurs pays européens, pour leur permettre d’acquérir les compétences numériques essentielles dans les écoles, les universités mais aussi en entreprise, et dans des lieux collaboratifs où académique et professionnel travaillent ensemble.
Ce programme ne réussira que si nous avons sur le territoire européen des grands écosystèmes numériques d’innovation, qui soient l’égal des meilleures universités américaines, chinoises ou israéliennes.
Avons-nous aujourd’hui l’équivalent de Stanford, de Tsingua ou du Technion ? Non. Mais nous en avons pourtant les moyens.
Si j’étais Président, je ferais de Paris-Saclay et Strasbourg les deux premiers écosystèmes numériques d’innovation
- Des lieux ouverts
- Profondément pluridisciplinaires
- Des lieux de formation tout au long de la vie
- Ouverts à nos entreprises, nos startups, nos PME.
Le jeune homme que j’étais rêvait de campus américain et je suis donc parti me former à UCLA, aux US. Demain, je veux que ma fille soit animée du même rêve, mais qu’elle le réalise sur un campus européen.
La France, l’Europe n’ont pas dit son dernier mot. Il y a 47 licornes en Europe aujourd’hui, dont 3 en France.
Nous pouvons encore jouer sur la scène mondiale mais nous jouons face aux États-Unis qui ont injecté 1000 milliards de Dollars sur 40 ans dans le numérique.
Il faudra bien sûr financer ces propositions.
Si j’étais Président, je mettrais en place une vraie politique d’investissement public/privé sur le numérique.
Il nous faudra faire des choix, travailler de pair avec le monde industriel, flécher les fonds existants au niveau régional, national comme au niveau européen et surtout investir massivement, dans un temps long qui transcende le temps des alternances politiques.
Nous vivons une transformation numérique qui est une vraie révolution. Il est de notre devoir que cette révolution soit douce. Nous le devons à nos enfants.
Créons la société que l’on souhaite où l’accès est un droit, pas un privilège.
- Accès à l’emploi qualifié et à l’apprentissage
- Accès à une éducation internationale de haut niveau pour tous
- Accès au financement
Ma fille Sohane pourra être championne de surf, monter sa start-up, aller à Strasbourg ou Oslo pour la développer, et assurer la retraite de son cher père.
Ce fameux 9 novembre ne sera pour Sohane qu’un mauvais souvenir ou plutôt le jour où tout a commencé. Le premier jour d’un nouveau monde.
Voilà ce que serait mon combat et mon ambition pour la France.
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Olivier Delabroy est Directeur de la Transformation Numérique du Groupe Air Liquide. Il a débuté sa carrière en 1998 à la R&D d’Air Liquide, dans le domaine de la combustion et de la métallurgie avant de prendre la direction d’American Combustion, une division d’Air Liquide Advanced Technologies US, dont le siège est basé à Atlanta (USA). En 2010, Olivier Delabroy devient directeur de la Recherche et Développement du Groupe. Durant son mandat, il a notamment construit un nouveau centre de R&D à Shanghai, agrandi et modernisé le principal centre de R&D du Groupe, à Paris-Saclay, et développé l’open innovation. En 2013, Olivier Delabroy a créé le ilab, laboratoire d’innovation , centré sur l’usage et l’expérience client, rassemblant une petite équipe internationale et multidisciplinaire où se côtoient ingénieurs, designers et diplômés de sciences humaines et sociales.
Discours prononcé le 30 novembre 2016 dans le cadre de la soirée “Si j’étais Président(e)” organisée par l’Institut de l’entreprise. Retrouvez l’interview vidéo d’Olivier Delabroix, à la suite de son intervention, sur le site du Figaro.fr http://video.lefigaro.fr/figaro/video/si-j-etais-president(e)-olivier-delabroy/5230878308001/
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