Retours des utilisateurs du proto-outil de recherche

Comprendre les usages de l’instrument

À la suite de l’expérimentation effectuée avec dix designers pendant une journée, nous avons recueilli leurs retours et leurs sentiments.

Nous précisons que le proto-outil diffère de notre instrument développé en parallèle sur plusieurs aspects : le proto-outil proposé aux utilisateurs est un tableau Google Sheet dans lequel chaque designer dispose d’un onglet à son nom. Chaque onglet est donc un tableau propre à l’utilisateur, avec une explication de l’expérience et une structure en colonnes Heure, Que retenez-vous de votre pratique ? et Dans quel état d’esprit êtes-vous ?. Notre instrument ne sera pas structuré en tableau, et les informations nouvellement saisies n’impliqueront pas la visualisation des informations précédemment saisies comme dans ces tableaux.

De même, le document Google Sheet est un document collaboratif partagé entre les dix-neuf utilisateurs initiaux : ainsi, chaque utilisateur a la possibilité de voir les tableaux des autres utilisateurs. Nous avons conscience que la dimension collaborative implique beaucoup de paramètres ayant une incidence directe ou indirecte sur la saisie d’informations (confidentialité, vie privée, timidité, anonymat, jugement de l’autre). Cependant, les dix designers se connaissent et travaillent ensemble, et personne n’a fait part d’une gêne ou d’une retenue lors des saisies d’informations.

« J’ai trouvé ça très intéressant de formaliser les différents moments de la journée. Si c’est une réussite, ça fait du bien de dire “ça, c’est fait, on passe à la suite !” et si c’est un échec ça fait du bien d’écrire “là, je vais avoir besoin d’aide” ou “il faut que je change d’angle d’attaque”.

— Alice Blot

Alice évoque la formalisation des moments de la journée : en lien avec notre instrument, la démarche réflexive s’incarne par une externalisation et une prise de conscience des actions effectuées. Écrire et trouver les mots pour se l’expliquer lui permet alors de s’appuyer sur cette trace pour se questionner. La formulation de ses actions lui a même permis de changer son état d’esprit en prenant du recul sur ce qui a été accompli et ce qui n’a pas fonctionné ou n’a pas été réalisé.

Puis ça permet d’avoir un retour sur sa journée et de déculpabiliser sur ses activités. Parfois j’ai l’impression de n’avoir rien fait de ma journée et là je vois que mine de rien j’avance.

— Alice Blot

Le tableau du proto-outil a aussi servi à documenter sa journée, à lister les étapes clés et le déroulement de sa pratique. Ainsi, lorsque des tâches n’ont pas de concrétisation à court terme (phase de conceptualisation ou d’idéation sans production de livrable par exemple), réviser sa journée en prenant conscience de l’ensemble des actions effectuées permet, comme l’évoque Alice, de déculpabiliser et plus généralement de se positionner par rapport à soi-même.

Puis je peux comparer ça avec le planning que je m’étais préparé et de voir si je le suis ou pas du tout. Je serais prête à le réutiliser, oui ! »

— Alice Blot

Certains designers, dont Alice, utilisent déjà des listes mémo personnelles décrivant un plan de route pour la journée. Le proto-outil a permis à Alice de comparer sa prévision à ses actions réelles. La réflexion sur sa pratique lui permet alors de questionner à la fois ses exigences (trop hautes ? trop modestes ? pertinentes ou non ?) et sa pratique concrète (ai-je respecter mes objectifs ? que dois-je ou ne dois-je pas faire ? que pourrais-je changer dans ma pratique pour ?).

« Pour l’instant ça ne me sert pas vraiment et je ne vois pas à quoi ça pourrait me servir, mais ça me déculpabilise un peu parce que j’ai eu l’impression de rien faire de ma journée alors qu’au vu du tableau si ! Et en même temps je pense que sur d’autres journées ce serait au contraire culpabilisant, surtout que mon mode de travail c’est “j’ai travaillé 1h sur le projet aujourd’hui et le reste du temps j’ai glandé en attendant d’avoir des idées” (comme beaucoup de créatifs j’imagine). »

— Clara Chaume

Le proto-outil permet de réviser sa journée de pratique, et implique de se positionner face à ses propres actions passées : cela amène alors à un jugement de sa pratique, en sa faveur (satisfaction) ou non (déception). La visualisation de ses actions peut donc avoir un impact direct sur l’état d’esprit du designer lors de la révision de sa pratique, et il en est de sa responsabilité d’être honnête avec soi-même, de prendre conscience et de réagir voire de re-questionner son utilisation de l’instrument.

En effet, l’instrument n’a pas pour but d’accompagner le designer sur toutes ses pratiques, ni même tout au long d’une pratique : le designer décide de la pertinence de l’instrument selon son besoin, et nous ne contraignons aucun modèle idéal d’utilisation.

« J’imagine ça appliqué en entreprise et ça me permettrait de mieux quantifier le temps que je passe sur telles ou telles tâches parce que je n’en ai aucune idée vu que j’alterne entre plein de tâches. »

— Clara Chaume

La révision de sa pratique a servi à Clara de vue d’ensemble du déroulement des tâches de sa pratique, pour ajuster sa manière de programmer des actions dans le temps et pour prendre conscience de ses capacités.

« Oui je le referais, c’était rigolo j’ai eu l’impression de faire un jeu ! »

— Clara Chaume

Bien que le proto-outil soit formellement différent de notre instrument, nous devons considérer la distraction causée par son utilisation. En effet, notre instrument étant présent sur plusieurs supports, il doit permettre d’accompagner le designer dans sa réflexion, et non le détourner de sa pratique : l’éventuel abus de l’instrument dépend au final du designer.

J’ai trouvé ça plutôt marrant de rendre compte de ma journée. En toute honnêteté ça m’a parfois servi d’échappatoire… »

— Amélie Bernardo-Kent

Dans l’action, le proto-outil a servi à Amélie à interrompre sa pratique et à prendre le temps de l’annoter. Par la capture intentionnelle ou suggérée, le designer peut ainsi prendre le recul sur sa pratique et profiter d’une « respiration ».

« Ça permet également de partager ses petites victoires personnelle. Je suis revenue préciser des choses a posteriori du moment où j’ai écrit.
Du coup je pense que ça m’a aidé à être un peu plus efficace et que ça m’a déchargé de certains sentiments sur le moment. »

— Amélie Bernardo-Kent

En centralisant les informations, remarques et visions du designer sur sa pratique, le proto-outil va motiver une réflexion sur ses comportements et ses états d’esprit. Ainsi, la révision de ces informations permet au designer de reconsidérer sa motivation, son estime de soi et de comprendre ou de chercher à comprendre ce qui fonctionne et ne fonctionne pas pour lui.

Amélie précise que la saisie d’informations dans l’action lui a permis de considérer d’un œil nouveau et d’objectiver sa pratique, en statuant de ses sentiments dans l’action pour aller de l’avant.

« Ça m’a fait prendre conscience que je ne fous rien de ma journée et qu’il ne me reste qu’une semaine ! »

— Louise Feige

Puisque notre instrument est un instrument d’émancipation personnel, il ne répond à aucune exigence de productivité d’une autorité hiérarchique ou de toute entité autre que le designer : ce qu’il saisit comme informations, ce qu’il se fixe comme objectifs et ce qu’il constate comme actions passées ne relèvent que de ses propres décisions. Ainsi, Louise a constaté en révision de sa journée de pratique que sa gestion du temps ne lui est pas favorable dans la contrainte de temps de son activité.

« Aujourd’hui j’arrive non pas avec des objectifs mais avec une répartition du temps plus précise, ce que je ne fais pas d’habitude. »

— Marion Couesnon

Le lendemain de l’expérimentation, certains utilisateurs ont continué à utiliser le proto-outil. Marion a même modifié son approche de l’outil : la veille, sa pratique se déroulait en répondant à ses objectifs définis en début de journée ; le lendemain, Marion a fait le choix d’une répartition du temps. La formulation du déroulement de sa pratique dans notre proto-outil lui a permis de prendre conscience de ses méthodes de travail et de se confronter à d’autres méthodes.

« J’ai profité du tableau pour me déconcentrer et aller écrire des bêtises… Ça m’aurait servi sur une phase avec plein de petites étapes mais là je suis sur une grosse étape et du stress donc bon. Par contre ça pourrait être motivant ce week-end vu que j’ai plein de petites choses à faire ! »

— Lisa Rauch

Lisa a compris en utilisant le proto-outil qu’il ne convenait pas à ses besoins dans la phase courante de sa pratique mais sera pertinent dans une autre typologie de pratique. Nous croyons que le designer saura ajuster son utilisation de l’instrument selon son besoin et selon sa pratique.

En synthèse de ces observations, nous comprenons l’intérêt de prendre en compte les usages de notre instrument dans la phase actuelle du macro-projet. En effet, le proto-outil, confrontant l’utilisateur au cœur du projet réflexif (saisie d’informations et révision de la pratique), stimule des enjeux de formulation, de saisie intentionnelle d’information et de dérive d’utilisation de l’instrument. Nous avons également révélé des besoins en terme d’usage, notamment sur l’intention de la saisie. Dans la suite du développement du macro-projet, nous questionnons la capture suggérée au designer au cours de sa pratique selon des paramètres propres.

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