De l’intelligence synthétique

IT ONE call for paper 2019, AI.

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Il n’est rien de plus édifiant que de regarder la pluie tomber sur l’océan depuis une colline de grès. On en connaît peu souvent le sens, et encore moins souvent la portée. Pourtant, cet évènement porte en lui une difficulté encore incroyable. C’est en effet un système incroyablement complexe eu égard au nombre pharamineux de paramètres à prendre en considération.

Mais pour l’homme intrigué par la pluie, par une simple goutte tombée du ciel, regarder la gravité à l’œuvre est toujours fascinant : son irrésistible attraction, et ses conséquences, pour chaque molécule, pour chaque micro-organisme, pour chaque grain du tissu physique qui est écarté lorsque ce minuscule élément touche la surface miroitante de l’eau. Tout cela est tout simplement magnifique. Alors qu’une onde se propage, comme une mouvance symétrique, à partir de ce contact, et que l’écho de cet évènement infime se répercute encore et encore jusqu’à finalement disparaître, l’homme, lui, ne comprend toujours pas. Car cette pluie est elle-même le résultat d’un nombre incroyable d’interactions si petites, à une échelle si infime, qu’elle en devient presque impossible à prévoir parfaitement.

Je ne parle pas réellement d’un orage, mais plutôt d’évènements ponctuels dont les règles locales sont capables de faire émerger quelque chose de plus grand. C’est le cas de l’intelligence artificielle et le plus fascinant, c’est qu’elle est capable de cela pour elle-même.

Le connexionnisme et les différents courants de pensées concernant la formalisation et l’utilisation de l’apprentissage machine des trente dernières années ont réussi les uns après les autres à créer ce que nous dénommons aujourd’hui l’Intelligence Artificielle avec un grand I. Pourtant celle-ci, malgré ses innombrables promesses, ne fait qu’effleurer le rêve humain de la domestication de la conscience. Car si d’intelligence artificielle il est question aujourd’hui, ce n’est que d’intelligence artificielle faible. La conscience artificielle, elle, nous parle depuis des sommets bien plus hauts, ou plutôt depuis des profondeurs plus insondables. Mais est-il vraiment nécessaire d’attendre la conscience synthétique pour parler de révolution ? Les applications de l’intelligence artificielle et les modifications socio- économiques que nous promet l’avènement de celle-ci sur le monde de demain, même faibles, sont déjà une révolution en soi.

L’intelligence artificielle faible

Le plus grand mouvement est parti d’une petite communauté de scientifiques, une communauté qui travaillait dans une obscure discipline, discipline qui promettait énormément dans les années 70–80 mais avait alors déçu. Ce petit monde de scientifiques, c’est celui de l’Intelligence Artificielle d’il y a vingt ans. Un monde qui, avec l’avènement des technologies des semi-conducteurs, des années 2000, et grâce aux découvertes du désormais célèbre Yann LeCun (CNN : réseaux de neurones convolutionnels), a commencé à impulser de son côté une révolution dont les effets commencent petit à petit à se faire ressentir.

L’arrivée des géants du numérique a d’abord bouleversé les usages et les habitudes de notre monde en l’interconnectant de plus en plus. Mais il n’a pas modifié que notre monde, il a grandement impacté notre petite communauté de scientifiques.

Ces bases de données de plus en plus grandes et cette puissance de calcul toujours plus puissante soutenue par la loi de Moore, de plus en plus intense, furent un moteur incroyable pour le développement de l’intelligence artificielle faible. C’est en effet avec l’avènement de ces géants du numérique et l’évolution de nos capacités de stockage et de calcul que ce petit monde est entré en effervescence.

Des réseaux de neurones artificiels, disposés en couches successives et basés sur le fonctionnement des neurones biologiques, permettent de classifier des jeux de données, des images, d’analyser des vidéos en temps réel : d’apprendre, ni plus, ni moins. Un apprentissage, supervisé ou non (comprenez avec ou sans l’intervention de l’Homme dans la phase d’apprentissage), par des réseaux de neurones profonds va transformer nos vies.

Comme je le disais en préambule, nous ne parlons pas ici d’une intelligence consciente. Il n’existe aujourd’hui encore aucune conscience dans les réseaux profonds, même si certains courants de pensées entendent en assembler de plus en plus dans l’espoir que la conscience se manifeste un jour d’elle-même.

Soyons donc clairs, l’IA d’aujourd’hui, et peut-être même celle de demain, ne sera pas consciente. Ce n’est pourtant pas parce qu’elle n’est pas consciente que l’IA d’aujourd’hui est inintéressante, loin de là.

Ce type d’IA est devenu au fil du temps un expert dans la reconnaissance de motifs. Cela parait anecdotique mais c’est pourtant sa plus grande force, car elle s’applique aussi bien pour les données scientifiques que pour l’analyse d’images et de vidéos, la reconnaissance biométrique, la lecture de scanner ou d’IRM, ou encore l’aide au diagnostic. Ce que nous pensions être des terrains d’intellect élevé, réservés aux seuls plus grands esprits de l’humanité, finalement l’intelligence artificielle est capable de faire mieux, plus vite et surtout moins cher que l’humain.

C’est là tout l’intérêt de l’intelligence artificielle : elle ne sait pas créer, ne sait pas inventer, mais elle challenge les meilleurs esprits de l’humanité sur des terrains éminemment stratégiques où ils étaient exempts de toute concurrence.

Car dans un monde où l’économie dominante depuis les années 90 est l’économie de la connaissance, où la production et l’utilisation du savoir sont devenues la ressource la plus importante en termes de capitaux, une IA qui apprend seule et s’améliore seule, donnant des réponses de plus en plus précises, de plus en plus rapidement, tout en étant toujours plus performante que l’homme, va devenir un concurrent impossible à combattre. Certains de ces métiers à haut niveau de qualification, prisés pour leur salaire et leur statut, sont ainsi voués à disparaître ou tout au moins à se réinventer.

La révolution artificielle

C’est le funeste destin qui attend les radiologues comme aime à le rappeler Laurent Alexandre, car ainsi qu’il le dit lui-même, si l’IA avec l’homme est seulement égale à l’IA, alors l’homme n’a plus sa place dans cette relation, au niveau économique tout au moins.

Je vois en effet déjà mes amis médecins s’offusquer d’une telle approche, d’une telle ignominie : « Une machine ne pourra jamais remplacer le contact et la relation de confiance entre un médecin et son patient». Pourtant, depuis de nombreuses années, une partie de la médecine est devenue complaisante avec cet exercice d’humanité envers leurs patients. En se focalisant toujours plus sur l’aspect technique de leur métier, ils ont pour certains oublié que c’est avant tout l’aspect humain qui va les différencier de l’IA. Sans chercher à généraliser, surtout quand l’on connait la difficulté de l’exercice médical, il est pourtant nécessaire de montrer qu’il existe des moyens simples pour que l’association IA — Humain soit viable et qu’il n’est pas trop tard pour que ces aspects soient plus travaillés à la fois dans les formations mais aussi dans la conscience collective. Je parle en premier lieu de la santé, car c’est ainsi que l’IA va toucher le plus de monde, en permettant de diminuer grandement

les coûts, qui, au fil des ans sont devenus complètement astronomiques, et peu supportables par la collectivité.

C’est en cela que l’IA va permettre une révolution de nos modes de vie, en rendant les compétences à hautes valeurs intellectuelles accessibles au plus grand nombre. Certains verront cela comme une attaque directe envers la société humaine et d’autres accepteront qu’il s’agit aussi un moyen pour permettre à l’homme de diminuer sa charge de travail et la pénibilité de sa condition.

La folie artificielle

Il est, bien sûr, comme pour chaque technologie des choses qui sont de l’ordre de la déviance concernant l’idée, et l’intelligence artificielle n’échappe pas à ces écueils. La Chine nous a déjà démontré ce que pouvait devenir l’intelligence artificielle dans le cadre d’un suivi des citoyens d’un pays. Les Chinois sont maintenant notés sur leur comportement, leur civilité, le paiement de leurs impôts et leur réseau social. Tout ceci n’est que le prélude de ce que peut faire l’intelligence artificielle. Il est important de comprendre que chacune des applications de l’intelligence artificielle peut être pensée comme un bien ou comme un mal.

Une intelligence artificielle dédiée à la médecine peut être à loisir le garant de la précision du diagnostic, de l’optimisation des soins, et de la diminution des coûts. Mais elle peut aussi déterminer qui sont les patients à risque, par exemple dans le cadre de l’assurance d’un prêt immobilier. L’intelligence artificielle peut être notre plus grande alliée dans le soulagement de notre condition humaine, mais elle peut aussi être le moteur d’une déstructuration totale des égalités entre êtres humains, et ce potentiellement dès la naissance, en créant ainsi un eugénisme par le calcul bien peu différent de celui qu’avait décrit Andrew Niccol dans « Bienvenue à Gattacca ».

Robert Charles-Antoine Président Thalder

Romain Didier Directeur Général Thalder

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