Chaîne d’assemblage de scooters I Usine pilote du Boston Consulting Group, à Saclay (91) I ©Valérie Jouffray/BCG

Industrie 4.0 I L’Usine du futur est à Saclay

Un article du Monde sur l’expérience que mène le Boston Consultiung Group depuis 1 an dans l’Essonne. La préfiguration de l’industrie 4.0 made in France…

Editor I R3iLab
6 min readJan 22, 2017

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Cela pourrait être une usine de scooters comme une autre. Des stocks de pièces détachées près de l’entrée, des salariés en blouses gris et noir le long de la ligne de production, des deux-roues prêts à être expédiés en bout de chaîne. Sur le plateau de Saclay, dans l’Essonne, le site qu’inaugure ce mercredi 28 septembre le Boston Consulting Group (BCG) présente pourtant deux singularités. Les robots, les équipements numériques y foisonnent. Et une fois finis, les scooters sont démontés, puis les pièces replacées dans les caisses d’origine, avant d’être de nouveau assemblées, en une boucle infinie.

Bienvenue dans l’usine du futur. Ou du moins dans une préfiguration de ce que pourrait être l’« industrie 4.0 ». Venu d’Allemagne, le concept fait beaucoup parler. Certains y voient une occasion unique pour les entreprises européennes de regagner en compétitivité. En France, « c’est un moyen de revitaliser le tissu industriel affaibli par des années de sous-investissement », un remède à la désindustrialisation, plaide le groupe de travail La Fabrique de l’industrie, qui a publié une note sur le sujet début septembre.

Mais cette usine d’un nouveau genre tient encore un peu du mythe qui peut mobiliser… ou faire peur. Pour lui donner corps, les consultants du BCG ont laissé de côté leurs matrices et leurs tableaux PowerPoint, et ils ont construit à titre exceptionnel une vraie usine, en modèle réduit.

Réduire les coûts de fabrication

A Saclay, le prestigieux cabinet de conseil en stratégie a investi depuis mars un ancien entrepôt pharmaceutique, acheté des machines, et installé deux lignes de production. L’une de scooters, l’autre de bonbons. Des produits classiques, mais fabriqués en mobilisant toutes les nouvelles technologies disponibles : robotique, réalité augmentée, impression 3D, simulation numérique, Internet industriel, big data, etc.
Le BCG n’est pas seul à vouloir rendre concrète cette « industrie 4.0 » : mercredi, juste après le cabinet américain, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), PSA, Safran et plusieurs partenaires inaugurent à quelques kilomètres de là, sur le même plateau de Saclay, un lieu dans le même esprit, le « Factory Lab ». « Pour basculer, les chefs d’entreprise ont besoin de voir comment se combinent tous ces outils, et de mesurer le résultat de façon chiffrée », explique Moundir Rachidi, un ancien responsable de Toyota à Valenciennes (Nord) devenu la cheville ouvrière du projet du BCG.

Selon les estimations du BCG, la conjonction de ces technologies doit diviser par deux le temps de montée en cadence de la production, réduire de 10 % à 20 % les coûts de fabrication, de 10 % ceux de transport, et gagner 10 % à 30 % sur le montant des stocks. Spectaculaire ! « A moyen terme, l’objectif est de produire ici des scooters et des bonbons de façon plus compétitive qu’en Roumanie ou en Chine », affirme M. Rachidi en ajustant ses surchaussures de sécurité.

Pour l’heure, l’usine pilote essuie les plâtres. Côté bonbons, le BCG se voit déjà profiter des possibilités du numérique pour varier les formes et les couleurs, multiplier les petites séries, etc. Mais, malgré l’aide du confiseur Kubli, « nous n’avons pas encore trouvé la recette idéale, nos produits restent un peu trop collants », reconnaît le chef d’atelier.

La ligne de scooters est plus avancée. À l’entrée, un poste d’assemblage pas comme les autres. Une microcaméra, un projecteur, et la table sur laquelle sont posées les pièces à visser ensemble se transforment en écran tactile. Des flèches y montrent les gestes à effectuer. Pas question de se tromper de pièce ou de la monter à l’envers : l’ouvrier est immédiatement averti. « Ce système américain aide les débutants et limite les risques d’erreur, se félicite M. Rachidi. En prime, il fournit des informations précises sur les cadences. »
Un peu plus loin, Serge, un opérateur, prend une tablette numérique et la tient devant le châssis du scooter, pour vérifier si tous les équipements nécessaires sont bien là. Pas de chance, ça ne marche pas. Le temps de recharger l’application, et le système de réalité augmentée fonctionne, cette fois-ci. Les éléments manquants apparaissent aussitôt en couleur, permettant un contrôle efficace.

Les outils numériques accompagnent l’opérateur dans les étapes de montage I ©Valérie Jouffray/BCG

Nouvelle révolution industrielle

Le châssis est ensuite transporté par un chariot autoguidé, qui contourne les obstacles dans la salle et se dirige tout seul vers le point suivant de la chaîne. Là, un robot japonais Fanuc vert vif s’empare d’une roue de 14 kg, et la place sur le châssis. Autant de moins à porter pour les ouvriers ! Et pour savoir ce qu’ils ont à faire, ceux-ci ont devant eux de petits écrans indiquant, pour chaque scooter, la couleur demandée par le client, les options, les pièces encore à poser, etc.

« Tout cela nous permet déjà de diversifier les types de scooters, indique M. Rachidi. Le prochain défi sera d’assembler parfois un sèche-linge sur la même chaîne. C’est notre objectif pour le premier semestre de 2017. »

Dans une pièce voisine, une imprimante 3D vient d’arriver. Elle aussi sera polyvalente : elle fabriquera des pièces de rechange pour les scooters, mais aussi des moules pour les bonbons. Aux yeux des experts du BCG, c’est une nouvelle révolution industrielle que dessine ce foisonnement technologique. La quatrième, après celles entraînées par la machine à vapeur à la fin du XVIIIe siècle, l’électricité à la fin du XIXe et l’informatique au début des années 1970. Elle pourrait signer la fin des grandes usines classiques fabriquant en masse des produits standardisés. « Tout le monde peut avoir une Ford T de la couleur qu’il souhaite, à condition que ce soit le noir », s’amusait Henry Ford en 1922.

« Faire du sur-mesure »

Un siècle plus tard, la donne a changé. Le prix des capteurs a chuté. Internet a tout bouleversé. L’impression 3D décolle — le groupe LafargeHolcim vient ainsi de fabriquer un poteau en béton de quatre mètres de haut ! « Il devient possible de faire du sur-mesure avec des coûts voisins de ceux d’une production de masse », commente Olivier Scalabre, un des experts du BCG. Résultat : « les usines de demain seront plus petites, plus écologiques, plus proches des consommateurs ». L’« industrie 4.0 » pourrait ainsi donner un coup de fouet à la compétitivité des productions occidentales, d’autant que, dans le même temps, les coûts grimpent en Chine.

Inutile toutefois de rêver à un retour d’immenses usines textiles à Mulhouse (Haut-Rhin) ou à Cholet (Maine-et-Loire) : « les activités concurrentielles, caractérisées par de faibles barrières à l’entrée et employant une main-d’œuvre peu qualifiée, continueront à être localisées dans des pays à bas coûts », écrit Thibaut Bidet-Mayer, dans sa note pour La Fabrique de l’industrie. En revanche, promet-il, « les productions à plus forte valeur ajoutée, nécessitant une proximité avec le client et requérant des travailleurs qualifiés, retrouveront toute leur place dans les économies développées ». Une reconquête qui passe par Saclay.

©Denis Cosnard I Le Monde

Pour aller plus loin

▶︎ L’Industrie 4.0 à l’agenda du forum de Davos 2017

Selon ce dernier rapport, qui publie les réponses à un questionnaire diffusé auprès de 800 responsables exécutifs et experts des technologies de l’information, 10% des individus porteront des vêtements connectés à internet d’ici à 2025.

▶︎ Le Dossier du R3iLab sur l’Industrie 4.0

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