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Le ciment bas-carbone est-il vraiment bas-carbone ? (1/2)

10 min readDec 6, 2022

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Je ne sais pas vous, mais personnellement, dès que j’entends “Ciment Green”, j’ai tout de suite envie de crier au greenwashing. Et pourtant, on s’est penchés de très près sur la question chez Inuk, et — comme à notre habitude — on avait envie de vous partager les principaux enseignements de notre recherche.

Pourquoi se pencher sur la question du ciment ?

Avant de parler du ciment, il faut commencer par parler du béton. Le béton est le matériau principal utilisé pour les constructions en France et dans le monde. A titre d’exemple, 82% des logements collectifs et 74% des bâtiments tertiaires sont construits en béton. [1]

Le ciment est le constituant principal du béton, mélangé à d’autres matériaux secondaires. Le ciment est le matériau le plus consommé dans le monde, à raison de quelques 150 tonnes par seconde. Quatorze milliards de mètres cubes de béton sont coulés chaque année, selon l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA). Ce dernier a un impact climatique conséquent : il génère 8 % des émissions mondiales de CO2. [2] Les émissions de CO2 absolues de l’industrie du ciment sont passées de 1 Gt en 1990 à 2.2 Gt en 2019, soit une hausse moyenne de 3% par an. A l’échelle de la France, ce sont quelques 16 Mt de ciment fabriquées chaque année, émettant plus de 10 Mt de CO2e, soit 2,5% des émissions nationales. [3]

Aujourd’hui, le ciment est donc encore indispensable et pourtant il pose problème, du fait de son impact environnemental fort.

Quelles sont les pistes pour parvenir à décarboner le secteur ?

Plusieurs pistes sont identifiées pour décarboner le secteur du bâti, que l’on pourrait résumer en trois grands axes

Le premier axe, c’est tout simplement d’arrêter de bétonner.

Nous pouvons réduire notre consommation de béton en construisant moins. On estime aujourd’hui qu’en moyenne 4 à 5 terrains de foot sont artificialisés toutes les heures en France. L’artificialisation des sols progresse près de quatre fois plus vite que la population française, entraînant des émissions de CO2e, mais également des conséquences négatives sur la biodiversité et la qualité de vie des citoyens. [4]

Nous pouvons également réduire notre dépendance en béton en utilisant, partout où cela est possible, des matériaux alternatifs moins carbonés (biosourcés, géosourcés) comme le bois par exemple. Comme toujours quand on regarde les choses avec nos “lunettes carbone”, il faut toutefois garder à l’esprit un certain pragmatisme : une vision “tout bois” n’est pas tenable, à la fois en termes de disponibilité de la matière première (et on n’est clairement pas pro déforestation, vous l’aurez compris). Dans la même veine, certains ouvrages ne peuvent pas être réalisés sans béton, notamment certains ouvrages d’art, routes, fondations de bâtiments etc. Nous avons donc besoin du béton.

Le second axe, c’est de décarboner notre mix énergétique.

Béton, ciment, énergie : quel rapport me direz-vous ? Il se trouve que cela à tout à voir car le ciment est un matériau très intensif en énergie, c’est-à-dire qu’il nécessite beaucoup d’énergie pour le produire. Or, l’énergie utilisée est très souvent d’origine fossile, et donc très émettrice en CO2. En décarbonant notre mix énergétique, mécaniquement, on réduit les émissions de CO2 associées à la production de ciment.

Cet axe là, on le connaît bien chez Inuk car nous travaillons beaucoup avec des porteurs de projets qui permettent de générer de l’énergie renouvelable très peu carbonée, notamment les alternatives aux énergies fossiles pour la chaleur, comme le solaire thermique, la biomasse chaleur ou encore la récupération de chaleur fatale.

Le troisième axe — et c’est celui-ci sur lequel nous avons travaillé avec Hoffmann, c’est de décarboner le ciment, en réduisant le taux de clinker.

Si vous n’avez pas jamais entendu parler du clinker, pas de panique, on va tout vous expliquer. Le ciment, comme chacun sait, est un matériau de construction en poudre qui fait prise et durcit après hydratation. Il conserve ensuite sa résistance et sa stabilité. Le constituant principal du ciment est le clinker. En ajoutant au ciment du sable et de l’eau on obtient du mortier, une colle qui permet notamment d’assembler des parpaings ou des briques. Enfin, en complétant la recette avec du gravier (ou granulats), on obtient du béton.

En fait, la raison pour laquelle le ciment — et donc le béton — sont très énergivores c’est le clinker. Pour l’obtenir, il faut chauffer à très haute température : 1450°C pendant 18 heures. On appelle cela la calcination. Et c’est là où le bât blesse : nous ne savons pas techniquement chauffer à une telle température sans avoir recours aux énergies fossiles (et donc, à leur combustion). Ce qui fait exploser la facture carbone. Décarboner le ciment, c’est donc réduire le taux de clinker, voire réussir à s’en passer.

Le développement et le déploiement sur le marché de ciments alternatifs, moins riches en clinker, représentent donc l’un des principaux leviers de décarbonation aujourd’hui. La bonne nouvelle, c’est que ces alternatives existent déjà aujourd’hui : nous savons remplacer le clinker par des minéraux tels que le laitier (sous produit de la production d’acier) ou encore par du calcaire ou de l’argile. [5]

Certains de ces ciments alternatifs présentent aujourd’hui les mêmes propriétés que le ciment traditionnel et permettent donc de se substituer à ce dernier, bien plus émetteur, et donc, en théorie, d’éviter des émissions de CO2.

On dit bien en théorie, car en réalité, la filière des ciments alternatifs est encore balbutiante si on regarde les chiffres :

Le marché du ciment est un marché oligopolistique constitué seulement de quelques cimentiers leaders : cinq entreprises réalisent 95 % de la production de ciment en France. [6] Les ciments classiques dits “Portland” sont aujourd’hui classés en 5 grandes catégories, de CEM I à CEM VI, en fonction de leur teneur en clinker et du type de composés cimentaires. Le marché français reste aujourd’hui dominé à 80 % par le CEM-I et le CEM-II, ciments les plus carbonés car ayant les taux de clinker les plus élevés.[7]

C’est pour cela que chez Inuk, on s’est penchés sur le sujet pour comprendre dans quelle mesure le ciment bas-carbone permet effectivement d’éviter du CO2 et si oui, comment permettre à la filière de se développer à l’aide de la contribution carbone. Nous avons réalisé ce travail avec un porteur de projet vendéen, l’entreprise Hoffmann Green.

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source: Hoffmann Green Cement

Pour cela, nous nous sommes d’abord penchés sur l’analyse de cycle de vie (ACV) de deux types de ciment sans clinker élaborés par Hoffmann Green : le ciment H-UKR et le ciment H-EVA, de leurs petits noms. Pour comprendre si oui ou non cela permettait d’éviter des émissions de CO2, nous les avons comparé à l’équivalent le plus largement utilisé sur le marché, le ciment Portland.

Le ciment H-UKR est un ciment élaboré avec 0 % de clinker et à faible consommation énergétique pour la simple et bonne raison qu’il est fabriqué à froid. Pas besoin donc de combustion d’énergie fossiles ultra-carbonées pour le produire : c’est déjà un bon début.

De plus, il se présente sous la forme d’une poudre stockable en silo conçue pour différentes formulations de béton : industriel préfabriqué ou prêt à l’emploi, ce qui le rend parfaitement compatible avec les process de fabrication existants. Donc à priori, il est beaucoup moins émetteur que son camarade Portland.

Toutefois, quand on regarde la liste des composants, il en est un qui mérite qu’on se penche particulièrement sur son cas : le laitier. Vous vous en doutez, rien à voir avec les vaches normandes, le laitier est un coproduit de l’industrie de l’acier. Industrie de l’acier, en termes d’empreinte carbone, on aime pas beaucoup, donc ça vaut le coup d’aller creuser un peu. Préparez-vous pour une longue, mais nécessaire, parenthèse.

Le laitier fait débat, et pour plusieurs raisons.

Raison numéro 1 : son empreinte carbone

La première raison est que le laitier est un coproduit de l’acier. Concrètement, le processus de fabrication de l’acier génère un déchet, le laitier, un matériau qui n’est pas utile à cette même industrie. Nous avons employé volontairement le terme de déchet, car jusqu’à récemment, il était considéré comme tel, et donc son empreinte carbone n’était pas comptabilisée dans l’ACV des bétons sans clinker utilisant le laitier. Vous voyez le problème ?

Les choses ont changé récemment lorsque le laitier a été requalifié en “co-produit”. Sorti de la case du déchet, on a commencé à se poser la question de comment l’intégrer dans le calcul de l’ACV. En effet, dans l’analyse du cycle de vie (ACV), lorsqu’un système de production génère plusieurs produits, les flux de matières et d’énergie et les impacts environnementaux associés doivent être répartis en conséquence afin de refléter précisément leur contribution individuelle à la charge globale. La prise de décision concernant la modélisation du cycle de production en général et la répartition des impacts, en particulier est particulièrement importante, car, vous allez le voir, elle peut avoir un impact fort sur les résultats.

Plusieurs règles d’allocations sont possibles : une allocation massique (quelles masses de produit A et B sont produites ?), économique (quels sont les coûts des produits finis A et B ?), ou encore au nombre d’unités (combien de produits A et B sont fabriqués par an ?). Dans le cas de notre cher laitier, c’est la méthode de calcul économique qui a été retenue. Or, lorsqu’on fait l’exercice avec d’autres types de méthodologies, on tombe sur des résultats beaucoup plus élevés. Et surtout, la méthode économique rentre un peu en contradiction avec l’exercice de l’ACV en lui-même, et du bilan carbone : les matériaux émetteurs doivent être comptabilisés dans toute la chaîne de valeur, de sorte à ce que tous les maillons de la chaîne soient incités à s’orienter vers des solutions décarbonées. Dans le cas du laitier, ses émissions doivent ainsi être comptabilisées à la fois lors de leur production mais aussi lors de son usage.

En refaisant les calculs et en se renseignant sur les différentes études sur le sujet, nous nous sommes rendus compte de deux choses :

Premièrement, c’est que le chiffre retenu pour le laitier avec la méthode économique nous paraît trop bas, car il ne reflète pas une réalité physique, et il est extrêmement difficile d’avoir des données physiques fiables. Cela arrive souvent dans le cas d’un bilan carbone — quand on utilise des ratios monétaires par exemple — et dans ce cas là, on applique des incertitudes. Ici, nous avons refait les calculs en prenant les taux d’incertitudes correspondants, et nous avons trouvé un résultat 2,5 fois plus important que le chiffre suggéré par la méthode économique.

Deuxièmement, nous avons réalisé que même en prenant en compte ce chiffre 2,5 fois plus important, le ciment bas-carbone reste beaucoup plus intéressant d’un point de vue carbone que son ami Portland.

En d’autres termes : oui, le laitier est un coproduit émetteur, mais comparé au processus de calcination du clinker, il est reste intéressant d’un point de vue décarbonation.

Raison numéro 2 : le laitier n’est pas une ressource infinie

L’autre point qui nous a fait tiquer, c’est que le laitier étant un coproduit, la quantité disponible dépend en réalité des volumes de production d’acier. Si on tire le fil, cela voudrait dire qu’il faudrait produire de plus en plus d’acier, pour produire de plus en plus de laitier, pour produire de plus en plus de ciment bas-carbone. Est-ce qu’on ne serait pas tout simplement en train de décaler le problème ?

Et sur ce point, la réponse est oui : le laitier est par définition une ressource limitée. Le ciment à base de laitier est donc nécessairement une solution temporaire et doit être comprise comme telle. En discutant avec Hoffmann, nous nous sommes rapidement rendus compte qu’ils avaient parfaitement intégré cet aspect là, en commençant d’ores et déjà à développer un second type de ciment bas-carbone, cette fois-ci sans laitier, nous en parlons juste en dessous.

Donc en résumé, peut-on considérer que le ciment H-UKR est bien moins émetteur que du ciment Portland ? La réponse est oui si on garde en tête ces deux éléments essentiels : ne pas sous-estimer le poids carbone du laitier, et considérer que c’est une solution transitoire.

Souvenez-vous, on avait aussi parlé d’un second type de ciment, le H-EVA. Sur le H-EVA, c’est beaucoup plus simple parce que tout simplement, sa formulation est sans laitier. C’est un produit encore plus innovant et plus durable car il utilise de l’argile (et contient ni clinker, ni laitier). Le ciment H-EVA permet de produire un béton bas-carbone, plus particulièrement utilisé comme liant pour construire des routes, mais aussi pour les mortiers, les enduits et les bétons de chantier. Comme le H-UKR, il ne nécessite pas de cuisson, donc pas non plus de combustion d’énergie fossile qui viendrait plomber le bilan carbone : on tient quelque chose.

Maintenant qu’on s’est attardé sur la question de l’empreinte carbone, reste encore à répondre à deux questions majeures : celle du scénario de référence, de la mesurabilité et de l’additionnalité, que nous traitons dans le prochain chapitre (à venir très prochainement!)

Et pour la route, voici une petite photo de notre visite de terrain sur le site de production de Hoffmann Green (parce que les charlottes, c’est quand même classe !)

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Bibliographie:

[1] PNUD, Global Status Report for Buildings and Construction (2019)

[2] ODDO BHF — Etude Secteur– Newsflow Ciment (2021)

[3] Décarboner la filière ciment-béton — The Shift Project (2022)

[4] Ministère de la Transition Ecologique — Artificialisation des sols (2022)

[5] Décarboner la filière ciment-béton — The Shift Project (2022)

[6] La production de ciments en France : une industrie très concentrée — Insee (2018)

[7] Décarboner la filière ciment-béton — The Shift Project (2022)

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